Intervention de Louis-Jean de Nicolay

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 31 mai 2017 à 9h35

Photo de Louis-Jean de NicolayLouis-Jean de Nicolay, co-rapporteur :

Le cinquième axe concerne la nécessaire adaptation des services publics. Le désenclavement des territoires éloignés doit devenir un réflexe interministériel.

La mutualisation et la coordination des services de proximité doivent être poursuivies. Depuis la signature, en 2010, de l'accord national « + de services au public », la création de points d'accueil mutualisés en zone rurale est devenue le pilier de la politique publique d'accessibilité aux services essentiels. On dénombre aujourd'hui 1 100 maisons de services au public (MSAP) ouvertes ou en cours d'installation, dont près de 500 résultent de la transformation de bureaux de poste.

La loi du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste a permis de conforter les missions de service public confiées à l'entreprise, parmi lesquelles figure la mission de contribution à l'aménagement du territoire. Nous devons encourager l'État et les collectivités à donner de la consistance au souhait du législateur : il ne faut pas exclure d'installer un office du tourisme, un guichet de préfecture ou de centre des finances publiques, dans une MSAP.

Parmi les grands sujets de proximité se pose également la question de l'école. L'État doit se donner les moyens d'une réelle souplesse qui permette de maintenir des écoles de proximité partout où elles sont nécessaires à la cohésion et à la vitalité de nos territoires, et non seulement en zone sensible. Il y a des zones très sensibles aussi en zone rurale, où l'abaissement du niveau scolaire est de plus en plus important.

Le sixième axe porte sur les infrastructures et les réseaux. Il est nécessaire de construire une nouvelle politique de connectivité fondée sur deux piliers : d'une part, des investissements dans certaines infrastructures critiques, d'autre part, des soutiens ciblés sur les bourgs et petites villes dans les territoires les plus enclavés.

Nous avons été confortés dans cette position par les nombreuses contributions recueillies sur l'espace participatif du Sénat, qui ont souligné le caractère prioritaire de la mobilité et des transports. Le développement d'une offre multimodale - train, bus, vélo ou voiture à la demande, covoiturage - doit permettre de fournir une offre de transport économiquement et écologiquement viable sur chaque portion de notre territoire. Si cette multimodalité s'impose naturellement dans les zones denses, elle est souvent la dernière solution qui s'offre à la ruralité, où l'usage des transports collectifs diminue tendanciellement.

Mais nous avons vu récemment à quel point nos réseaux de transport se dégradent rapidement. Cela fait régulièrement perdre des places à la France du point de vue de l'attractivité : selon Infrastructure France, en l'espace de dix ans, notre pays est passé de la deuxième à la sixième place au niveau mondial pour le ferroviaire, de la dixième à la vingt-sixième pour le réseau portuaire, de la cinquième à la quinzième dans le secteur aéroportuaire, et de la quatrième à la quatorzième pour la distribution d'électricité. Le risque est d'entraîner à terme une dépréciation irréversible de ce capital précieux.

Nous préconisons également de réaliser un état des lieux des besoins prioritaires d'infrastructures et de faire en sorte que l'aménagement du territoire devienne le critère principal d'investissement public.

Le septième axe concerne naturellement la transition verte, qui constitue une véritable opportunité. Il est indispensable de valoriser les atouts de nos territoires dans l'économie plus responsable qui se dessine pour demain, à travers l'écotourisme, les filières d'excellence ou les circuits courts alimentaires. Nous devons aussi planifier un développement cohérent et ambitieux des énergies renouvelables car c'est une occasion inespérée d'offrir aux territoires les plus fragiles les moyens de conserver des emplois non délocalisables.

Le huitième axe vise à maintenir une vitalité économique dans chaque territoire. Les élus locaux ont longtemps misé sur leur capacité à attirer et à négocier l'implantation d'entreprises sur leur territoire. Mais ce paradigme a évolué sous l'effet de la mondialisation et les élus ont perdu une grande part de leur influence.

Pour les territoires défavorisés, l'enjeu n'est pas celui de leur réindustrialisation par l'implantation artificielle d'activités économiques ; il s'agit avant tout de créer des conditions favorables à l'implantation d'entreprises pour lesquelles la concentration spatiale importe peu. Ils peuvent en effet miser sur certains atouts, comme des coûts de production avantageux, un foncier peu coûteux, une échelle des salaires plus basse et une économie de proximité non délocalisable.

Il faut donc enrayer l'affaiblissement des centres-bourgs des villes petites et moyennes au moyen d'un plan ambitieux de rénovation de l'habitat et des commerces. On ne peut que regretter l'effondrement des crédits du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) depuis 2010, au profit d'une logique d'appel à projets qui pénalise toujours les plus fragiles. Il paraît indispensable que les aides économiques de la région et de l'État soient modulées en fonction de critères d'aménagement du territoire. Les pouvoirs publics doivent subventionner le maintien d'installations critiques comme des stations-service et des distributeurs de billets afin d'éviter que ne s'installent des cercles vicieux de désertification.

Il faut aussi remettre à plat notre système de formation, cela me semble très important. Il n'est pas rare que des formations soient proposées localement aux demandeurs d'emploi alors qu'aucun débouché réel n'existe sur le territoire. Dans le même temps, on trouve des entreprises confrontées à des difficultés réelles de recrutement dans certaines filières, faute d'une main-d'oeuvre qualifiée, adaptée et disponible à proximité - j'en ai des exemples concrets dans ma commune. Il est parfois nécessaire d'avoir douze candidats à une formation pour que celle-ci soit mise en place alors que les entreprises locales n'ont besoin au total que de quatre ou cinq personnes.

Le neuvième axe consiste à enrayer le démantèlement de l'ingénierie publique, dont l'État s'est progressivement désengagé. En raison du coût élevé de l'ingénierie, il existe une véritable fracture entre les collectivités. Seules celles d'une certaine taille - régions, départements et EPCI ou communes les plus importants - ont réellement les moyens de se doter de personnels d'encadrement et d'ingénierie en nombre suffisant. Les petites collectivités n'ont quant à elles pas les moyens de s'appuyer sur une réelle capacité d'expertise, ni en interne faute de personnel, ni en externe faute de crédits pour financer les bureaux d'étude.

Dans les faits, les capacités de management public sont ainsi concentrées aux deux tiers dans un millier de collectivités. Il devient donc indispensable que les nouveaux EPCI qui se constituent s'attachent à développer prioritairement leurs propres capacités d'ingénierie, en coordination avec la région ou le département, selon les territoires, ce qui légitimerait d'autant leur rôle auprès des maires concernés.

Nous préconisons également la création d'un « guichet unique de l'ingénierie publique », qui aurait pour mission d'organiser et de coordonner la mise à disposition de l'ensemble des compétences disponibles et d'orienter les territoires vers les acteurs les plus compétents. Cette initiative prolongerait les expériences actuellement menées consistant à mobiliser les corps d'inspection de l'État pour aider les collectivités sur des problèmes spécifiques. Il arrive en effet que les services de l'État aient d'importantes capacités d'ingénierie mais que si une collectivité ne peut leur demander de l'aide, ils ne le font pas spontanément.

Il est tout autant nécessaire d'accroître la fluidité entre les fonctions publiques, dans la mesure où les collectivités et l'État font désormais jeu égal dans de nombreux domaines, notamment dans ceux qui sont associés à l'aménagement du territoire. À cet effet, la fusion de l'Institut national des études territoriales (INET) et de l'École nationale d'administration (ENA), dont les parcours de formation sont proches, constituerait un signal fort pour nos territoires ; je crains que ce ne soit un voeu pieu, mais on peut tout de même le formuler...

Enfin, le dixième axe dresse des perspectives pour inscrire nos territoires dans l'espace européen. La France doit affirmer son modèle d'aménagement pour orienter les priorités européennes. Les négociations du budget et de la politique des fonds structurels pour la période 2021-2027 se préparent dès maintenant. Notre pays doit peser en faveur d'une véritable « feuille de route des territoires » visant à éviter l'abandon et le déclassement des territoires en Europe, en plaidant pour la sanctuarisation de fonds spécifiques pour l'aménagement du territoire.

À l'heure actuelle, les crédits liés au développement rural sont intégrés à l'enveloppe de la politique agricole commune, pour laquelle ils servent de variable d'ajustement. Il convient également de veiller à ce que la nouvelle carte régionale française ne conduise pas à une forme de lissage dans l'attribution des fonds européens.

Pour les territoires frontaliers, nous préconisons d'expérimenter des mécanismes de délégation de souveraineté pour s'affranchir de négociations intergouvernementales encore trop pesantes dans la coopération transfrontalière.

Tels sont les dix axes que nous proposons au travers de notre rapport.

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