Avant tout, mes chers collègues, je souhaite exprimer ma gratitude à Thierry Carcenac que j'ai retrouvé avec grand plaisir et tiens à remercier la présidente d'avoir reconstitué le duo ! Ce rapport d'information met l'accent sur les enjeux que nous avons identifiés dès les débuts de la loi organique relative aux lois de finances.
Nous proposons une feuille de route en douze points pour permettre à la politique immobilière de l'État de franchir l'étape de la maturité. Il y va de notre capacité à relever les défis d'entretien des bâtiments publics, dont nous connaissons les limites actuelles, et de proposer des bâtiments aux normes d'accessibilité et respectueux des engagements de transition énergétique. L'État ne peut pas imposer ces exigences aux collectivités locales et s'en affranchir quand il s'agit de ses propres bâtiments. Il y va surtout de notre capacité à mettre en oeuvre l'ensemble des politiques publiques.
Pour ce faire, nous avons étudié comment nos voisins européens procédaient. Nous nous sommes rendus à Londres, où nous avons été stupéfaits de la rapidité des avancées accomplies : les implantations auront été réduites de 80 % entre 2010 et 2020. Nous avons vu des open spaces partagés entre ministères, des salles de réunions partagées, par exemple au National Audit Office, la Cour des comptes britannique. Si ces rationalisations traduisent des choix d'organisation du service public propres aux Britanniques, elles reflètent surtout la capacité à enregistrer des progrès rapides. Nous avons été impressionnés par leur avance dans la connaissance des données techniques de chaque bâtiment, une fiche récapitulative des performances énergétiques et des surfaces étant affichée à l'entrée de tout bâtiment public.
Dans ce cadre, notre feuille de route part d'un préalable nécessaire : conforter notre connaissance de l'état technique des bâtiments et des composantes de la dépense immobilière, éclatée parmi les missions. Elle se concentre sur l'immobilier de bureaux et de logements, qui offrent le plus de possibilités de mutualisations.
Elle repose surtout sur deux axes.
Le premier axe vise à renforcer l'État propriétaire dans sa relation avec les ministères occupants et avec les collectivités territoriales. Comment expliquer, malgré l'affirmation de la distinction entre État propriétaire et ministères occupants, que 94 % de la dépense immobilière demeure assurée par ces derniers et que seuls 6 % figurent dans le compte d'affectation spéciale ? Conjuguée aux tensions budgétaires, cette situation favorise le recours à des solutions de tiers-financement, pesant durablement sur nos finances publiques : dix partenariats public-privé accaparent ainsi le quart du budget immobilier annuel de l'administration pénitentiaire ! Cette situation sous-optimale traduit la volonté des ministères de conserver le contrôle de leur immobilier, face à la crainte que leurs besoins, dans une période de restriction budgétaire, ne soient pas suffisamment pris en compte par la direction de l'immobilier de l'État.
En réponse, nous proposons que l'État devienne le responsable unique de la décision de céder un bien et l'unique affectataire du produit de la vente. Cette centralisation doit néanmoins s'accompagner d'un renforcement de la capacité de la direction de l'immobilier de l'État à offrir, par un dialogue avec les occupants, un service immobilier aux administrations. Il s'ensuivra un gain d'efficacité : centralisée, la fonction immobilière permettra aux ministères de disposer de bâtiments mieux entretenus et, ainsi, de s'affranchir des contraintes de cette fonction support en se concentrant sur leur coeur de métier.
Par ailleurs, les règles d'urbanisme prévues à la date de décision de cession d'un bien par l'État ou par un démantèlement de l'État doivent s'appliquer jusqu'à son issue. Il s'agit ainsi de prévenir tout blocage de cessions par l'utilisation du pouvoir d'urbanisme des communes, qui conduit par exemple, à l'heure où les pouvoirs publics réunissent leurs efforts pour renforcer la place financière de Paris, à avoir plus de 10 000 mètres carrés de bureaux abandonnés à proximité immédiate de la Défense, pour un coût annuel de 50 000 euros en gardiennage. Cette opération est bloquée depuis maintenant plus d'une décennie. D'autres cas de ce type existent : lors de la dernière réunion du Conseil immobilier de l'État, les responsables de l'Urssaf reconnaissaient être dans la même situation de blocage, faute d'accord avec les communes qui modifiaient les règles d'urbanisme pour empêcher les cessions.
Il s'agit surtout de privilégier une démarche partenariale, sur le modèle de l'accord conclu entre l'État et la Ville de Paris l'an dernier - certes, cela est dû à la personnalité singulière du préfet de Paris, qui rompt avec les pratiques de l'administration préfectorale. Soulignons que, en Italie, l'ensemble des acteurs publics procèdent à la rationalisation du parc, collectivités locales et organismes sociaux compris. Tel n'est pas le cas en France : les données sur les réalisations immobilières des autres administrations publiques ne sont pas mêmes connues ! On sait ce que fait l'État, mais il n'y a aucune consolidation ni aucune vision d'ensemble avec les administrations de sécurité sociale et les collectivités territoriales.
Le second axe vise à renforcer les capacités financières de l'État, en assurant la soutenabilité de la politique immobilière de l'État. En cédant pour 7 milliards d'euros, l'État a vendu 11 % de la valeur comptable des constructions dont il était propriétaire fin 2015 pour restructurer et mal entretenir les 89 % restants. Nous estimons qu'il faut désormais mieux valoriser notre patrimoine, en amont des ventes, et privilégier la location à la cession chaque fois que cela sera possible. Ainsi, nous dégagerons des revenus récurrents permettant davantage de prévisibilité et un pilotage amélioré de la dépense immobilière. Au Royaume-Uni, où le libéralisme est une tradition, les emphytéoses sont privilégiées pour permettre le retour des biens à l'État et l'encaissement de loyers afin d'injecter ces sommes dans l'entretien du patrimoine restant.
L'immobilier doit être géré comme un actif. Pour renforcer cette conception, nous proposons de transformer le compte d'affectation spéciale en budget annexe, reflétant la logique commerciale et patrimoniale qui doit guider la politique immobilière de l'État. Y seraient retracées l'ensemble des dépenses d'entretien du propriétaire en regard de l'ensemble des produits tirés de la gestion du parc - cessions et loyers, budgétaires et réels. Cette création préfigurerait la création, à terme, d'une véritable foncière publique regroupant l'immobilier de bureaux de l'État. Telle est l'organisation en vigueur pour l'État fédéral allemand, telle est également l'évolution en cours au Royaume-Uni.
Voilà les propositions que nous formulons sur ce sujet, qui prennent la forme de douze recommandations.
Première recommandation : afin de renforcer la vision globale du parc, il faut permettre à la direction de l'immobilier de l'État d'opérer l'arbitrage entre conservation et cession de ses biens immobiliers en la rendant unique responsable des décisions de cessions, dont elle assumerait en contrepartie les coûts associés.
Deuxième recommandation : pour augmenter la part des crédits immobiliers interministériels, il faut unifier l'affectation des produits de cession en supprimant le « droit au retour » des ministères civils. Conformément à leur statut d'occupants, leur incitation à la rationalisation immobilière serait alors assurée par l'utilisation des loyers budgétaires ou par le recours à la réputation.
Troisième recommandation : afin d'assurer une gestion efficiente des parcs de logements publics non mis à disposition par nécessité de service, il importe de déléguer leur gestion à des organismes tiers. Le parc de logements est parfois très mal géré.
Quatrième recommandation : il convient de favoriser le recentrage vers le pilotage et la gestion immobilière des moyens humains de l'État propriétaire en confiant à des professionnels privés de l'immobilier agréés les fonctions d'évaluation des biens immobiliers pour le compte des personnes publiques. Il s'agit de supprimer l'avis des domaines pour les collectivités locales, en se contentant d'une évaluation réalisée par des agents immobiliers dans le cadre d'une liste agréée par les préfectures, ce qui permettrait de gagner du temps et d'alléger la charge de la direction de l'immobilier de l'État.
Cinquième recommandation : afin de prendre en compte leurs conséquences à long terme pour les finances publiques, il faut renforcer les compétences de la direction de l'immobilier de l'État en centralisant le recours et le montage des contrats complexes de tiers-financement, comme les partenariats public-privé, auxquels ont recours les ministères.
Sixième recommandation : il s'agit d'approfondir les démarches de formation engagée en interne par la direction de l'immobilier de l'État pour répondre aux lacunes techniques de l'État, afin de lui permettre d'assurer ou d'encadrer la maîtrise d'ouvrage des travaux immobiliers mis en oeuvre. Cette compétence existait voilà dix ou quinze ans, mais s'est complètement perdue au fil des années.
Septième recommandation : il convient de prévenir tout blocage de cession par l'utilisation des règles d'urbanisme en stabilisant dans le temps les pouvoirs d'urbanisme des communes.
Huitième recommandation : pour optimiser les cessions des biens mis en vente, il est nécessaire de doter l'État propriétaire d'une structure d'appui à compétence interministérielle consacrée à la valorisation des biens, sur le modèle de la mission de réalisation des actifs immobiliers du ministère de la défense.
Neuvième recommandation : afin d'éviter la constitution d'un stock de biens cédés, in fine coûteuse pour les finances publiques, nous proposons de sécuriser par la loi la possibilité de céder avec décote par rapport à l'évaluation domaniale certains biens complexes.
Dixième recommandation : il convient de valoriser les biens immobiliers de l'État déclarés inutiles tout en en conservant la propriété, en recourant à des baux emphytéotiques et à des locations à des tiers.
Onzième recommandation : afin de constituer le nouvel outil d'incitation des ministères à la rationalisation de la fonction immobilière et d'accompagner la transition du modèle de financement de la politique immobilière de l'État des produits de cession aux produits de gestion récurrents, il importe de conforter les loyers budgétaires et de les étendre aux opérateurs de l'État.
Douzième recommandation : afin d'assurer la vision globale des traductions budgétaires de la politique immobilière de l'État et d'initier une approche commerciale et patrimoniale du parc, il s'agit de créer un budget annexe dédié à la politique immobilière de l'État pour doter le propriétaire d'un bras armé financier retraçant l'intégralité des produits, y compris les loyers budgétaires rénovés, et des charges résultant de son patrimoine immobilier, l'étape suivante pouvant être la création d'une foncière publique.
Dans ce dossier, l'enjeu budgétaire est important. De gros progrès ont été réalisés, il ne faut pas le nier, mais beaucoup reste à accomplir.