Intervention de Luc Carvounas

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 29 mars 2017 : 1ère réunion
Présentation du rapport d'information de mm. jean-marie bockel et luc carvounas : « les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation »

Photo de Luc CarvounasLuc Carvounas, co-rapporteur :

Monsieur le président, je veux tout d'abord vous dire le plaisir que j'ai pris à travailler à vos côtés. C'est avec regret que je quitterai dans quelques mois le Sénat, pôle de stabilité dans nos institutions. Et vous pourrez compter sur moi pour défendre la haute assemblée à l'encontre de ceux qui auraient à son égard quelques idées malfaisantes !

Ce rapport était nécessaire : nos collectivités territoriales sont en première ligne pour faire face à ce fléau moderne qu'est la radicalisation violente, qui peut notamment mener au terrorisme religieux.

Il était nécessaire tout d'abord pour mieux appréhender cette notion complexe et diverse, la radicalisation. Nous avons mené de nombreuses auditions, passionnantes et instructives, auprès de nombreux spécialistes reconnus dans des disciplines très variées. Car cette notion de radicalisation nécessite de la transversalité pour être comprise et on ne peut se contenter d'explications simplistes ou univoques.

Il convient de rappeler que, en matière d'explication de la radicalisation, plusieurs écoles subsistent. Si chacun d'entre nous peut avoir sa préférence pour l'une ou l'autre, nous affirmons qu'aucune d'elles ne détient à elle seule une explication globale valable, mais que, dans le même temps, plutôt que de chercher à opposer ces différentes écoles, nous devons profiter des savoirs qu'elles professent de manière complémentaire à notre analyse.

Nous avons ensuite pu, sur le terrain, au cours de plusieurs déplacements enrichissants, rencontrer des acteurs de la prévention - élus, magistrats, acteurs associatifs - et découvrir des initiatives locales qui marchent et que nous vous devions de vous présenter. En effet, nous, les élus, locaux ou nationaux, nous connaissons l'importance de ces expériences locales, qui sont autant de laboratoires qui méritent que l'on se penche sur leurs méthodes et leur processus, pour s'en inspirer.

Car oui, il faut l'avouer, les pouvoirs publics en sont au début en la matière et nul n'a de solutions miracles. S'il peut y avoir des échecs - déjà, c'est que l'on aura agi -, il y a surtout des succès à faire connaître et à mettre en valeur, comme le fait ce rapport.

Enfin, parce que nos collectivités ont besoin d'être accompagnées et soutenues par l'État, nous étions obligés d'évoquer aussi le partenariat qui doit exister entre eux : la confiance comme esprit et méthode, et chacun dans son rôle, que ce soit en termes de financement, de partage d'informations, de formation des personnels, etc.

Mais, pour en venir au commencement, il convient d'expliquer les raisons qui ont conduit à l'existence de nos travaux.

Ceux-ci ont été suscités par la vive préoccupation des élus locaux relative à la radicalisation qui s'est exprimée à de nombreuses reprises, notamment lors du congrès des maires de 2016.

Comme l'illustre la consultation nationale auprès des communes et des départements menée dans le cadre du rapport, de nombreux élus perçoivent des signes de radicalisation, en particulier sous la forme de comportements de rupture avec l'environnement, notamment avec l'école ou la famille, d'attitudes à l'égard de certaines catégories de population - femmes, élus, détenteurs de l'autorité - ou des institutions en général.

Ils sont conscients du rôle irremplaçable des collectivités pour contribuer à la cohésion nationale et à la force de résilience-résistance du tissu local. Mais il leur manque souvent des clés de compréhension d'un phénomène qui, pour préoccuper la société française depuis au moins une décennie, n'est apparu de manière dramatique que très récemment sur le devant de la scène.

Les élus locaux sont par ailleurs sollicités par l'État de manière croissante pour agir, mais ils se sentent parfois démunis ou peu accompagnés.

Le rapport vise donc en premier lieu à mieux comprendre le phénomène de radicalisation pour le prévenir. Il s'agit d'en comprendre les motivations et les processus pour voir comment, le cas échéant, stopper ces processus. En revanche, le rapport ne traite pas du sujet très difficile de la déradicalisation proprement dite, sur lequel planche une mission de la commission des lois.

En matière de radicalisation, trop souvent, des visions simplistes et univoques ont mis les autorités, les élus et l'opinion sur de fausses pistes : pour certains, tout était de la faute des prisons, pour d'autres « l'imam Google » était le coupable, ou bien pour d'autres encore le dénuement économique et social expliquerait tout.

En réalité, ce phénomène est beaucoup plus complexe et divers. Certains, aujourd'hui plus prudents, disent qu'il y a autant de types de radicalisation que de radicalisés. C'est sans doute exagéré, et on ne peut se contenter de cette réponse, car cela bloquerait toute velléité d'action. Mais cette vision comporte une vérité de bon sens : il s'agit d'êtres humains avec toutes leurs complexités.

De nombreuses auditions ont été menées avec des sociologues - Sebastian Roché, Xavier Crettiez -, des psychologues et psychiatres - comme Serge Hefez -, des spécialistes de la dérive sectaire - Serge Blisko, notamment -, des spécialistes des questions culturelles et religieuses - Philippe d'Iribarne, par exemple -, mais aussi, bien sûr, avec les autorités de police, en particulier l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l'UCLAT.

Une table ronde des associations d'élus locaux, où étaient représentés l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, l'AMF, l'Assemblée des départements de France, l'ADF, l'Association des petites villes de France, l'APVF, et le Forum français pour la sécurité urbaine, le FFSU, a été organisée au Sénat.

Nous sommes allés sur le terrain, à la rencontre des élus, des préfets, des services de police, des associations de prévention et des magistrats concernés par la radicalisation : Sarcelles, Chalon-sur-Saône, Colmar. Et nous nous sommes également rendus à Bruxelles pour nous enquérir de la situation à Molenbeek-Saint-Jean et Vilvorde.

Nos premières conclusions sont les suivantes : la radicalisation est un phénomène complexe dont une part, mais une part seulement, peut être du ressort des collectivités territoriales. Cette part, c'est celle de la prévention pour des individus susceptibles d'être atteints ou déjà atteints, mais non encore profondément touchés par la radicalisation.

Si l'on met à part les cas, non négligeables, mais minoritaires, de dérives psychiatriques ou de dérives sectaires avérées, il faut prendre au sérieux le double défi lancé par la radicalisation : c'est d'abord un ensemble de convictions idéologico-religieuses fortes, embrassées par des individus conscients ; c'est ensuite un réseau d'individus insérés dans un terreau local dense et difficile d'accès. Pour parler clair en utilisant un mot simple, qui recouvre des réalités parfois diverses, ce terreau, c'est celui du communautarisme salafiste.

Cela pose le problème du communautarisme et du repli identitaire de certaines franges de la population. Le communautarisme n'induit pas nécessairement la radicalisation violente, mais la frontière entre salafisme dit « quiétiste » et pacifique et djihadisme est désormais très poreuse, et les radicalisés les plus dangereux ont été en contact avec des milieux salafistes. Même si le salafisme ne débouche pas sur l'action violente, il heurte brutalement les conceptions démocratiques et républicaines et distend, voire déchire, le tissu social qui lie des populations dont les élus ont la charge.

Tout cela signifie que le travail doit porter sur deux champs : prévenir la radicalisation violente, mais aussi, en amont, le communautarisme. C'est d'ailleurs l'une des leçons tirées de l'expérience belge de Vilvorde ou de Molenbeek.

En revanche, il doit être non moins clair que les collectivités n'ont pas à toucher au régalien ni à jouer un rôle qui est exclusivement celui de l'État. En dehors même du champ du renseignement, elles ne peuvent se substituer aux autres institutions, qui ont un rôle en jouer en la matière - éducation nationale sur le contrôle de la scolarisation à domicile ou des écoles hors contrat, etc.

Voici quelques chiffres de l'UCLAT sur l'état actuel du phénomène dans nos territoires.

Au total, 17 393 individus sont inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le FSPRT. Tous ces individus ne sont pas nécessairement contrôlés en permanence. Un certain nombre d'entre eux sont dits « clôturés » : les services estiment qu'ils ne nécessitent plus de surveillance, mais ils demeurent au FSPRT du fait des signes de radicalisation ayant été constatés. D'autres encore sont dits « en veille » : ils ne nécessitent plus de suivi actif, mais restent néanmoins attribués à un service.

Par ailleurs, 2 046 individus ont été formellement identifiés sur une zone de combat en Syrie et en Irak et 249 individus présumés décédés ont été recensés.

Les zones les plus touchées demeurent les régions d'Île-de-France - dont le Val-de-Marne -, des Hauts-de-France, du Grand-Est, de Provence-Alpes-Côte d'Azur et d'Occitanie, avec des départements culminant à plus de 200 signalements.

L'ouest de la France apparaît comme moins affecté par ces phénomènes.

Il faut noter enfin que, à part à La Réunion, où l'on recense entre 100 et 150 signalements, les territoires d'outre-mer apparaissent comme encore très peu touchés par ces phénomènes.

S'agissant des pistes d'action pour les collectivités territoriales, trois ensembles de recommandations peuvent être dégagés.

D'abord, les collectivités peuvent faire beaucoup en matière de prévention de la radicalisation en s'inspirant de la prévention de la délinquance.

Ensuite, il faut tirer les leçons des acquis de la politique de prévention de la délinquance et encourager les collectivités à se doter de stratégies territoriales de prévention de la radicalisation.

Enfin, il faut renforcer le partenariat avec l'État.

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