Intervention de Catherine Procaccia

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 28 mars 2017 à 16h30
Examen du projet de rapport présenté par m. jean-yves le déaut député et mme catherine procaccia sénateur sur « les enjeux économiques environnementaux sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche »

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'OPECST :

La propriété intellectuelle de ces biotechnologies constitue un enjeu économique important. Les brevets détenus par les grandes multinationales en agriculture génèrent d'énormes enjeux financiers. S'agissant de CRISPR-Cas9, dont les applications sont multiples dans les domaines de la santé, du végétal ou de l'environnemental, l'enjeu est particulièrement important.

Deux camps se disputent la propriété intellectuelle initiale de CRISPR-Cas9, d'un côté Emmanuelle Charpentier (en son nom propre) et Jennifer Doudna (UC Berkeley), et de l'autre Feng Zhang (Broad Institute à Boston). Le différend est parti pour durer des années, malgré la reconnaissance des droits de Feng Zhang en première instance par l'Office américain des brevets en février 2017. Il ne devrait cependant pas gêner les activités de recherche. Sans oublier, en toile de fond, l'attribution potentielle du prix Nobel à l'un ou plusieurs d'entre eux.

On constate depuis 2012 un accroissement important des demandes de dépôts de brevets pour la propriété intellectuelle des applications de CRISPR-Cas9 et des autres biotechnologies, principalement aux États-Unis et en Chine, l'Europe et les autres pays restant loin derrière.

En Europe, la jurisprudence des chambres de recours de l'Office européen des brevets (OEB) montre une interprétation restrictive de la brevetabilité des éléments du corps humain et des séquences de gènes humains.

Quant aux nouvelles plantes, le droit européen connaît deux systèmes : le brevet et le certificat d'obtention végétale (COV). Les deux systèmes sont complémentaires : l'un des systèmes de protection englobe ce qui n'est pas protégeable par l'autre.

De fait, seules les plantes « autogames » (soja, blé..) permettent aux producteurs de conserver les semences d'une année à l'autre. Pour les plantes « hybrides » (maïs, coton, tournesol...), cela n'est pas pratiqué car cela entraînerait une baisse de rendement et une perte de recettes supérieure au coût de rachat de nouvelles semences. La technologie de stérilisation des semences, dénommée gène « Terminator » par les médias, qui empêche de replanter, est restée dans les laboratoires Monsanto, détenteurs des brevets, s'étant engagés en 1999 à ne pas la commercialiser.

Nous refusons la brevetabilité des gènes. Nous souhaitons donc que l'Union européenne et les États membres soutiennent davantage en matière de sélection végétale un système d'innovation ouvert, adossé au certificat d'obtention végétale (COV). C'est le seul système qui favorise la recherche et valorise les ressources génétiques. Il faut trouver un juste milieu entre un système très contraignant de domination de grosses firmes agro-chimiques et un système alliant producteurs, État et industrie semencière, qui contrôle la propriété intellectuelle et soutient la recherche.

Nous sommes persuadés que le développement et la facilité d'accès de la technique CRISPR-Cas9 devraient permettre à des petites structures de développer des semences qui, jusqu'à présent, en raison de leur coût, restaient le monopole des grosses firmes agrochimiques, avec des redevances souvent excessives.

La biosécurité recouvre deux réalités : la sécurité au sein même des laboratoires, avec les questions de confinement et de manipulations involontaires, et le bioterrorisme.

S'agissant du premier point, nous estimons qu'en France, comme dans les autres pays européens et occidentaux, les règles relatives aux laboratoires de recherche sont suffisamment sûres et que l'arrivée de CRISPR-Cas9 ne justifie pas un renforcement des règles de sécurité.

Par contre, la simplicité et le faible coût de la technique laissent craindre le développement de ce que l'on peut appeler la « biologie de garage ». En outre, les utilisations potentiellement malveillantes des biotechnologies, comme la création d'un virus ou d'une bactérie mutants, ou la modification d'un moustique par forçage génétique deviennent possible. Aux États-Unis, en 2016, la CIA a classé CRISPR comme une « arme de destruction massive », compte tenu du risque de bioterrorisme accru. Conscient de ces menaces, le Gouvernement français a créé en 2015 le Conseil national consultatif pour la biosécurité (CNCB).

La biosécurité des nouvelles biotechnologies constitue effectivement une menace qui doit être appréhendée aux niveaux européen et international. Nous préconisons un renforcement de la coordination des travaux de recherche civile et militaire, avec des moyens accrus sous le contrôle des parlementaires de l'OPECST et des commissions de la défense des deux assemblées.

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