Intervention de Catherine Procaccia

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 28 mars 2017 à 16h30
Examen du projet de rapport présenté par m. jean-yves le déaut député et mme catherine procaccia sénateur sur « les enjeux économiques environnementaux sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche »

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'OPECST :

De nombreuses maladies ont des causes génétiques. « Réparer » le génome constitue un espoir et une piste thérapeutique prometteuse. Les premières recherches sur le génome humain à but thérapeutique ont débuté à la fin des années 1990. Après la démocratisation du séquençage du génome, après vingt ans de thérapies géniques, après les techniques des doigts de zinc et des TALEN, CRISPR-Cas9 fait naître de grands espoirs pour soigner non seulement des maladies génétiques, mais aussi le cancer, le sida et d'autres maladies très répandues comme la drépanocytose, Alzheimer, Parkinson, le diabète, l'obésité....

Quelque 80 % des 7 000 maladies rares, ont une origine génétique et même monogénique. Trois millions de personnes sont concernées en France et 30 millions à l'échelle européenne. Le diagnostic préimplantatoire (DPI) permet d'éviter certaines maladies mais pas toutes, il ne résout pas tous les cas et il ne les corrige pas.

La baisse significative du coût des recherches aves CRISPR a permis la multiplication des projets à travers le monde. Les premiers essais cliniques sur certains des patients sont attendus aux États-Unis en 2017 (cancer et amaurose congénitale de Leber). En Chine, des essais cliniques auraient été effectués en 2016 pour le cancer. Une petite fille d'un an et demi, Layla, atteinte de leucémie aiguë lymphoblastique incurable, a été traitée à titre « compassionnel » et guérie, au Royaume-Uni en 2016, grâce à la technique des TALEN mise au point par la société française Cellectis. L'OMS n'a malheureusement pas mesuré l'enjeu de ces technologies et n'a pas réactivé son programme de génomique humaine, dormant depuis plus de dix ans.

Ces modifications du génome peuvent provoquer des imprécisions dues à des effets hors cible, c'est-à-dire des coupures à d'autres endroits du génome. Ils ne peuvent être tolérés lorsqu'il s'agit de l'homme. Tous les scientifiques interrogés ont répondu que ces effets hors cible avaient déjà considérablement baissé et n'étaient maintenant pas plus nombreux que les variations qui surviennent naturellement au quotidien dans un organisme vivant, ne serait-ce que par l'effet du soleil. C'est plutôt le transfert du gène modifié dans la cellule, ou l'inoculation par un vecteur qui, pour l'instant, s'avère complexe.

Ces technologies posent cependant des questions éthiques et doivent conduire les États à s'interroger sur les règles. Il faut distinguer les interventions sur les cellules somatiques, qui ne concernent que le patient que l'on traite, de celles sur les cellules germinales, qui sont transmissibles à la descendance. L'article 13 de la convention d'Oviedo interdit de modifier le génome de la descendance, mais peu de pays au monde l'ont signée même si beaucoup l'appliquent. L'INSERM, l'Académie de médecine française, les académies américaines..., toutes les instances compétentes émettent des avis avec une grande convergence : il faut continuer les travaux de recherche, mais ne pas toucher à la lignée germinale humaine dans les traitements cliniques. De rares oppositions se manifestent, comme l'association Alliance Vita en France qui demande un moratoire, y compris sur les recherches fondamentales.

Les législations nationales de bioéthique sont très diverses, plutôt restrictives en Europe, notamment en Allemagne - à l'exception notable du Royaume-Uni -, plutôt permissives aux États-Unis et surtout en Chine, où l'application effective du droit en vigueur pose problème. Les États-Unis se prononcent pour une autorégulation dans le cadre d'une recherche responsable.

Le Royaume-Uni a autorisé, en 2015, le transfert mitochondrial, une réparation génétique sur un élément périphérique de la cellule humaine et faisant intervenir un tiers donneur. Les premiers essais cliniques ont eu lieu au Mexique et en Ukraine. La réparation entraîne une modification héréditaire, mais le futur enfant aura toutes les caractéristiques génétiques de son père et de sa mère, puisque l'ADN mitochondrial représente moins de 1 % de la quantité totale d'ADN.

Nous estimons qu'il faut continuer les recherches, qu'un moratoire n'est ni souhaitable, ni possible. Il n'est cependant pas acceptable de modifier la lignée germinale humaine pour l'améliorer ou l'« augmenter », selon les thèses transhumanistes. Beaucoup de chercheurs pensent que, lorsque ces technologies seront sûres, il sera difficile d'interdire des modifications héréditaires du génome humain, au cas par cas, afin de soigner une maladie grave ou incurable. Cette décision devra être prise après une nécessaire concertation élargie avec la société civile. OMS et UNESCO devraient s'entourer d'un comité permanent d'experts sur le modèle du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui aurait pour mission d'évaluer le degré de maturité des nouvelles thérapies géniques, d'en apprécier les enjeux sanitaires et éthiques et de proposer des lignes directrices. En France, les règles de sécurité et d'éthique sont suffisantes, il n'est pas nécessaire de créer des règles spécifiques pour évaluer ces techniques de modification ciblée du génome humain. Le réexamen de la loi de bioéthique prévu en 2018 doit être l'occasion de poser la question du transfert mitochondrial.

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