Intervention de Gérard Rameix

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 juin 2017 à 14h35
Rapport annuel de l'autorité des marchés financiers amf — Audition de M. Gérard Rameix président de l'amf

Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) :

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur la situation des marchés financiers et celle du régulateur de marché français.

En 2016, les marchés d'actions ont été marqués par plusieurs épisodes de stress, avec la Chine, le Brexit ou l'élection présidentielle américaine. Cependant, cette année a été assez positive pour ces marchés, avec une performance de 8,9 % des dividendes réinvestis pour le CAC 40 et de 4,8 % pour l'EuroStoxx 50. En revanche, la contribution au financement des entreprises cotées a été assez modeste, avec 17 introductions en bourse seulement - les capitaux ainsi levés, ajoutés aux augmentations de capitaux des sociétés cotées, représentant un montant de 7 milliards, plutôt faible au regard des années précédentes. Ce relatif attentisme peut être imputé à des causes qui débordent le marché français, ainsi qu'à de très classiques incertitudes électorales : on sent aujourd'hui un mouvement de reprise, dont témoigne, par exemple, l'introduction en bourse de la société ALD, filiale de la Société Générale ou le lancement, ce matin même, d'une offre importante dans le secteur immobilier.

En termes de financement, le marché obligataire a été, en revanche, très dynamique : 190 milliards d'euros de nouvelles émissions obligataires, soit une progression de 16 % sur l'année précédente, déjà très allante. Les autres sources de financement se sont également bien tenues ; le capital investissement a retrouvé et même dépassé ses niveaux d'avant crise, levant près de 15 milliards d'euros, propres à irriguer un grand nombre de sociétés françaises, souvent de taille moyenne ; les encours de crédits bancaires ont progressé, quant à eux, de 5 %.

Au total, on observe, en France, un rééquilibrage entre le financement en provenance du marché, qui représente 40 % de l'ensemble, et le financement bancaire traditionnel, pour 60 %. Même si les choses restent difficiles sur certains segments de marché, on peut dire, au regard de ces flux, que l'accès au financement de marché n'est pas en défaut. Au rebours, certains économistes commencent à penser que l'endettement des sociétés non financières progresse un peu rapidement.

J'en viens aux autres segments de notre activité. Celui qui a trait à l'offre publique connaît une activité soutenue, avec, par exemple, une offre sur l'entreprise Gameloft, une autre dans le secteur immobilier, mais aussi l'offre envisagée par Altice sur SFR, à laquelle nous nous sommes opposés pour des raisons juridiques. Nous avons eu à rendre, au total, 39 décisions dans ce domaine. On enregistre également, en matière de gestion d'actifs, un flux assez important de nouvelles sociétés entrepreneuriales - 35 - et une progression de 6,4 % des encours sous gestion, pour un montant de 1500 milliards d'euros, ce qui nous met en bonne place en Europe. L'activité est également significative dans le domaine des fintech : nous avons créé une structure en partenariat avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), pour tenter de faciliter les installations.

Nous avons obtenu les dispositions législatives que nous appelions de nos voeux pour nous aider à protéger les épargnants sur certains placements. J'y reviendrai.

En matière répressive, enfin, on compte, en 2016, dix accords de composition administrative, pour un montant de près de 2,5 millions d'euros, qui concernent principalement des prestataires de services d'investissement ou des sociétés de gestion. Quant aux personnes sanctionnées par la commission des sanctions, elles sont au nombre de 41, pour un montant de près de 10 millions d'euros. Ce rythme, assez soutenu, se poursuit en 2017.

Un mot, pour finir, sur le plan stratégique qu'avec Benoît de Juvigny, secrétaire général, nous avions lancé pour la période 2013-2016. Ce plan, qui visait à « redonner du sens à la finance », retenait trois grands axes : s'investir pour des marchés européens sûrs et transparents, rétablir la confiance de l'épargnant, agir pour le financement de l'économie. Je n'irai pas jusqu'à prétendre que nous avons rendu son attractivité à la finance auprès des Français, qui conservent une méfiance, que je regrette, à l'encontre de l'investissement en actions, tant la crise a laissé de traces, mais nous avons avancé dans ces trois directions.

Pour balayer à grands traits nos principales missions - régulation, supervision, action répressive, accompagnement des acteurs - je dirai qu'en matière de réglementation, nous avons beaucoup travaillé, à l'Autorité européenne des marchés financiers, et avec la direction du Trésor et l'ACPR pour essayer de faire entendre notre voix dans la conduite des chantiers post-crise - je pense aux directives dans le domaine de la gestion d'actifs, de l'information financière, ainsi qu'au cadre révisé des marchés d'instruments financiers (MIF). Les progrès en matière de transparence sont indéniables, et deviendront sensibles lorsque la directive MIF2 s'appliquera. Nous avons progressé sur la compensation en matière de transactions sur dérivés, avec le règlement EMIR, et les longs travaux que nous avons conduits sur les fonds monétaires aboutissent aujourd'hui.

Nous avons également beaucoup oeuvré, en interne, pour engager nos experts à l'international et au niveau européen, là où se jouent les gros enjeux touchant à la lutte contre les risques systémiques, la protection de l'épargne et un meilleur fonctionnement du marché.

En matière de supervision et de prévention, nous avons renforcé le suivi et le contrôle des acteurs. Nous avons investi dans l'informatique, pour nous mettre en mesure de traiter des données de plus en plus volumineuses, non seulement sur les actions, les transactions, mais aussi sur les carnets d'ordres, les produits dérivés, les produits obligataires, autant de segments qui ont donné lieu à une explosion des plateformes. Nous militons pour que l'Autorité européenne des marchés financiers bâtisse un système d'information cohérent à l'échelle des Vingt-huit, et demain des Vingt-sept.

J'en arrive à la protection de l'épargne. Il est sûr que la faiblesse des taux d'intérêt facilite le travail de ceux qui promettent monts et merveilles à partir de produits sous-jacents autres que les instruments financiers classiques. On abuse souvent, en la matière, de la crédibilité des épargnants, que l'on en vient à escroquer. D'où une lutte incessante contre les spéculations trop tentantes sur le marché des changes, perdantes pour 90 % de ceux qui s'y adonnent, ou contre l'offre mal contrôlée d'investissements sur des biens divers - forêts à l'autre bout du monde, mines de diamants... Nous avons, en ce domaine, bénéficié d'un fort soutien tant du pouvoir exécutif que du pouvoir législatif pour disposer de nouveaux moyens d'intervention.

En matière répressive, la procédure de composition administrative, créée en 2011, nous fait gagner en efficacité. Dans la moitié des situations qui nous conduisent à notifier des griefs à des professionnels, les conditions pour engager cette procédure sont remplies, et le système fonctionne bien, sous le contrôle de la commission des sanctions, qui homologue les accords que nous passons. Nous économisons ainsi du temps et des moyens ; ce n'est pas négligeable. Nous commençons à bénéficier de l'élargissement de la procédure à certaines situations d'abus de marché, et les deux premiers cas, qui concernent bien entendu des dérives modestes, seront bientôt traités.

Je tiens à signaler, puisque votre commission a beaucoup travaillé sur la question de l'articulation entre poursuites pénales et poursuites administratives, que la coopération technique entre les équipes de la police, de la justice et les nôtres s'opère dans de bonnes conditions, même si je continue de regretter qu'en réservant certaines affaires au pénal, on risque des délais de poursuite plus long. Pour des délinquants endurcis, conjuguer les efforts de la police, du juge d'instruction et de l'AMF porte ses fruits. Dans les cas réservés à la sphère pénale, notre contribution technique est forte. De 2012 à 2016, des sanctions ont été prononcées pour quelque 100 millions d'euros et une quarantaine d'accords de composition administrative ont été passés.

Je ne reviens pas sur le financement de l'économie, qui a, comme je l'ai dit, retrouvé de l'allant.

En matière de régulation, nous avons surtout travaillé sur le crowdfunding et sur certaines formes de placements privés. Le crowdfunding ne concerne encore que des montants très faibles, de quelques dizaines de millions d'euros. Nous travaillons à instaurer le climat le plus favorable possible à l'innovation financière, en particulier en matière de fintech, porteuse d'un renouveau dont il faut espérer qu'il profite surtout au consommateur, et avons créé des équipes spécialisées dans ce domaine.

Pour l'avenir, je retiens quatre défis majeurs.

En premier lieu, celui du Brexit, un chantier très particulier puisque nous devons continuer à travailler avec nos amis britanniques tout en se préparant à agir avec une Autorité européenne des marchés financiers privée de l'expertise britannique et du regard sur son important marché. Il s'agit d'éviter le double écueil d'une fragmentation du marché, qui serait un recul, et d'une efflorescence d'acteurs qui joueraient sur les deux tableaux, profitant de la souplesse que leur apporterait une installation à Londres assortie d'artifices juridiques leur ouvrant voie au marché des Vingt-sept.

Je pense, en deuxième lieu, qu'il faut renforcer le rôle de l'Autorité européenne des marchés financiers, qui a été actif dans sa mission touchant à la réglementation européenne, et doit aujourd'hui l'être plus que jamais dans celle de convergence de la supervision, pour que les textes européens soient harmonieusement appliqués, ce qui est loin d'être le cas en pratique.

Le troisième grand défi est de renforcer la compétitivité de la place de Paris. Il y a, dans le Brexit, des risques, mais aussi des opportunités.

Enfin, nous nous heurtons à un problème budgétaire : le système de plafonnement des recettes nous met dans une position qui obligera mon successeur à des décisions importantes, selon ce que sera l'arbitrage des pouvoirs publics. Depuis 2016, et ce sera également le cas en 2017, nos dépenses générales sont supérieures au plafond de recettes. Nous l'assumons. Nous en avons débattu avec les collèges. Il est certain que si ce plafond devait être fixé, pour les prochaines années, au même niveau, la seule solution pour nous sera de réduire les moyens que nous consacrons à la régulation, ou au Brexit. Alors que nos contributeurs, les acteurs de la place de Paris, souhaitent que nous soyons plus actifs, en particulier pour les défendre à l'international, il me paraîtrait sage de relever un peu ce plafond.

La stabilité a-t-elle progressé ? De gros efforts ont été entrepris pour renforcer la stabilité du système financier, qui ont trouvé une traduction spectaculaire dans le domaine de la régulation bancaire - les banques sont désormais bien plus surveillées, notamment en Europe, avec la création du mécanisme de supervision unique, et les exigences de fonds propres sont beaucoup plus importantes.

Nous avons également beaucoup travaillé sur le shadow banking, dont l'expression française de « financement de marché » rendrait mieux compte que celle de « financement de l'ombre ». Dans le domaine de la gestion d'actifs, qui fait partie de ces financements parallèles, notre système est, je pense, assez sûr, en ce qu'il s'efforce d'anticiper un possible retrait trop rapide de l'argent des porteurs de parts d'OPCVM. Nous essayons de mettre en place des tests de sécurité, d'acquérir une meilleure connaissance du passif des fonds, de promouvoir des dispositifs juridiques qui permettraient, en cas de tension, de ralentir un temps les sorties.

Bref, les spécialistes et les autorités publiques ont essayé d'assurer plus de sécurité. Est-ce à dire que les risques ont diminué ? Je pense qu'ils se sont déplacés. Des taux d'intérêt aussi bas ne sont pas viables sur longue période. Des taux nominaux extrêmement faibles au long cours sont de nature à affecter le fonctionnement des acteurs financiers, notamment dans le domaine des assurances. Mais inversement, une hausse brutale des taux provoquerait un choc sur les obligations. Pour assurer la stabilité malgré ces risques, il s'agit de sortir en douceur de cette situation, en conservant le bénéfice qu'apporte l'existence d'acteurs financiers plus solides dans leur bilan, tout en normalisant progressivement les taux d'intérêt. C'est ce que Janet Yellen, présidente de la réserve fédérale américaine, la Fed, essaie de faire. J'espère que, dans le temps, c'est cette situation qui prévaudra, avec un peu de croissance, afin de rééquilibrer le système.

En revanche, rester dans un schéma où les banquiers centraux et les régulateurs prudentiels renforcent les banques tout en étant conduits à injecter énormément d'argent via des rachats de titres, c'est susciter un excédent de liquidité qui fausse les prix et crée un risque de variation brutale des actifs. Je ne suis pas inquiet à court terme, car la volatilité des marchés d'actions est aujourd'hui faible, et les cours sont relativement stables. Mais si l'on veut assurer un système réellement stable, il faut aller vers les évolutions que j'ai indiquées.

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