Intervention de Philippe Bonnecarrere

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 28 mars 2017 à 14h30
Bilan d'étape — Échange de vues

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

En réponse à monsieur le président, je confirme que le terme de « concertation » occupera une large place dans le rapport.

Je vous ai fait part de mes réserves sur la « co-construction » qui me semble effectivement très compliquée à mettre en oeuvre. En outre, nous devons privilégier, sur ce type de questions, les raisonnements à droit constant, sans envisager de réforme de la Constitution.

J'en viens à la notion de consultation : sa réussite impliquerait qu'elle intervienne avant la délibération et qu'elle soit organisée sur la base du volontariat, sans nécessité d'adopter un texte contraignant. Pour un projet de loi, une étude d'impact et les modalités de consultation citoyenne devraient être définies par le Gouvernement et intervenir avant toute discussion.

Il faudrait systématiser les consultations comme celle qui a eu lieu pour la loi « République numérique » du 7 octobre 2016 ou comme celles mises en oeuvre par la Commission européenne. Ainsi, lorsqu'un projet de directive est présenté, un appel à contribution est lancé. Dans le cas français, je préconise qu'une synthèse soit présentée et que les contributions soient mises à disposition en open data. Le législateur doit être systématiquement éclairé par l'avis de nos concitoyens.

Sur les sujets de société, je propose la tenue de conférences de consensus ou de panels de citoyens, ce qui permettrait d'avoir une approche plus qualitative que celles proposées par les études d'impact.

En revanche, il faudrait écarter de ces différentes procédures des projets de loi de financement de la sécurité sociale ou des projets de loi de finances, car il serait extrêmement difficile de gérer les demandes particulières sur tel ou tel budget ou telle ou telle prestation.

Pour les propositions de loi, je propose que la commission saisie au fond puisse décider, ou non, si une consultation citoyenne s'impose. La mise en oeuvre de ces consultations citoyennes pourrait se faire à droit constant.

J'en viens au droit d'interpellation ou de pétition qui a été demandé par plusieurs organisations non gouvernementales. J'y suis favorable, sous réserve qu'un seuil minimum soit défini avant de permettre l'interpellation du Parlement. En outre, une sorte de cahier des charges permettrait de vérifier l'intérêt pour la représentation nationale de débattre de la question posée. Enfin, la commission compétente aurait un « droit de filtrage » sur les pétitions reçues. Ainsi, le Parlement ne deviendrait pas une juridiction d'appel pour les textes qui viennent seulement d'être adoptés. En effet, il serait dommage qu'une pétition remette en cause un texte adopté six mois auparavant. Nous ne pouvons passer notre temps à « tricoter » et « détricoter » des lois...En revanche, un droit d'interpellation doit permettre de débatte d'un sujet spécifique.

La question du référendum est complexe à traiter. Si vous souhaitez aborder ce sujet, il faut commencer par une phase d'acculturation, c'est-à-dire au niveau local. Nous devrons ensuite trouver les modalités d'une « banalisation ». À l'heure actuelle, le référendum se transforme en vote pour ou contre celui qui le propose. L'échec d'un référendum ne devra pas mener les élus locaux à démissionner.

Pour banaliser le référendum, il faudrait peut-être poser plusieurs questions à la fois. Il conviendrait aussi de demander quelles sont les collectivités territoriales candidates pour l'expérimenter au niveau local. Enfin, nous avons trop encadré les modalités des référendums locaux, si bien qu'il s'en fait rarement et que, lorsqu'un référendum a lieu, son résultat devient un enjeu politicien.

Il nous faudra donc être très prudent si nous voulons développer l'usage du référendum.

J'en viens maintenant au deuxième volet de ma réflexion qui concerne les projets d'infrastructures et d'équipements publics les plus structurants.

Sur ce sujet, la participation du public est un principe juridiquement reconnu depuis plusieurs décennies et désormais constitutionnellement consacré. Pour autant, cela n'empêche pas les blocages, les oppositions allant désormais jusqu'à la constitution de « zones à défendre » (ZAD).

Très récemment, les dispositifs législatifs ont évolué, sous l'effet de quatre ordonnances prises entre avril 2016 et janvier 2017, à la suite des travaux de la commission présidée par notre collègue Alain Richard, que nous avons d'ailleurs entendu en audition. Ces textes ont notamment pour vocation de regrouper certaines procédures (avec l'autorisation environnementale unique) et de renforcer la participation du public (avec la possibilité de consultations locales et la systématisation de la concertation préalable avec garant pour les plus gros projets). En outre, une charte de la participation du public a été élaborée fin 2016.

Si ces textes semblent aller globalement dans le bon sens, nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour apprécier leurs effets À titre d'exemple, l'autorisation environnementale unique est entrée en vigueur le 1er mars de cette année...

Ces dispositifs complexifient toutefois certaines étapes de la procédure. À moyen terme, ils devront donc faire l'objet d'une véritable évaluation pour peser leurs avantages et leurs inconvénients.

En pratique, les projets d'infrastructure et d'équipement cumulent encore les difficultés. On peut évoquer : la complexité des dossiers sur le fond ; la multiplication des procédures, qui semblent s'être sédimentées au fur et à mesure de l'adoption de nouveaux textes ; les délais très longs entre le moment où le projet est envisagé et sa mise en service, compte tenu aussi des difficultés à boucler son plan de financement... ; enfin, la mobilisation du public peut s'avérer décevante, en particulier lors de l'enquête publique, avec un risque de surreprésentation des opinions de « minorités agissantes ».

De nos travaux, il ressort que la réussite des projets implique surtout, encore une fois, une association du public le plus en amont possible, avec des modes d'expression diversifiés (réunions publiques, consultations numériques...), toujours dans le souci d'informer les citoyens en leur expliquant les projets, mais aussi d'entendre au plus tôt les éventuelles critiques. Il faut également favoriser, le plus possible, la continuité de la concertation, jusqu'à l'enquête publique, sans laisser de période creuse, afin de maintenir le contact avec la population.

Sur le long terme, nous devons examiner l'articulation entre le garant désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP) et le commissaire-enquêteur désigné par le tribunal administratif. À l'heure actuelle, nos concitoyens ne savent pas à quel moment ils peuvent intervenir dans la procédure. En outre, les rôles du commissaire-enquêteur et du garant ne sont pas identiques, ce qui est source de confusion. Pourquoi ne pas imaginer, à terme, instaurer un continuum entre concertation et enquête publique, un responsable unique suivant la procédure de bout en bout et dressant le bilan global des interventions et des remarques des uns et des autres ? Ce rapport serait adressé au maire, au préfet ou au ministre, responsables de la décision finale. Je proposerais donc, à terme, d'envisager une homogénéisation de ces procédures.

Au-delà de ce que le droit prévoit déjà, il semble également indispensable de renforcer la culture de la participation dans les projets d'infrastructures, mais aussi de favoriser l'appropriation du dossier technique par la population avec, par exemple, des documents plus accessibles pour les profanes.

Certes, l'ensemble de ces mécanismes de participation ont un coût parfois loin d'être négligeable, un débat public organisé par la CNDP constituant à lui seul une dépense d'au moins 500 000 euros. Néanmoins, les porteurs de projet n'y voient pas d'inconvénient majeur, dès lors que les dispositifs de participation vont dans le sens d'une meilleure acceptation des infrastructures envisagées.

En tout état de cause, s'il semble difficile, voire impossible, d'obtenir un consensus sur une infrastructure, même en développant la participation du public, il faut, au minimum, chercher à éviter, la cristallisation d'oppositions diverses.

Il semble, par ailleurs, nécessaire de stabiliser, à ce stade, le droit applicable aux projets d'infrastructure, ce qui est d'ailleurs souhaité par les parties prenantes. Le système actuel semble globalement convenir à tous, qu'il s'agisse des associations mais aussi des porteurs de projet ou des cabinets d'avocats. En revanche, une réflexion devrait être menée sur des mesures techniques permettant, à court terme, de simplifier les procédures. Je pense ainsi à l'articulation entre le droit de l'environnement et le droit de l'urbanisme, notamment en ce qui concerne les concertations, dont la définition est différente d'un code à l'autre.

Le droit au recours est un principe incontestable. Au cours des auditions, le risque croissant de multiplication des contentieux n'est pas apparu comme la principale difficulté rencontrée par les porteurs de projet. Il semble toutefois bienvenu d'accélérer les procédures contentieuses pour éviter l'enlisement des projets. Pourquoi ne pas travailler sur la régularisation des illégalités formelles ? Lorsque le juge administratif estime un acte critiquable, il pourrait accorder un délai pour régulariser la situation. Ces modalités sont de bon aloi et de nature à dédramatiser les procédures. Dans la même logique, je vous proposerai que les contentieux des procédures soumises à concertation préalable soient directement examinés par la cour administrative d'appel et non par le tribunal administratif. Ainsi, le porteur de projet faisant l'effort de le soumettre à concertation bénéficierait d'un gain dans la gestion de son contentieux.

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