Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 9 mai 2017 à 9h35
Agriculture et pêche — Politique régionale - conséquences du retrait du royaume-uni pour la politique commune de la pêche et les perspectives de la politique de cohésion : communication de m. philippe bonnecarrère

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Dans cette communication, je voudrais dresser un rapide bilan des entretiens que nous avons eus, le président Jean Bizet et moi-même, à Bruxelles, lors de notre déplacement du 28 avril dernier. Deux problématiques, très différentes, mais éminemment complémentaires dans la perspective du Brexit, ont été abordées : l'avenir de la politique commune de la pêche, d'une part, et de la politique de cohésion, d'autre part.

Sur le premier point, nos entretiens faisaient suite à la réunion conjointe organisée avec la commission des affaires économiques au cours de laquelle les professionnels de la pêche nous avaient présenté leurs positions. Nous avions alors été surpris de découvrir l'ampleur des conséquences du Brexit pour le secteur de la pêche.

Nous avons eu, tout d'abord, des échanges particulièrement instructifs avec M. Karmenu Vella, le commissaire européen aux affaires maritimes et à la pêche, qui est maltais. Nous étions accompagnés par une délégation du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), conduite par son président, M. Gérard Romiti.

Dans le contexte du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, l'avenir de la politique commune de la pêche (PCP) suscite de vives inquiétudes, partout en France. Nous avons fait part, conjointement avec les professionnels français de la pêche, de notre vigilance sur trois points.

Le premier concerne l'accès aux eaux britanniques. Plus on remonte vers le nord, plus les eaux sont froides, et donc poissonneuses. Nos amis britanniques disposent donc d'un avantage dans ce domaine.

Deuxième point qui nous préoccupe : les modalités futures du système des quotas de pêche. Indépendamment de la question de l'accès aux eaux britanniques, le retrait du Royaume-Uni, qui dispose actuellement de quotas de pêche, imposera un réexamen des quotas de pêche fixés en 1983. N'étant pas spécialiste de ces questions, j'ai été surpris des chiffres qui nous ont été présentés : lorsque ces quotas ont été établis, notre flotte de pêche comptait 10 000 bateaux, alors que la flotte espagnole n'en avait que 5 000. Aujourd'hui, la situation est inversée : du coup, les quotas actuels nous sont rétroactivement plutôt favorables. S'ils sont remis en cause, la situation risque d'être un peu plus compliquée.

Le troisième point sur lequel nous devons rester vigilants est la gestion des ressources halieutiques, en particulier la pérennité du système de rendement maximal durable (RMD) auquel nos pêcheurs tiennent.

Bien que le Brexit vienne tout juste d'être déclenché par le gouvernement britannique, il faut, dès à présent, en anticiper toutes les conséquences, sur un horizon à moyen et à long terme. En effet, un « divorce conflictuel » pourrait saper la politique commune de la pêche, telle qu'elle a été construite depuis 1983.

Les risques de conflits commerciaux ou de mesures douanières de rétorsion ne doivent pas être mésestimés. Il en va de même pour les contentieux résultant des pratiques des pêcheurs britanniques. Le dossier de la coquille Saint-Jacques fournit une illustration, à petite échelle, des difficultés qui pourraient apparaître à grande échelle, à la suite du retrait britannique.

La pêche, qui représente dans notre pays 48 000 emplois au total, dont 18 000 emplois directs, sera l'un des secteurs de l'économie française les plus affectés par le Brexit. Dans notre malheur, nous constatons malgré tout que d'autres pays européens subiront encore plus fortement les conséquences du Brexit, en particulier les Pays-Bas et l'Irlande. De même, le secteur de la pêche n'étant pas homogène, les pêcheurs britanniques subiront parfois des conséquences négatives, en fonction des espèces pêchées.

À nos yeux, et contrairement aux arguments avancés par certains tenants du Brexit à l'occasion du référendum du 23 juin 2016, les pêcheurs d'un pays sortant de l'Union européenne ne sauraient se soustraire à toute règle et contrainte, au détriment des efforts réalisés par les professionnels des États membres de l'Union. Il faudra bien respecter une logique globale, notamment pour préserver la ressource halieutique, sinon il en résulterait très rapidement une situation anarchique, préjudiciable à tous.

À l'inverse, le marché intérieur européen doit voir ses acquis préservés et sa cohésion maintenue, aussi bien dans l'intérêt des professionnels de la pêche que des 450 millions de consommateurs qui y vivent. Les Britanniques sont structurellement exportateurs, l'accès au marché européen est donc stratégique pour eux.

Le président Jean Bizet a indiqué au commissaire Vella que notre commission défendra fermement ces principes auprès des autorités européennes durant les négociations à venir avec le Royaume-Uni. Pour simplifier, les pêcheurs français avaient demandé l'aide de notre commission pour faire passer l'idée qu'il ne faut pas accepter de négociation séparée sur la pêche. Ils estiment en effet que, si le sujet de la pêche fait partie de l'ensemble des sujets négociés dans le cadre du Brexit, leurs intérêts seront mieux préservés. J'ai le sentiment que l'enjeu porte autant sur la relation future avec les Britanniques que sur la réallocation éventuelle des quotas de pêche entre États membres.

Le commissaire Vella s'est montré très attentif à nos préoccupations : étant originaire d'un pays méditerranéen, il est très sensible à la question de la préservation de la ressource halieutique. Sur cette question, nous avons assisté à un duel feutré sur les liens avec le monde scientifique et les conditions dans lesquelles les statistiques sont établies. Quoi qu'il en soit, le CNPMEM a eu le sentiment qu'il avait pu, grâce à notre président, avoir un accès direct au commissaire européen et faire entendre ses préoccupations.

Après cet entretien consacré à la pêche, nous avons rencontré M. Nicola De Michelis, chef de cabinet de Mme Corina Cretu, commissaire européenne à la politique régionale.

J'ai eu l'occasion de m'exprimer devant vous très récemment à deux reprises, les 17 novembre 2016 et 9 février 2017, sur les grands enjeux de la politique de cohésion, deuxième politique de l'Union dont elle absorbe environ 30 % du budget.

Nous nous inquiétons de savoir si la prochaine programmation financière 2021-2027 permettra toujours de disposer de moyens dans ce domaine, ou si ceux-ci ne seront pas réalloués à d'autres politiques : défense, gestion des flux migratoires, lutte contre le terrorisme, etc, selon les nouvelles priorités de l'Union. Se pose également la question de la suite du plan Juncker qui, grâce à son fameux effet de levier, coûte moins cher que la politique traditionnelle de cohésion.

C'est un vrai sujet de politique intérieure : pour une grande part, la marge de manoeuvre financière de nos régions tient au fait qu'elles sont gestionnaires des fonds européens, ce qui contribue à leur légitimité sur le terrain. Si cette ressource financière venait à se tarir, la question du rôle de nos régions se poserait à nouveau.

On peut également craindre que la politique régionale de l'Union ne soit une « victime collatérale » du Brexit, faisant les frais du manque de ressources financières créé par le retrait du Royaume-Uni.

Que peut-on retenir de notre entretien ? Les travaux préparatoires de la Commission européenne ne sont pas achevés. Ils devraient déboucher, d'ici la fin de l'année, sur l'adoption de discussion papers, précisant quelques orientations. À ce stade, il est difficile d'indiquer le sens de l'évolution à venir.

La Commission européenne ne cache pas sa perplexité quant au faible pourcentage de consommation des crédits de la politique de cohésion : 20 % en moyenne, à ce jour, pour l'ensemble de l'Union. Nous pourrions évidemment répondre que la mécanique mise en oeuvre est d'une telle complexité qu'il n'est pas étonnant que cette consommation soit faible.

Malgré tout, la Commission européenne reste très attachée à la politique de cohésion. Elle considère qu'il s'agit d'une politique territoriale, de la seule politique européenne qui permet à l'Union européenne de montrer qu'elle aide les territoires, en « affichant » l'action européenne sur le terrain.

Je ferai une dernière observation sur le fond. La Commission européenne fait observer qu'il ne faudrait pas que nous nous focalisions trop sur le fait que notre pays est aujourd'hui contributeur net. Il nous a ainsi livré les prospectives statistiques de la Commission pour la période 2017-2025 : ces estimations montreraient que, en dehors de la région Île-de-France, le PIB par habitant des régions françaises connaîtrait un véritable décrochage, qui aurait pour effet de placer nos régions dans la moyenne, voire dans la moyenne basse des régions européennes en 2025. Autrement dit, la France aujourd'hui contributrice nette au budget européen pourrait devenir bénéficiaire nette !

Le deuxième volet de nos entretiens a porté sur la question de la simplification. La Commission explique de manière un peu désabusée que la procédure de contrôle « croule sous elle-même » et que, au-delà des questions de réglementation, le problème qu'ils ne parviennent pas à résoudre « est celui de la responsabilité financière de l'Union européenne vis-à-vis du Parlement européen ».

Plutôt que de se lancer dans la construction de nouveaux dispositifs en matière de simplification, le président Bizet et moi-même en sommes arrivés à la conclusion qu'il serait préférable de s'appuyer sur les règles nationales pour des pays comme la France, qui disposent d'une armature administrative et budgétaire suffisamment étoffée. C'est ce qu'on appelle une politique « de différenciation », bien que je lui préfère l'appellation de politique « d'équivalence ».

En d'autres termes, et pour prendre le cas de la France, il s'agit de se demander dans quelles conditions et selon quelles modalités la Cour des comptes européenne pourrait considérer les contrôles de la Cour des comptes française comme suffisants et équivalents aux leurs.

Sans doute pourrions-nous sur ce sujet, monsieur le président, adresser un courrier au président de la Cour des comptes, Didier Migaud, pour le sensibiliser à l'importance de ce dossier et tenter d'obtenir de la part de la Commission européenne une normalisation du standard de contrôle en matière de gestion des fonds de cohésion. Il s'agit certainement de la piste la plus intéressante pour avancer sur cette question.

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