Intervention de Jacques Bigot

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 avril 2017 à 14h30

Photo de Jacques BigotJacques Bigot, membre de la mission :

Le travail de la mission est extrêmement complet. Le diagnostic est connu, mais la situation s'aggrave, ce qui peut entraîner des dysfonctionnements internes du système judiciaire. Les fonctionnaires de la justice sont dévoués et passionnés par leur mission, mais beaucoup n'en peuvent plus : les juges des libertés et de la détention travaillent souvent le samedi et le dimanche, les procureurs se plaignent des départs trop rapides des substituts, eux-mêmes las... Tous nous ont dit leur désarroi. Au nom du groupe socialiste et républicain, je peux dire que nous partageons le constat dressé par le rapport.

Il faudrait en effet une loi de programmation pluriannuelle, mais aussi le quinquennat d'un garde des sceaux pour mettre en oeuvre toutes ces propositions... Au reste, l'actuel s'y est déjà employé, notamment en renforçant les recrutements de magistrats, ce dont nous nous félicitons. Nous appelons également de nos voeux - depuis longtemps - l'inscription dans la Constitution de l'indépendance du parquet, comme le propose le rapport.

L'essentiel des propositions va dans le bon sens, comme l'effort soutenu de recrutement de magistrats et de personnel des greffes, ou la meilleure prise en compte des possibilités que le numérique et la dématérialisation des procédures peuvent apporter à la justice. Nous avons longuement évoqué avec Mme Taubira, dans le cadre du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, le service d'accueil unique du justiciable : celui-ci ne pourra en effet fonctionner qu'avec une infrastructure informatique opérationnelle, ce qui nécessitera d'importants efforts financiers, humains et techniques. Il y a de gros efforts à faire sur l'informatique.

L'idée d'une équipe de collaborateurs des juges ne peut que nous satisfaire. Partout, les magistrats disent leur satisfaction de bénéficier de l'aide de juristes assistants, voire en réclament davantage. Reste à convaincre les greffiers qu'ils pourraient faire partie de l'équipe du juge : greffier assistant de magistrat, c'est en effet une fonction valorisante.

Rendre l'organisation des juridictions plus opérationnelle est évidemment nécessaire. Modeler la carte des cours d'appel sur celle des grandes régions n'est pas la solution, le rapport le dit bien, même si les cours d'appel sont trop nombreuses. Trouvons une échelle satisfaisante. Pour assurer une meilleure proximité, la création d'un tribunal unique de première instance par département et la possibilité d'avoir des chambres de ce tribunal réparties sur le territoire sont d'autres pistes intéressantes.

Certaines autres propositions ressortissent plutôt de l'organisation propre des juridictions ou de la pratique. Expliquer aux magistrats d'une même juridiction qu'ils pourraient se rencontrer pour harmoniser leur jurisprudence, sans porter atteinte à leur indépendance, c'est en effet une possibilité à exploiter. L'open data de la justice, inscrit dans la loi, mais dont la mise en oeuvre rapide est douteuse compte tenu de l'équipement informatique du ministère, en est une autre.

Nous exprimons donc notre satisfaction globale sur les orientations du rapport.

Nous verrons si le prochain quinquennat permet de réaliser tout cela. Plutôt que de faillite, comme le garde des sceaux, vous parlez de redressement. Est-ce un redressement judiciaire ? En général, on n'attend pas cinq ans après un redressement pour procéder à une liquidation... Les Français sont attachés à la justice, ce qui suffit à justifier qu'on lui donne plus d'ambition.

Nous avons toutefois quelques points de désaccords. D'abord, sur le financement de l'aide juridictionnelle, véritable « serpent de mer ». Le niveau de ressources qui y donne droit est tombé très bas : elle s'adresse donc à des personnes très peu fortunées, pas même aux classes moyennes inférieures. Recréer une contribution pour l'accès au droit pèsera sur ces personnes ! Notre majorité l'avait supprimée en 2014, nous n'avons pas changé d'avis et ne souhaitons pas multiplier les taxes à l'excès.

Autre point de désaccord : l'exécution des peines. La loi prévoit qu'une peine d'emprisonnement peut ne pas être effectuée. Aurait-il fallu confier au juge de l'application des peines la charge de préciser le niveau de privation de liberté, lorsque la peine infligée en prévoit une ? La peine ne vise pas qu'à sanctionner, elle doit aussi permettre d'éviter la récidive, voire préparer la réinsertion. Or 60 % des personnes condamnées à de très courtes peines d'emprisonnement récidivent... Le sujet de l'exécution des peines mériterait à lui seul une mission d'information spécifique, notamment pour réfléchir au positionnement des tribunaux correctionnels, qui consacrent très peu de temps à l'affaire. Nous n'avons pas de désaccord absolu sur ce point, mais une façon un peu différente d'appréhender les choses.

Enfin, il y a une dernière chose, que nous avons entendue partout sur le terrain et qui pourrait constituer une 128ème proposition du rapport : il faudrait arrêter de voter de nouvelles lois que la justice ne peut absorber !

Nous avons quelques réserves sur l'évaluation qualitative et quantitative des juridictions. Il faudra amener la justice, au sein des conseils de juridiction, des assemblées générales de magistrats, à s'interroger sur l'accueil des justiciables et sur ses relations avec les autres administrations. Il faudra aussi voir la place des chefs de juridiction, sans méconnaître le rôle des directeurs de greffe, et l'indépendance des magistrats. Ces sujets sont complexes, ces propositions sont d'ailleurs prudentes.

Nous ferons sur tous ces sujets une contribution écrite.

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