Intervention de Philippe Bonnecarrere

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 28 mars 2017 à 14h30
Bilan d'étape — Échange de vues

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

Merci, chers collègues, de votre présence. Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui un bilan d'étape de notre mission d'information. Lors de la réunion constitutive, j'avais prédit un travail particulièrement riche et ambitieux ; cela se confirme ! Je vous propose de débattre des trois grands axes de notre travail - démocratie participative et son articulation avec la démocratie représentative, grands projets d'infrastructures, démocratie paritaire - l'un après l'autre.

Face au besoin de renforcer le lien de confiance entre les élus et les citoyens, dont certains aspirent à s'exprimer directement, nous nous sommes interrogés sur la représentation démocratique et la légitimité de la décision publique. Nous avons alors recherché les moyens permettant concrètement d'améliorer les procédures pour que des projets puissent aboutir dans notre pays.

À cette occasion, outre l'analyse des outils participatifs et l'amélioration de l'information et de l'association de la population, nous nous sommes plus précisément intéressés aux projets d'infrastructures et d'équipement d'envergure, d'une part, ainsi qu'aux relations entre la démocratie représentative et la démocratie sociale, d'autre part, pour que le « paritarisme de décision » facilite la conduite de réformes. La mission a ainsi concentré ses efforts sur les procédures et la bonne méthode permettant de mieux décider.

Certes, beaucoup d'autres éléments peuvent entrer en ligne de compte dans la légitimité et l'efficacité de la décision. Certains d'entre vous ont ainsi pu mettre en évidence les problématiques relatives à la représentation des citoyens, au statut des élus, avec la question de la transparence, de leur représentativité, de leur mode d'élection ou encore des conditions d'exercice de leur mandat, qui peuvent renforcer leur légitimité. Tout ne pouvait toutefois être abordé d'ici le mois de mai. Ces sujets pourront néanmoins constituer des pistes de réflexion complémentaires et être mentionnés en tant que telles dans le rapport. En outre, ils renvoient à des enjeux directement liés à nos institutions qu'il paraîtrait difficile d'aborder dans la période électorale actuelle. Enfin, cela outrepasserait les ambitions initiales de la mission d'information.

Pour les infrastructures, nous nous sommes concentrés sur les dispositifs juridiques et de concertation visant à proposer un déroulement serein de la procédure, sans nous intéresser au fond des projets, à leur opportunité ou encore aux mesures de compensation environnementale, même si ces éléments sont bien sûr indissociables de la réussite du projet.

S'agissant de la démocratie sociale, nous n'abordons pas le paritarisme dans sa globalité, déjà traité récemment dans de nombreux rapports. Nous nous concentrons sur le « paritarisme de décision » au niveau législatif, principalement dans le champ du code du travail. Nous n'abordons le dialogue social en entreprise et le paritarisme de gestion, concernant l'assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire, que si ces sujets ont un impact sur nos travaux. Les liens entre démocratie sociale et projet de loi de financement de la sécurité sociale sont exclus de notre analyse, compte tenu de l' « étatisation » de la sécurité sociale constatée depuis 1995.

La démocratie représentative demeure le socle de notre système politique, même si elle doit évoluer pour tenir compte de la volonté des citoyens de s'impliquer dans le processus de décision. Tous nos travaux, toutes vos interventions montrent que la démocratie représentative est « l'alpha et l'oméga » de la prise de décision publique, mais qu'elle connaît à l'heure actuelle de nombreuses critiques, beaucoup d'observateurs affirmant même qu'elle traverse une crise. S'agit-il d'une simple crise conjoncturelle, liée à des critiques visant des élus, ou, au contraire, d'une crise structurelle plus profonde ? En tout état de cause, on assiste à des phénomènes inquiétants, avec en particulier une montée de l'abstention et du vote contestataire, mais aussi l'expression de désaccords forts et persistants des citoyens vis-à-vis de positions défendues par leurs représentants. Tout ceci se traduit par des blocages nuisant à l'efficacité de la décision publique, à l'heure où notre pays a pourtant besoin d'avancer et de se réformer.

Parallèlement à cette défiance vis-à-vis des institutions représentatives, les citoyens - ou du moins certains citoyens - manifestent leur souhait d'être davantage associés à la prise de décision publique, à l'échelle tant locale que nationale. Cette implication ne s'explique pas seulement par une méfiance, voire une défiance de principe vis-à-vis de leurs représentants élus, mais aussi, plus positivement, par l'élévation de leur niveau d'information et d'éducation et par une volonté de changement. Le numérique a également favorisé cette tendance, réduisant la distance entre représentants et représentés.

Le nombre de dispositifs qui se sont développés à cet égard, depuis plusieurs décennies, est d'ailleurs assez impressionnant, au-delà des mécanismes plus anciens d'association des populations comme les conseils de quartiers et autres réunions publiques - que vous connaissez bien, chers collègues, pour les avoir beaucoup pratiqués... On voit ainsi apparaître des budgets participatifs, des ateliers de citoyens ou encore des consultations numériques. Parmi ces procédés, il faut distinguer les dispositifs descendants, issus de l'initiative même des représentants, et les dispositifs ascendants, créés par les citoyens eux-mêmes, pour interpeller leurs représentants : pétitions en ligne, civic techs, etc.

Plusieurs personnalités entendues en audition ont mis en évidence les risques inhérents à ces dispositifs participatifs, Marcel Gauchet indiquant par exemple qu'ils pourraient favoriser l'avènement d'une « vétocratie », où les décisions seraient systématiquement contestées. On peut en effet craindre une surreprésentation des plus motivés exprimant une opinion minoritaire, au détriment d'une majorité silencieuse. Les dispositifs participatifs ne conduisent pas non plus nécessairement à l'expression du plus grand nombre. Il est possible que ce soit toujours les mêmes citoyens qui y contribuent : les « TLM », « toujours les mêmes », réalité de terrain que vous connaissez.

Finalement, la démocratie représentative demeurerait le socle de notre processus décisionnel. À l'exception de la procédure particulière du référendum, l'élection resterait ainsi le meilleur moyen procurant la légitimité suffisante pour décider. La démocratie participative serait conçue comme un complément - et non une substitution - utile à la démocratie représentative. Pour autant, comme l'a dit Marcel Gauchet, la « légitimité de position » que confère l'élection ne suffit plus à garantir la « légitimité de décision ». Les élus doivent expliquer les projets et réformes envisagés, en apportant d'autres garanties que leur simple élection pour défendre leurs choix. Les procédures décisionnelles doivent tenir compte de cette nouvelle exigence.

Premier champ de réflexion : l'émergence d'une démocratie « continue » ou « permanente », où les décisions sont expliquées et les citoyens entendus en amont.

Quels que soient les sujets abordés - réforme d'une politique publique, modification du droit du travail, projet d'infrastructure - certains principes devraient être appliqués : l'élaboration d'un diagnostic partagé entre le décideur et les citoyens, entre partenaires sociaux et patronaux et le Gouvernement,... ; l'établissement de bonnes pratiques pour mener à bien un projet ou une négociation, au premier rang desquelles le partage d'information et la transparence, ainsi que le respect d'une méthodologie de la concertation. Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d'État, l'a rappelé lors de son audition devant la mission d'information : la société a besoin d'explications pour comprendre les réformes les plus complexes et leur donner du sens. Les dispositifs participatifs peuvent favoriser ce diagnostic partagé et renforcer la légitimité de la décision, aux côtés de l'étude d'impact et du travail des experts, par ailleurs indispensables.

Un large panel de mécanismes participatifs s'offre alors aux pouvoirs publics, à l'exemple des conférences de consensus et autres panels de citoyens qui, même s'ils reposent sur le travail d'un nombre restreint de personnes représentatives, ont le mérite de proposer un point de vue différent des experts et ne souffrent pas du risque de surreprésentation de « minorités agissantes ». L'outil numérique est également susceptible de favoriser la participation d'un nombre plus important de citoyens : la consultation organisée à l'occasion de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 constitue à ce titre une initiative intéressante qui pourrait être utilement réitérée à l'avenir.

Pour autant, des questions se posent alors : quelles formes cette consultation numérique des citoyens doit-elle prendre ? Faut-il la généraliser ou l'appliquer au cas par cas ? Qui peut provoquer cette consultation : les seuls représentants ou également les citoyens ? Qui doit en être le maître d'oeuvre au niveau national : le Gouvernement, avec transmission des résultats aux assemblées parlementaires, ou chaque assemblée de manière autonome ? Comment les résultats sont-ils traités et de quelle façon cette consultation s'insère-t-elle dans la procédure délibérative ?

En tout état de cause, les décideurs publics ne doivent pas utiliser ces dispositifs participatifs comme de simples moyens de communication ou d'adhésion de la population à leur solution. Les participants doivent avoir le sentiment d'être écoutés et de connaître les raisons pour lesquelles leurs positions ne sont finalement pas retenues si tel est le cas. Il importe aussi de développer la culture de la participation, chez les acteurs publics comme dans l'administration. De même, les méthodes pour une concertation réussie doivent être objectivées et partagées, tandis que les différents outils participatifs doivent être « panachés » en fonction du projet concerné.

Au-delà de la nécessité d'un réel engagement des représentants - suivi des propositions de la société civile, réponses à apporter aux propositions, coût budgétaire, etc. - et des citoyens - disponibilité suffisante, motivation forte... - la réussite des procédés participatifs est conditionnée à un niveau d'information correct de la population, alors que se développe le phénomène des fake news ou fausses informations, ouvrant la porte à l'ère de la « post-vérité », soit la coexistence d'une multitude de vérités propres à chaque personne.

Faut-il également aller plus loin en termes de participation des citoyens et envisager davantage de démocratie directe ? L'exemple suisse est intéressant : il est caractérisé par la banalisation du référendum, y compris d'initiative citoyenne. Il ne faut toutefois pas négliger l'importance de l'ancrage culturel de ce procédé dans la démocratie de ce pays, comme nous l'a démontré notre déplacement à Genève : il est permis de douter qu'une même pratique référendaire puisse être efficacement développée en France sans une acculturation préalable.

Dans certains pays européens, notamment du Nord, se développe également ce que l'on appelle l'initiative citoyenne : un sujet soutenu par un nombre significatif de citoyens doit être débattu par le Parlement. Faut-il envisager ce type de dispositifs en France, ou bien les décideurs publics doivent-ils conserver, non seulement la maîtrise de la décision, mais aussi le monopole de l'ordre du jour du débat public, au risque que l'expression populaire ne prenne une autre voie ?

En conclusion sur ce premier thème de la démocratie participative, nous sommes en train de changer de monde, de logiciel, mais il ne faut pas que le balancier aille trop loin et conduise à une refonte totale de notre démocratie. Je sollicite à présent vos avis sur ma présentation et, plus particulièrement, sur quatre points : la « co-construction », l'interpellation, la consultation numérique et le référendum. Je serais particulièrement prudent sur la « co-construction ». Je verrais d'un oeil plutôt favorable les mécanismes de pétition ou d'interpellation, quelques réserves mises à part. Je ferais preuve d'ouverture sur la consultation numérique, en particulier en amont du travail législatif. Je proposerais un « oui, mais » à l'extension du référendum : notre culture politique y mettant trop de dramaturgie, il faudrait commencer par le pratiquer au niveau local et prendre certaines précautions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion