La collectivité de demain facilitera la vie administrative des usagers. Partout, nos concitoyens réclament des rapports plus simples et plus fluides avec l'administration. Ils veulent des services plus efficaces, plus disponibles et moins chers. Nous, responsables de collectivités, y avons aussi intérêt.
C'est en particulier grâce à l'outil numérique que les administrations se modernisent. Les collectivités sont souvent bien accompagnées dans la transition numérique : par exemple, le syndicat intercommunal Alpes-Méditerranée met à disposition de ses membres une chaîne complète d'outils de dématérialisation. L'administration en ligne est un levier de simplification. La communauté d'agglomération de Saint-Omer propose ainsi une plateforme complète de services et de démarches en ligne qui facilitent la vie quotidienne des usagers. De plus en plus de collectivités se lancent dans des démarches similaires. Dans la communauté de communes de Parthenay-Gâtine, dans les Deux-Sèvres, une large palette de services est offerte depuis 2015 aux usagers grâce à une Carte de vie quotidienne. Les administrés peuvent accéder à de nombreux services et les payer : restauration scolaire, crèche, médiathèque, ludothèque, piscine, déchèterie, salles de sport, salle polyvalente, bâtiments administratifs. En matière de simplification administrative quotidienne, on peut désormais compter sur les technologies numériques pour fournir de l'information fiable, rapide, disponible en temps réel et actualisée. C'est cela, la ville connectée.
Je m'arrêterai un instant sur l'exemple de l'Estonie, pays modèle en matière d'administration numérique. Cet État, de la taille d'une région française, est devenu une référence mondiale dans la dématérialisation des services publics. J'ai vu comment fonctionne concrètement leur carte d'identité électronique, l'ID-kaart, obligatoire à partir de 15 ans, et qui sert notamment de document d'identité, de carte électorale, de carte d'assurance maladie, de permis de conduire et de titre d'abonnement aux transports publics. C'est le principal outil des Estoniens pour payer leurs impôts, leurs contraventions, leurs frais de stationnement, pour réaliser des prescriptions médicales - avec 8 millions d'e-ordonnances par an -, pour établir un contrat de travail - avec 4 millions de signatures par mois -, et même pour voter : l'Estonie a été le premier pays à introduire le vote électronique pour un scrutin local en 2005 puis national en 2007. Au total, 99 services publics étatiques sont accessibles par internet et sur les appareils mobiles. Tout peut être fait à distance - hormis se marier, divorcer ou procéder à une opération immobilière. Toutes les personnes rencontrées étaient unanimes : cette carte a simplifié la vie quotidienne des usagers et encouragé les affaires.
La simplicité du dispositif a été le leitmotiv des présentations qui nous en ont été faites : il n'y a qu'un seul point d'accès, une seule page qui héberge les 600 services accessibles ; les usagers ne fournissent aux administrations leurs informations personnelles qu'une seule fois, à charge pour les administrations de se transmettre les données, en informant toujours l'usager ; les personnes qui n'ont pas internet accèdent aux services grâce à des points d'accès mobiles sur le territoire - même si 88% des habitations sont couvertes en très haut débit, il y a des aires de wi-fi gratuit dans tout le pays. On nous a vanté une réussite, qui coûte certes 50 millions d'euros par an en fonctionnement et qui mobilise mille personnes. Mais les résultats semblent positifs : les opérations électorales sont 2,5 fois moins chères qu'avant ; le taux de recouvrement des impôts et des taxes est le plus élevé au monde ; il y a un tiers de moins de file d'attente dans les hôpitaux. Au total, la e-administration aurait permis une économie de 2% du PIB.
Reste la question importante de la cyber-sécurité. En 2007, le pays a subi une cyber-attaque, sans doute en provenance de la Russie. Les autorités développent donc des systèmes de secours avec des serveurs extérieurs de stockage de données. J'ai pu visiter l'agence en charge de la sécurité du système : sa responsable nous indiquait que désormais, en cas d'attaque, 70% des services ne seraient pas impactés. Du fait de cette avance technologique, l'OTAN a implanté ses bases de recherche sur la e-sécurité en Estonie.
Les technologies numériques constituent, enfin, une opportunité de développement de la participation citoyenne. D'une part, elles encouragent l'émergence de services publics plus collaboratifs, basés sur le partage et l'échange d'informations. La métropole de Montpellier a ainsi lancé, l'année dernière, une plateforme open data destinée à ouvrir aux citoyens des données publiques en matière de transports, d'aménagement du territoire, de culture ou encore d'administration locale, afin d'améliorer leur vie quotidienne.
D'autre part, les nouvelles technologies encouragent l'émergence d'une agora numérique au service de la démocratie de proximité. Loin de se substituer aux élus locaux, dont la légitimité n'est pas remise en cause par nos concitoyens, ces outils de participation constituent une des réponses à la désaffection du politique qui touche notre démocratie. La ville de Mulhouse a ainsi créé en 2015 une plateforme numérique de participation citoyenne au service de la démocratie locale.
Les nouvelles technologies concerneront aussi la santé et l'aide aux personnes âgées dans la ville de demain. La révolution du secteur de la santé a déjà commencé. Même si l'essor de la télémédecine est encore timide, c'est un formidable espoir pour répondre au défi des déserts médicaux. Nos voisins norvégiens l'expérimentent depuis plus de quinze ans, pour offrir aux populations des territoires les plus reculés des services de diagnostic et de soins à distance. En France, comme on nous l'a hélas confirmé, l'État et la Sécurité sociale ne l'ont pas encouragé, sans doute par peur d'un débordement des coûts liés aux téléconsultations. Heureusement, des collectivités se lancent dans des expérimentations locales. Dans la région Languedoc-Roussillon, une plateforme de télé-expertise et de téléconsultation a été déployée pour une prise en charge plus rapide des accidents vasculaires cérébraux dans les déserts médicaux.
Les innovations ne se limitent pas aux outils de prise en charge médicale. Le centre hospitalier-universitaire (CHU) de Toulouse expérimente une application smartphone permettant aux patients de bénéficier à distance de nombreux services : demande d'informations, contacts en cas d'urgence, prise de rendez-vous. La métropole de Nice a construit un « quartier général de la santé connectée » pour sensibiliser les entreprises, les experts, les praticiens et les patients à l'utilisation des outils numériques, en particulier la domotique, au service de l'accompagnement de la perte d'autonomie et du bien-vieillir.
Autre démarche originale, la ville de Grenoble teste un système de micro-capteurs embarqués sur les tramways pour mesurer la qualité de l'air. Les innovations technologiques des villes intelligentes peuvent ainsi être mises au service de la santé des citoyens.
Enfin, le territoire de demain sera sans doute plus sûr. En quelques années seulement, le domaine de la sécurité a été bouleversé par les nouvelles technologies : le numérique, les drones, les caméras... Les applications au service de la protection des personnes et des biens se sont perfectionnées. Parallèlement, le besoin de sécurité de nos concitoyens n'a jamais été aussi fort, en particulier face au terrorisme. Confrontées à ce risque, de nombreuses collectivités territoriales ont vu leurs dépenses augmenter. Mais la protection de nos concitoyens concerne aussi d'autres types de risques, industriels ou environnementaux. Là encore, la sécurité passe de plus en plus par des solutions techniques assistant les moyens humains de surveillance et de contrôle, notamment à travers l'utilisation des outils numériques. La gendarmerie du Nord nous a détaillé l'expérimentation Néogend, déployée avec succès depuis 2015 : les gendarmes sont individuellement équipés de tablettes, de smartphones, de terminaux informatiques embarqués dans les véhicules pour réaliser leurs missions quotidiennes : interrogation des fichiers à distance, contrôles d'identité, établissement de procès-verbaux... Les forces sur le terrain bénéficient d'une information en temps réel et voient leur capacité d'intervention augmenter. Les collectivités pourraient s'en inspirer pour leurs forces de police municipale.
Autre outil ayant connu un essor rapide ces dernières années : la vidéo-protection. Dans de nombreuses municipalités, grandes villes comme Nice ou villes moyennes comme Charleville-Mézières, des caméras ont été déployées par les autorités pour lutter plus efficacement contre la délinquance.
Face aux risques naturels, les nouvelles technologies sont aussi des alliés précieux. Dans les Bouches-du-Rhône, la brigade des sapeurs-pompiers est désormais épaulée par des drones. Équipés de capteurs infrarouges, ils détectent précisément les départs de feu et permettent de délimiter plus aisément et plus finement le périmètre des incendies déclarés. À la suite des inondations meurtrières de 2002, la ville de Nîmes, dans le Gard, a mis en service un système de surveillance numérique des précipitations par collecte d'informations météorologiques, afin de mieux anticiper les risques d'inondation. Le niveau des cours d'eau est observé en temps réel, et les autorités locales peuvent décider rapidement.
De nombreux projets innovants existent dans le domaine de la sécurité, et les exemples étrangers ne manquent pas. La ville américaine de Sandpoint, dans l'Idaho, teste une route intelligente équipée de panneaux photovoltaïques et de lampes à diodes électroluminescentes, capable de faire fondre la neige et le verglas mais aussi d'informer en temps réel les automobilistes, par des messages lumineux diffusés par un éclairage LED, sur les obstacles et les dangers sur la route ou les risques d'accident. En France, la commune de Tourouvre-au-Perche, en Normandie, a inauguré en décembre dernier la première route solaire dans notre pays.
Les domaines d'application des nouvelles technologies semblent sans limites. Les exemples mis en lumière démontrent, s'il en était besoin, que les collectivités territoriales sont capables d'appréhender la modernité et qu'elles ne sont pas coupées du monde. Nos territoires sont autant de laboratoires où s'invente effectivement la ville du futur. Notre rapport mentionne les liens internet qui vous permettront d'aller chercher ces bonnes idées.
Attention, il ne s'agit pas de suivre aveuglement les nouvelles technologies : elles doivent être mises au service d'un projet de territoire, pour un territoire plus attractif, plus social, plus écologique. Leur développement doit prendre en compte un certain nombre de principes directeurs afin de réussir la transition vers la ville de demain.
Nous devons garantir la couverture numérique de tous les territoires. Il est inacceptable que subsistent dans notre pays des zones blanches ou des déserts numériques. L'intervention de l'État est indispensable pour contraindre les opérateurs à assurer un égal accès des usagers au numérique, quel que soit le territoire et pour veiller à la péréquation en faveur des territoires ruraux.
Il faut accompagner les populations dans la transition numérique. La précarité sociale se traduit souvent par une précarité numérique. L'indispensable démocratisation de ces outils suppose un accompagnement efficace des populations.
Avec l'essor du big data, la protection des données personnelles sera un enjeu majeur - je pense notamment aux données de santé. Cela nécessitera une politique globale de lutte contre le piratage.
Nous devrons soutenir les start-up innovantes. Les nouvelles technologies sont un formidable gisement d'emplois et beaucoup d'entreprises françaises sont positionnées sur des secteurs particulièrement innovants, méritant d'être encouragées par les pouvoirs publics.