Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 31 mai 2017 à 9h35
Évolutions perspectives et gestion de la dette publique de la france — Communication

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

La dette publique, en raison de son caractère faussement indolore, ne s'est que très progressivement imposée au sein du débat public. La crise des dettes souveraines dans l'Union européenne et l'abaissement de la note de la France à la fin des années 2000 nous en ont brusquement rappelé les dangers.

Elle n'a jamais cessé de croître, et ce depuis le milieu des années soixante-dix, en dépit du caractère anesthésiant de la baisse des taux d'intérêt. Elle est passée de 15 % du PIB en 1974 à 96,3 % du PIB en 2016. Elle représente près de 2 150 milliards d'euros, soit une dette moyenne de 75 850 euros par ménage.

En dépit de la faiblesse des taux d'intérêt, la charge de la dette de l'ensemble des administrations s'élève tout de même à 46,1 milliards d'euros en 2016, c'est-à-dire un montant supérieur aux dépenses consacrées à la défense et au produit net de l'impôt sur les sociétés.

L'alourdissement de la dette publique durant les quatre dernières décennies trouve sa source, non dans une politique d'investissement, mais dans une succession ininterrompue de déficits publics. Notre ancien collègue Jean-Pierre Fourcade le disait, il a été le dernier ministre des finances à présenter un budget en équilibre en 1974. Depuis, les administrations n'ont pas connu d'excédent.

Les ralentissements de la conjoncture n'expliquent qu'en partie cette situation. En effet, si les pouvoirs publics ont été au-delà des stabilisateurs automatiques lors des ralentissements économiques, en menant des politiques de relance, ils n'ont pas profité des embellies conjoncturelles pour redresser les comptes publics. Entre 1990 et aujourd'hui, à de rares exceptions près, les déficits publics ont été d'abord structurels.

Leur cause principale réside dans l'insuffisante maîtrise de la dépense des administrations. Au cours de même période, les dépenses publiques ont progressé plus rapidement que le PIB : de 3,6 % en moyenne et en valeur par an, contre 3 % pour le PIB.

Toujours entre 1990 et 2016, le poids de la dépense dans la richesse nationale a augmenté de 6,6 points de PIB. Le dynamisme des prestations sociales qui représentent désormais près de 26 % du PIB, l'explique à 90 %. La masse salariale de l'État et des administrations publiques a, elle, augmenté de 1 point de PIB. La charge de la dette a, quant à elle, reculé de 0,7 point de PIB en raison de la baisse quasi continue des taux d'intérêt depuis près de trois décennies.

Cette forte progression des dépenses est d'autant plus problématique qu'elle a alimenté la dette sans profiter à l'investissement ou à des secteurs porteurs d'avenir tels que l'éducation et la recherche.

Depuis 2009, le déficit public a été systématiquement supérieur aux dépenses d'investissement. Autrement dit, la dette publique constituée depuis cette date trouve essentiellement son origine dans les charges de personnel, de fonctionnement, d'intervention et d'intérêts de la dette. La part de l'investissement public dans le PIB a diminué de 0,5 point entre 2009 et 2016.

La part des dépenses publiques de recherche dans la richesse nationale a nettement reculé : 1,3 % du PIB en 2015, contre 1,8 % en 2015. Et ce, principalement aux dépens de la recherche fondamentale. Idem en matière d'éducation : la part des dépenses a diminué de 0,2 point de PIB durant la même période. Dans ces conditions, il est difficile d'affirmer que la hausse de la dette publique a contribué à créer de la richesse ou à préparer l'avenir.

D'après certains, le gonflement de la dette publique serait lié à un recul des prélèvements obligatoires. Pour autant, en dépit de diminutions ponctuelles entre 2000 et 2003, ainsi qu'entre 2007 et 2009, le taux de prélèvements obligatoires n'est jamais revenu en deçà de son niveau de 1990. Après une hausse de 4,2 points de PIB entre 1990 et 2013, il a enregistré une forte accélération après la crise de 2008, notamment à partir de 2012. Malgré un léger recul au cours de la période récente, les prélèvements obligatoires représentent encore 44,4 % du PIB en 2016.

En réalité, la dégradation de notre situation budgétaire provient, non d'une baisse de la fiscalité, mais de la dynamique des dépenses. Toutes les catégories d'administrations publiques y ont contribué mais à des degrés divers. L'État, au premier chef : il a été à l'origine de près de 85 % de la hausse de l'endettement public dans la richesse nationale entre 1980 et 2016. À partir du début des années quatre-vingt-dix, la dette des administrations de sécurité sociale, quasiment inexistante auparavant, a participé à hauteur de 12 % à la dynamique de la dette publique. La contribution des administrations publiques locales a été plus modeste, de 3 %, tandis que celle des organismes divers d'administration centrale a été nulle. Les collectivités locales, souvent montrées du doigt, ne sont pas responsables de l'endettement public.

C'est l'administration publique centrale et, en son sein, l'État, qui porte la majeure partie de la dette publique : en 2016, elle représente 80 % du total. Globalement, les dépenses de l'administration publique centrale rapportées au PIB sont restées stables depuis la fin des années soixante-dix : de 23,4 % du PIB en 1980 à 23 % en 2015. Cependant, cette stabilité globale masque des évolutions différenciées selon les dépenses considérées.

Malheureusement, la réduction la plus forte concerne les investissements : leur part dans le PIB a été divisée par deux depuis la fin des années soixante-dix. Les achats courants ont connu une diminution marquée ; la masse salariale de l'État a également baissé, quoique de façon plus mesurée. En revanche, les prestations sociales, qui incluent les retraites des fonctionnaires et des dispositifs ciblés comme les aides personnalisées au logement, ont fortement crû : elles sont supérieures d'un tiers à leur niveau de 1978 par rapport au PIB. La défense est le secteur qui accuse la diminution la plus marquée, ce qui est inquiétant dans le contexte international actuel. Les dépenses de recherche financées par l'administration publique centrale n'ont pas non plus été épargnées.

Bref, la maîtrise des dépenses a d'abord pesé sur l'investissement, en particulier sur la recherche et développement, et le budget de la défense, alors que les dépenses d'intervention ont connu une hausse particulièrement dynamique.

Quant aux recettes, leur poids par rapport au PIB a décru depuis la fin des années soixante-dix : 19,6 % de la richesse nationale en 2015, contre 22,4 % en 1978. Ce phénomène est lié à la concurrence fiscale, à la tendance à baisser les taux des impôts d'État en phase haute de cycle mais aussi à la progression des dépenses fiscales qui devraient s'élever à près de 90 milliards d'euros en 2017.

Concernant le secteur public local, qui intéresse particulièrement le Sénat, les transferts de compétences liés à la décentralisation ont alimenté la croissance très dynamique de leurs dépenses. Fait à souligner, les administrations locales réalisent une part majoritaire de l'investissement public, qui est financé pour partie par l'emprunt.

La masse salariale locale a doublé depuis la fin des années soixante-dix en raison de la hausse des effectifs mais aussi de mesures décidées par l'État, comme la réduction du temps de travail ou le dégel du point d'indice qui devrait représenter une charge de 546 millions d'euros pour le budget des collectivités territoriales en 2016.

La hausse des dépenses a été partiellement financée par celle des impôts locaux : ils représentent 6,1 % de la richesse nationale, contre 3,3 % en 1980. Elle s'est également traduite par une dépendance accrue des collectivités territoriales aux ressources transférées par l'État.

La dette sociale, presque inexistante avant les années quatre-vingt-dix, a significativement progressé ces dernières années. Cette tendance a été entretenue par le dynamisme des dépenses sociales qui ont crû de 3,6 % en valeur entre 1995 et 2015 alors que le PIB progressait seulement de 2,9 % par an en valeur. Les hausses les plus marquées sont celles des dépenses de santé, dont la part dans le PIB est passée de 7,5 % en 1995 à 8,5 % en 2014 et celles des dépenses de retraite, qui sont passées de 7,5 % à 11,4 % du PIB entre 1995 et 2014. Au total, la croissance des dépenses des administrations de sécurité sociale a été plus rapide que leurs ressources.

Il faut aussi dire un mot des engagements hors bilan de l'État, c'est-à-dire des obligations potentielles susceptibles de créer une charge financière et donc de peser sur la dette publique. Les engagements hors bilan de l'État, soit les engagements pris dans le cadre d'accords bien définis - les garanties accordées à certains acteurs économiques, les engagements découlant de la mission de régulateur économique et social de l'État et les engagements de retraites de l'État - qui représentent à eux seuls plus de la moitié de l'ensemble, ont crû dans des proportions importantes depuis 2007. Ainsi, les engagements pris dans le cadre d'accords bien définis ont augmenté de plus de 50 % et les engagements de retraite de 70 % en dix ans.

Une part de cette hausse est toutefois liée à un meilleur recensement de ces engagements - certains d'entre eux sont dorénavant soumis à l'accord du Parlement. En outre, les engagements hors bilan reflètent des niveaux de risque très divers et leur contrôle par le Parlement est variable. Je préfère donc retenir seulement les engagements de retraite et les engagements découlant de la mission de régulateur économique et social de l'État pour calculer la dette publique implicite. Cette dernière s'élève en 2015 à 4 300 milliards d'euros, soit plus du double de la dette publique effective et près de 200 % du PIB.

Une réduction significative du poids de la dette publique portée par la croissance du PIB et l'inflation, comme nous l'avons connue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, semble illusoire. De fait, les deux variables que sont la croissance économique et l'inflation ont tendanciellement ralenti depuis les années soixante-dix dans tous les pays industrialisés.

N'en concluons pas que le niveau actuel de notre dette publique trouve son origine dans le ralentissement de la croissance et l'inflation. En effet, après avoir été dans la moyenne européenne, nous nous en sommes écartés depuis 2012-2013. En 2016, notre ratio d'endettement est supérieur de 7,1 points de PIB à la moyenne de la zone euro, et de 12,8 points à celle de l'Union européenne. La France figure parmi les derniers États de l'Union européenne faisant l'objet d'une procédure de déficit excessif, aux côtés de la Croatie, de l'Espagne, de la Grèce, du Portugal et du Royaume-Uni. Parmi eux, notre pays est le seul à avoir vu ses recettes ainsi que ses dépenses publiques augmenter entre 2011 et 2016. Cela explique le creusement de l'écart entre la part des dépenses publiques dans le PIB français et la moyenne de la zone euro, qui est passée de 6,7 points en 2011 à 8,5 points en 2016. Entre 2012 et 2016, la croissance moyenne des dépenses publiques françaises s'est élevée à 1,7 % par an en valeur, contre 1,3 % dans la zone euro et 1,5 % dans l'Union européenne. Depuis 2016, la France est le pays de l'Union européenne dont le poids des dépenses dans le PIB est le plus élevé. Et ce, devant la Finlande : 56,2 %, contre 56,1 % du PIB.

La France est un émetteur souverain majeur au sein de la zone euro : depuis 2014, nous nous endettons autant que l'Allemagne et plus que tous les pays de la zone euro, sinon l'Italie. Si ce statut constitue une opportunité pour l'Agence France Trésor, dans la mesure où le volume des titres émis favorise leur liquidité, cela représente également un défi, voire un risque. Des volumes importants doivent être absorbés très régulièrement par les marchés financiers or la France n'est pas l'émetteur de référence de la zone euro ; c'est l'Allemagne qui bénéficie des meilleurs taux. Fort heureusement, l'Agence France Trésor effectue un travail approfondi pour garantir que les émissions se déroulent dans les meilleures conditions possible.

Le contexte actuel est particulier : les taux sont très faibles, la Banque centrale européenne absorbe une part importante des émissions dans le cadre de son programme de rachats et une grande partie de l'encours de dette accumulé lors de la crise financière arrive à échéance dans les prochaines années. Ces spécificités emportent deux conséquences. D'une part, la faiblesse des taux d'intérêt favorise un allongement de la maturité de la dette, ce qui sécurise pour plusieurs années les conditions de financement actuelles de l'État : la durée de vie de la dette a ainsi augmenté entre 2009 et 2017, avec une inflexion marquée à partir de 2014. D'autre part, les rachats de dette, qui visent à lisser les échéances de remboursements, ont significativement augmenté ces dernières années pour atteindre 33 milliards d'euros en 2015. Cette hausse correspond aux émissions réalisées lors de la crise de 2008 qui arrivent à échéance aujourd'hui. Le profil de remboursement de la dette souveraine restera élevé jusqu'en 2021.

Les collectivités territoriales, après la crise des emprunts toxiques, connaissent une période de relative accalmie. La faiblesse prolongée des taux d'intérêt et la concurrence accrue entre les financeurs facilitent leur accès à des emprunts bancaires au coût contenu. En outre, se développent d'autres modes de financement, tel l'endettement obligataire. Le financement désintermédié représente aujourd'hui 7 % du total de la dette locale, soit un montant quatre fois supérieur à celui de 1980. Ce mouvement est lié, entre autres, à l'émergence de l'Agence France Locale, dont le modèle de financement est calqué sur celui des agences scandinaves.

La dette sociale représente 225 milliards d'euros en 2016. Elle est gérée par divers acteurs, à commencer par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Cette dernière a porté 126,6 milliards d'euros de dette en 2015 - provenant des déficits du régime général, de l'Acoss et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). La Cades, depuis sa création en 1996, bénéficie de recettes dédiées : la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG), un versement du Fonds de réserve des retraites (FRR). En 2016, elle a amorti 124,7 milliards d'euros de dette. Lui reste donc 135,8 milliards d'euros à amortir - la dette sociale étant censée disparaître en 2024.

Grâce à la Cades, notre gestion de la dette sociale est particulièrement efficace : elle est fondée sur des émissions obligataires, notamment en devises. Avec le décret du 9 mai 2017, ses équipes seront intégrées à celles de l'Agence France Trésor. En revanche, et c'est heureux, la Caisse conservera une gouvernance autonome et elle continuera d'émettre en son nom propre.

L'Acoss, elle, est chargée de gérer les déficits cumulés des régimes de sécurité sociale qui n'ont pas été transférés à la Cades. Le montant de ces déficits a atteint 32,7 milliards d'euros en 2015. Auparavant financée par la Caisse des dépôts et consignations, l'Acoss recourt directement aux marchés financiers depuis 2005-2006.

L'Unédic porte une dette qui a atteint 25,7 milliards d'euros en 2015 en raison de la hausse du chômage. Sa stratégie financière, déterminée par son conseil d'administration, repose sur des obligations pour le long terme et des créances négociables pour les moyen et long termes. L'Union bénéficie d'une garantie de l'État.

Enfin, le reste de la dette sociale est constitué de celle des établissements publics de santé. Leur endettement a fortement augmenté au cours des quinze dernières années du fait des programmes d'investissement Hôpital 2007 et Hôpital 2012 ; elle représente 30 milliards d'euros en 2015.

La dette hospitalière présente des similarités avec la dette des collectivités territoriales : d'importantes difficultés financières au début des années 2010 ; un financement qui demeure essentiellement bancaire, mais repose également sur la Caisse des dépôts et consignations, la Banque européenne d'investissement et un recours accru à des financements désintermédiés. Ainsi, les émissions ont couvert près de 20 % des besoins de financement des hôpitaux en 2015. Si l'AP-HP est le principal émetteur d'obligations, certains hôpitaux recourent désormais à des émissions groupées.

La dette des administrations, en dépit d'une gestion à l'efficacité croissante, n'en reste pas moins un poids pour l'économie française. Elle limite les marges de manoeuvre budgétaires nécessaires à la stabilisation de l'activité en cas de dégradation de la conjoncture. De plus, elle incite les contribuables à moins consommer afin de faire face à d'éventuelles hausses d'impôt. Elle est également à l'origine d'un effet d'éviction de l'investissement privé, dans la mesure où elle absorbe une part significative de l'épargne.

Quoi qu'il en soit, une dette élevée nous expose à une forte hausse de la charge d'intérêts. Certes, le pire n'est pas toujours sûr ; toutefois, il est probable que les taux d'intérêt sur la dette souveraine remontent bientôt, pour plusieurs raisons. Premièrement, la croissance et l'inflation en zone euro repartiraient à la hausse en 2017. Deuxièmement, la Banque centrale européenne a indiqué qu'elle poursuivrait sa politique monétaire accommodante jusqu'en décembre 2017 mais elle a déjà réduit son programme de rachats de 80 à 60 milliards d'euros. En cas de reprise de l'activité et de l'inflation, elle pourrait réduire davantage son programme de rachats de titres et relever ses taux directeurs à partir de 2018. Troisièmement, la Réserve fédérale américaine a mis fin à son programme de rachat d'actifs en 2014 et procédé à plusieurs hausses de son taux directeur depuis 2015 ; ce mouvement de réévaluation devrait se poursuivre en 2017. Enfin, la prime de risque demandée par les acheteurs sur la dette souveraine des États membres de la zone euro pourrait connaître une nouvelle hausse.

L'impact d'une augmentation des taux d'intérêt sur la charge de la dette de l'État, dépend de deux paramètres : l'ampleur de la hausse des taux et l'évolution du déficit budgétaire. J'ai ainsi établi plusieurs scénarios.

Premier scénario : une augmentation des taux de 1 % et une réduction volontariste du déficit budgétaire de 5 % chaque année. Dans ce cas, la hausse de la charge de la dette resterait modérée : elle dépasserait 10 milliards d'euros après la cinquième année suivant le choc.

Deuxième scénario, un choc de taux plus important avec une hausse de 2 % mais une trajectoire budgétaire de l'État maîtrisée avec une diminution de 5 % du déficit budgétaire par an. La charge de la dette augmenterait deux fois plus vite pour atteindre 13,4 milliards d'euros dès la troisième année qui suit le choc.

Troisième scénario : une hausse des taux de 1 % combinée à une dégradation du solde budgétaire de l'État de 5 % par an. L'augmentation de la charge budgétaire de la dette représenterait 18,7 milliards d'euros en 2026.

Quatrième et dernier scénario, un choc de 2 % et une dégradation du déficit budgétaire de 5 % par an. Un surcroît de près de 37 milliards d'euros pèserait sur le budget de l'État en 2026.

À court terme, c'est avant tout l'ampleur du choc de taux qui détermine le niveau de la hausse de la charge de la dette de l'État. Cependant, l'accumulation de déficits budgétaires importants pèse de façon de plus en significative sur la charge de la dette. En d'autres termes, plus le temps passe et plus la dégradation du déficit budgétaire amplifie l'impact budgétaire de la hausse des taux subie en début de période.

Je ne crois pas crier au loup en formulant ces hypothèses. Ces simulations n'intègrent pas l'effet d'un choc de taux sur le budget des administrations de sécurité sociale et des administrations locales. En outre, elles modélisent un choc de taux unique et relativement modéré alors que les taux remonteront probablement par paliers successifs avec des hausses répétées sur plusieurs années.

D'après les simulations de la Banque centrale européenne dans son rapport sur la stabilité financière, un choc de taux conjugué à une dérive des dépenses publiques conduirait à augmenter la dette dans des proportions insoutenables pour les États fortement endettés. La remontée des taux d'intérêt ne sera donc soutenable, pour la France, que si elle s'accompagne d'une maîtrise de la dépense publique.

Existe-t-il un risque réel de dérive de la dette publique française ? On peut malheureusement le penser car, depuis 1990, le solde public effectif a rarement été en deçà du solde stabilisant le ratio d'endettement, ce qui explique l'accroissement du poids de notre dette dans le PIB. Ensuite, depuis 2009, le solde public primaire a été systématiquement inférieur au solde primaire stabilisant. La France est bel et bien exposée à un effet boule de neige : une croissance de la dette entretenue par l'accumulation des charges d'intérêts.

Sur la base des hypothèses du dernier consensus de la croissance potentielle de la commission des finances, que j'avais proposé en juillet 2016, j'ai souhaité examiner comment la part de la dette publique dans le PIB évoluait si aucun effort budgétaire supplémentaire n'était engagé.

L'absence d'efforts budgétaires au cours des années à venir conduirait à une véritable dérive de la dette publique. En 2022, le poids de l'endettement dans la richesse nationale atteindrait près de 105 % du PIB dans le scénario le plus favorable, 118 % du PIB dans le scénario le moins favorable, avec une moyenne à 110 %.

Dans ces conditions, la maîtrise de la dette publique représente une nécessité absolue. Toutefois, cela ne saurait constituer le seul objectif de notre stratégie budgétaire ; nous devons également relever notre potentiel de croissance, significativement affaibli par la crise économique. Une stratégie de consolidation équilibrée des finances publiques consisterait à consacrer un tiers de l'effort de maîtrise de la dette à la hausse des investissements publics et à la baisse des prélèvements obligatoires.

En application du Pacte européen de stabilité et de croissance, la France devra respecter une règle de dette lorsque son déficit sera revenu en deçà de 3 % du PIB. Elle impose une réduction d'un vingtième, chaque année, de l'écart entre le poids de la dette dans le PIB et le seuil de 60 %. La dette publique devrait donc reculer de 2,3 points de PIB entre 2020 et 2021. D'après la « règle du tiers » de la consolidation budgétaire, un tiers de cette évolution, soit 0,8 point de PIB, serait consacré, pour moitié, à l'augmentation des investissements publics et, pour l'autre moitié, à la diminution des prélèvements obligatoires. Cette règle du tiers n'est pas seulement une règle de répartition, elle implique aussi une exigence : la baisse des impôts et l'accroissement des investissements impliqueront un effort accru en dépenses, soit 80 milliards d'euros d'économies sur les dépenses hors investissement entre 2017 et 2022.

Comment réaliser ces économies ? Question récurrente dans notre commission des finances... A la technique du coup de rabot, largement utilisée ces dernières années, préférons des réformes de structure pour ralentir durablement l'évolution de la dépense ; faisons preuve de sélectivité. Hausse du temps de travail dans la fonction publique, que j'ai pratiquée dans ma collectivité territoriale ; révision du périmètre des missions de l'État et suppression des doublons - qu'il reste des routes nationales est assez délirant ! - ou encore l'inévitable réforme du système de retraites si nous voulons revenir à l'équilibre financier sont autant de pistes. De telles mesures ne sont pas exclusives d'une réforme du marché du travail créatrice d'emplois, qui serait de nature à diminuer les dépenses consacrées à l'indemnisation du chômage.

Pour suivre l'évolution des finances publiques, le Parlement fixe de nombreux objectifs, qui s'appliquent à l'ensemble des administrations publiques, en loi de programmation des finances publiques : solde structurel, effort structurel, ratio de dette publique... En revanche, il n'existe aucune norme de dépenses s'appliquant à l'ensemble des administrations publiques. Créons-en une pour veiller à la bonne application de la règle du tiers. Le Parlement disposerait ainsi d'un point de repère pour évaluer la trajectoire des dépenses publiques. Cette norme, définie en loi de programmation des finances publiques, serait reprise dans l'article liminaire de la loi de finances, de la loi de financement de la sécurité sociale et de la loi de règlement. Elle n'aurait pas de caractère contraignant mais contribuerait à sortir du pilotage et de l'analyse des dépenses publiques en silo qui n'a pas donné les résultats escomptés. Parce que les dépenses d'investissement sont les premières à diminuer, nous le voyons en examinant les décrets d'avance, la norme de dépenses pourrait s'accompagner d'une trajectoire d'investissement afin de protéger ces dépenses utiles au pays.

Voilà, en amont du débat d'orientation sur les finances publiques, les quelques pistes qui me paraissent favoriser une politique budgétaire équilibrée, crédible, afin de réduire la dette tout en préservant la croissance et l'investissement.

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