On n'a pas tari le processus, mais on observe un certain ralentissement. Nous enregistrons, par exemple, moins de plaintes. On ne peut pas dire, cependant, que personne ne subit plus de préjudice, ne serait-ce que parce qu'un certain nombre d'acteurs sont carrément hors la loi. N'étant enregistrés nulle part, ils font du démarchage téléphonique afin de persuader l'épargnant d'investir quelques milliers d'euros, puis quelques autres, jusqu'au moment où lorsqu'il veut arrêter, il a tout perdu. Face à de telles escroqueries, la réglementation ne peut rien : cela relève de la répression.
En revanche, l'interdiction de la publicité sur internet a permis de mettre fin à la technique de l'hameçonnage, qui pousse les internautes à entrer en communication avec des interlocuteurs formés pour les persuader de prendre des risques. J'ajoute que l'Autorité chypriote, qui enregistre, hélas, énormément de prestataires de ce type en ne les contrôlant que très peu, a évolué : à la demande de l'Autorité européenne des marchés financiers, elle a fini par émettre quelques sanctions. On a colmaté une partie de la brèche. L'interdiction serait un pas en avant.
La surveillance du trading haute fréquence exige des moyens puissants, d'où mon plaidoyer budgétaire. Nous avons engagé une rénovation complète de notre outil de surveillance, qui nous permet de capter des flux très importants d'information et de les traiter nous-mêmes, en utilisant des algorithmes pour déceler les situations risquées. Pour rester au niveau, il faut évidemment investir, en matériel mais aussi en ingénieurs. Nous n'avons pas à rougir : nous sommes à peu près les seuls, en Europe continentale, à avoir démontré des cas de manipulation de cours par l'utilisation de techniques de haute fréquence consistant par exemple à retirer des ordres dans les quatre ou cinq microsecondes suivant leur émission. La directive MIF fournit au reste quelques points d'accroche pour limiter l'espace de ce trading haute fréquence, dont l'apport à la liquidité du marché est loin d'être démontré.
Vous m'interrogez, enfin, sur l'Autorité européenne des marchés financiers et sur les chambres de compensation. Comme je l'ai dit, il va falloir que l'Autorité européenne des marchés financiers négocie un virage que de toute façon il devait aborder. Si l'on veut un marché financier intégré au niveau de l'Union européenne, il faut à l'Autorité européenne des marchés financiers davantage de pouvoirs et de compétences.
Cela peut passer par la régulation directe. Je pense notamment aux chambres de compensation, dont la vocation dépasse de loin les frontières du pays qui les enregistre et les surveille : il serait logique que l'Autorité européenne des marchés financiers, qui joue déjà un rôle dans les collèges de ces chambres, y monte en puissance, voire que lui soit un jour dévolue la responsabilité de surveiller ces entités.
Au-delà, il faut que l'Autorité européenne des marchés financiers soit à même de peser davantage sur la supervision. Certes, l'Autorité est au contact des marchés, des épargnants, des professionnels, leur explique les règles, les contrôle, les sanctionne, mais il reste, pour parvenir à une réelle harmonisation, à surmonter des différences d'appréciation, et cela sera d'autant plus crucial dans une Europe à Vingt-sept, privée de l'expertise britannique. Cela implique-t-il des choix de gouvernance ? Probablement. Le pouvoir, à l'Autorité européenne des marchés financiers, réside aujourd'hui, in fine, dans le conseil des superviseurs, composé d'un superviseur par pays. Pour décider d'une mesure, il y faut une majorité. Cela fonctionne bien pour l'interprétation des textes réglementaires, mais lorsqu'il s'agit d'entrer dans des dispositions plus invasives à l'égard des régulateurs nationaux et de certaines de leurs pratiques, cela devient plus difficile. Au point que des voix s'élèvent, auxquelles nous joignons la nôtre, appelant à un changement de gouvernance et des règles de majorité. On peut aller jusqu'à imaginer un conseil plus restreint chargé de la supervision, comportant des personnalités qui, n'étant pas issues des régulateurs, seraient au service de l'Autorité européenne des marchés financiers, à l'instar de ce qui existe dans le système de supervision bancaire. C'est une option à laquelle la France est assez favorable, et pour laquelle plaide l'AMF, mais le consensus n'est pas évident à obtenir, certains régulateurs y voyant une menace sur leurs activités et certains pays une intrusion dans un monde financier qu'ils ont l'habitude de réguler seuls. Ainsi de l'Allemagne, dont le système financier comporte de réelles particularités, assez réservée à l'idée d'aller vers ce qu'elle a accepté dans le domaine bancaire.
Il faudra donc du temps pour parvenir à des évolutions, mais j'estime que c'est bien dans ce sens qu'il faut aller. Et vous avez raison de souligner que l'un des risques, avec le Brexit - comme j'ai pu m'en entretenir avec des collègues, réputés, de la place de Londres - serait de voir la City obtenir le passeport qui lui manquera par des moyens détournés, dont celui que vous avez évoqué. Y faire pièce suppose une entente entre les Vingt-sept pour appliquer à peu près les mêmes règles. Le président de l'Autorité européenne des marchés financiers, qui s'en est convaincu, a proposé aux vingt-sept régulateurs de mettre en place un mécanisme de coordination, pour faire en sorte que lorsqu'une société implantée à Londres s'adresse, pour enregistrement, au régulateur d'un État, celui-ci, au lieu de décider seul si les conditions d'enregistrement sont réunies, expose les problèmes que pose l'accueil de cette entité, pour permettre des comparaisons. Ceci afin d'éviter la tentation, de la part d'un régulateur, d'alléger ses exigences pour attirer de l'activité. Ce mécanisme reste certes juridiquement fragile, mais il témoigne bien d'une prise de conscience. À nous de pousser en ce sens.
Le dossier des chambres de compensation est complexe, car il engage à la fois des enjeux politiques, systémiques et d'efficacité économique. Certains banquiers, y compris dans notre pays, estiment que si l'on met trop de contraintes, et que l'on oblige les chambres de compensation britanniques à éclater leur chiffre d'affaires et à se localiser pour partie en zone euro, le coût des opérations pourrait être moins bien géré, obligeant à constituer davantage de collatéral, ce qui serait pénalisant dans la compétition internationale. Mais inversement, il est malaisé d'accepter l'idée que dans des situations que certains épisodes de marché peuvent rendre difficiles, la manière dont la compensation se fait ou les exigences de marge en période de tension soient décidées par un régulateur et une chambre de compensation totalement extérieurs et dont les intérêts sont différents de ceux de l'Union européenne. Il y a là un vrai dilemme.
Nous pensons qu'il faut, à tout le moins, dans l'hypothèse où la supervision d'activités importantes resterait à Londres, un accord très précis assurant l'accès aux informations, la transparence sur les règles et le respect des règles européennes. L'autre hypothèse étant celle du rapatriement. Nous avons été assez heureux de voir la Commission européenne poser cette question dans des termes assez proches de notre mode de raisonnement. Il n'y a pas de réponse simple, mais il est clair que l'on ne peut laisser les choses en l'état, au risque d'une perte de contrôle.