Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 28 mars 2017 à 16h30
Examen du projet de rapport présenté par m. jean-yves le déaut député et mme catherine procaccia sénateur sur « les enjeux économiques environnementaux sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche »

Jean-Yves Le Déaut, président :

Les techniques de modification ciblée du génome pourraient avoir des applications révolutionnaires dans l'agriculture. Comme on l'a vu, elles consistent à introduire des modifications génétiques très précises qui permettent d'accélérer la vitesse de sélection. Elles représentent une rupture fondamentale par rapport aux « anciens » OGM, dans la mesure où elles pourraient se produire naturellement et sont d'ailleurs quasi-indétectables. Elles s'inscrivent dans le droit fil de l'histoire de l'agriculture, avec 10 000 ans de sélection végétale. Les traits recherchés ne concernent plus seulement la résistance au glyphosate (Roundup) ou l'amélioration de la productivité, comme pour les OGM actuels développés par les multinationales, ils peuvent améliorer la qualité nutritionnelle des aliments (acide gras de type oméga-3), procurer une résistance accrue aux pestes et aux ravageurs, au stress hydrique, au réchauffement climatique ou à la salinité des terres, allonger la durée de conservation « sur étagère » (champignon qui ne brunit pas)... Les plantes modifiées permettent en particulier de diminuer, voire de supprimer, l'utilisation de produits phytosanitaires potentiellement toxiques.

Des espèces végétales créées avec la modification ciblée du génome (TALEN) sont déjà autorisées sur le continent américain. Partout dans le monde - sauf en Europe ? - les projets se multiplient de façon exponentielle avec le système CRISPR-Cas9. Les projets d'animaux modifiés voient également le jour : cochons résistants aux bactéries pathogènes, vaches sans cornes (diminution de la souffrance animale), vaches au lait anallergique et maternisé. Le premier saumon génétiquement modifié, qui grandit deux fois plus vite, a été commercialisé aux États-Unis et au Canada en 2016. Certaines de ces techniques devraient être régulées, voire interdites, d'autres favorisées.

L'histoire des OGM en France et en Europe est l'histoire de renoncements successifs qui ont conduit à un blocage généralisé, alors qu'ils se développent dans les autres parties du monde. Les premiers essais aux champs de plantes transgéniques ont été réalisés en 1983 aux États-Unis, en 1986 en France. La première directive européenne sur les OGM date de 1990. En 1995, la France accorde la première autorisation de maïs transgénique résistant à la pyrale et tolérant aux herbicides. Mais dès 1996, les premières polémiques arrivent jusqu'au sommet de l'État et, depuis 1997, les gouvernements successifs interdisent les cultures OGM en plein champ (au mépris des autorisations européennes), alors que sont autorisées les importations et la consommation des mêmes plantes OGM... Pendant vingt ans, cette polémique prendra des proportions considérables avec deux camps irréconciliables, sur fond de « faucheurs volontaires » qui saccagent en une nuit des années de recherche. Alors qu'à la fin des années 1990, on comptait plus de 800 essais de culture d'OGM en France, le dernier essai en plein champ s'est terminé en 2013 avec l'arrêt par l'INRA de ses cultures de peupliers près d'Orléans. Lors du Grenelle de l'environnement de 2007, un accord tacite entre le Gouvernement et plusieurs associations prévoit que la question du nucléaire ne sera pas abordée en contrepartie de l'invocation de la clause de sauvegarde contre le maïs Mon810... Nous avons voté, en 2008, une loi « relative aux OGM » qui ne sert à rien. En 2012, l'« affaire Séralini » a vu un scientifique publier un article concluant à la toxicité d'un maïs OGM sur des rats, puis retiré par l'éditeur, fait rarissime, pour insuffisance de puissance statistique et choix d'une souche de rats présentant des tumeurs de façon spontanée. Malgré un désaveu scientifique général, la presse et l'opinion publique en restent durablement marqués.

Les nouvelles techniques de sélection végétale ne sont pas opposées mais complémentaires des méthodes d'agroécologie telles que préconisées par le Gouvernement dans le rapport « Agriculture - Innovation 2025 » de novembre 2015, et par la FAO, lors de deux symposiums internationaux organisés en 2014 et 2016. On aurait pu penser que ces nouvelles biotechnologies allaient surmonter les polémiques sur les OGM. Ces techniques offrent une occasion de s'affranchir des technologies des grandes entreprises multinationales, qui sont orientées vers des rendements toujours plus élevés sans rechercher de mode de production durable. L'un des défenseurs européens de l'agriculture biologique, M. Urs Niggli, directeur de l'Institut suisse de recherche sur l'agriculture biologique (FIBL), estime que les nouvelles biotechnologies ont un « grand potentiel » pour les sélectionneurs et les agriculteurs bio. M. Michel Griffon, lors de l'audition publique de l'OPECST, estimait que les « nouvelles biotechnologies végétales offrent des opportunités très intéressantes pour consolider une agriculture ancrée dans une vision écologique de la production végétale. » Les nouvelles techniques de sélection végétale peuvent être appropriées par les pays du Nord comme du Sud, par les multinationales comme par les structures de plus petite taille.

Les OGM sont définis juridiquement au niveau européen dans la directive n° 2001/18 : « organisme dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement ». En sont exclues les techniques de mutagenèse par irradiation ou exposition chimique, utilisées sans problème depuis des dizaines d'années et non soumises aux obligations d'évaluation, de surveillance et d'étiquetage. Or la Commission européenne ne cesse de reporter, depuis dix ans, la qualification juridique des nouvelles techniques de sélection végétale. Après un avis demandé à un groupe de travail en 2011, un nouvel avis est maintenant demandé au groupe d'experts « SAM » auprès du président de la Commission européenne et, dernièrement, un nouveau délai a été créé par le renvoi préjudiciel du Conseil d'État français devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dont la décision est attendue en... 2018. Les États membres également se « repassent la patate chaude » : depuis vingt ans, ils ne prennent pas leurs responsabilités dans les comités d'experts, laissant la Commission européenne seule décider au nom des vingt-huit, et bloquant ainsi le fonctionnement du processus d'autorisation des OGM. L'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA), qui coordonne les évaluations relatives aux OGM, a reçu mandat de la Commission européenne de suspendre l'évaluation des nouveaux procédés de sélection des plantes. Cette agence a même renforcé ses protocoles d'évaluation à la suite des publications de M. Séralini, dont on a dit la faiblesse scientifique. Dernière reculade, en mars 2015, la modification de la directive européenne n° 2001/18 permet maintenant à chaque État membre d'interdire, pour des raisons autres que sanitaires ou environnementales, la culture sur son territoire national d'une plante génétiquement modifiée qui aurait pourtant reçu une autorisation au niveau européen. Résultat : les cultures OGM en Europe sont marginales, alors que l'alimentation animale est dépendante des importations de soja génétiquement modifié...

Les biotechnologies vertes constituent une filière économique importante au niveau mondial. Les États-Unis, le Brésil et l'Argentine en profitent largement. Le refus européen des OGM végétaux a conduit les entreprises et les chercheurs à se délocaliser sur d'autres continents, notamment américain : c'est le cas pour la coopérative française Limagrain, mais aussi pour les sociétés allemandes Bayer et BASF. L'INRA, un temps leader des plantes génétiquement modifiées, n'a plus qu'un seul projet relatif au génie génétique, Genius, sans possibilité de faire des essais en plein champ. Or, les nouvelles techniques de sélection végétale, avec la baisse de leur coût, constituent une occasion pour l'Europe de se réapproprier cette filière.

Cent prix Nobel ont publié, en juin 2016, une déclaration à l'adresse de Greenpeace, des organisations internationales et des gouvernements du monde entier pour un plus grand usage des techniques modernes de sélection végétale. Pour eux, ne pas le faire constituerait un « crime contre l'humanité ». Les projections de la FAO suggèrent qu'en 2050, la production agricole devrait augmenter de 60 % globalement pour répondre aux demandes alimentaires d'une population accrue de 2 milliards de personnes. Pourtant, la FAO semble paralysée par les dissensions entre ses membres et a jusqu'à ce jour échoué à lancer un plan d'action pour utiliser le potentiel des biotechnologies vertes pour relever ces défis.

L'évaluation sanitaire et environnementale des OGM a été réalisée en 2016 par l'Académie des sciences américaine. Une méta-analyse portant sur les publications relatives aux OGM depuis vingt ans montre qu'il n'y a jamais eu un seul cas confirmé d'un résultat négatif sur la santé pour les humains ou les animaux dû à leur consommation. Ni d'ailleurs de conséquence négative sur l'environnement ou la biodiversité. Les résistances des mauvaises herbes et des ravageurs par contre sont avérées, mais il s'agit d'une lutte perpétuelle aussi ancienne que la vie et les mauvaises pratiques agricoles en sont sans doute la cause principale.

Nous soutenons le développement des nouvelles techniques de sélection végétale, qui se fera de toute façon en dehors de l'Europe. Nous estimons qu'elles ne sont pas des OGM au sens de la directive européenne n° 2001/18. Nous proposons dans un tableau une classification de ces nouvelles biotechnologies au regard de la règlementation. Il serait aberrant que des techniques plus précises que les mutations spontanées ou que celles utilisant des technologies aléatoires de la mutagenèse (exemptées de procédure lourde d'évaluation par l'EFSA) soient soumises à des procédures d'évaluation identiques à celles de la transgenèse. Il faut adapter les évaluations aux risques encourus.

Nous avons étudié deux cas spécifiques : les vignes résistantes et les huîtres triploïdes.

L'INRA a développé depuis trente ans, par sélection végétale classique, des variétés de vignes résistantes aux champignons oïdium et mildiou et conservant leurs qualités oenologiques. Ces variétés permettraient de réduire fortement l'utilisation des fongicides, notamment le sulfate de cuivre, dont la toxicité est réelle. Nous nous prononçons pour un classement rapide des nouveaux cépages dans le catalogue officiel, afin de procéder à leur exploitation commerciale. Nous estimons que l'utilisation des techniques de modification ciblée du génome permettrait d'étendre les traits de résistance aux autres cépages, comme ceux utilisés dans le champagne ou le cognac, sans attendre vingt années de sélection classique.

L'IFREMER a développé et permis la mise en culture d'huîtres triploïdes, résultats d'une modification génétique obtenue par sélection classique. Les critiques relatives à la surmortalité subie par ces huîtres ou à leur caractère invasif n'ont jamais été démontrées scientifiquement. Nous nous prononçons pour la poursuite des recherches et le renforcement de la biovigilance des huîtres. Nous estimons que la coexistence des différentes façons de cultiver des huîtres, écloserie-nurserie et ostréiculture traditionnelle, n'est pas menacée par les huîtres triploïdes. Nous souhaitons le développement des biotechnologies dans le secteur de l'ostréiculture, afin de mieux connaître la biologie des huîtres et pouvoir faire face aux risques que constituent les virus, les changements climatiques ou les pollutions marines.

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