La Commission européenne a posé la question de la compensation, en renvoyant la balle à la Banque centrale européenne, au motif qu'y sont engagés des aspects prudentiels. Si j'ai parlé de satisfaction, c'est que cette question délicate, qui avait été soulevée par la France sans susciter de position articulée au niveau européen, a été clairement énoncée par la Commission.
La taxe sur les transactions financières est pour moi, depuis longtemps, une fausse bonne idée. Les activités financières seraient une assiette fiscale envisageable si l'on parvenait à saisir l'ensemble des flux à un moment donné. En revanche, n'appliquer la taxe qu'à l'intérieur de l'Europe et pour certains pays, soulèverait d'importants risques de fuite et pourrait fausser la concurrence entre les acteurs. Si le Royaume-Uni acceptait un système que, pour l'heure, tous les États européens n'ont pas accepté, puisqu'ils ne sont encore que dix à poursuivre la négociation, et si ce système en venait à s'appliquer aux Vingt-sept et au Royaume Uni, il est certain que cela assurerait une base plus solide, même si les risques de fuite n'en seraient pas pour autant conjurés. En revanche, d'autres configurations m'inquiètent. Nous travaillons beaucoup, par exemple, avec les Néerlandais, notamment au sein d'Euronext. Comment envisager que cette entreprise de marché puisse associer ce partenaire et des pays appliquant une taxe dont il est loisible de s'exempter en se localisant aux Pays Bas ?
Vous évoquez la finance de l'ombre. Ce que l'on désigne ainsi est un ensemble composite. J'en veux pour preuve le fait que les pays ne l'appréhendent pas tous de la même façon. Le réflexe des régulateurs prudentiels, qui font un gros travail de régulation sur les banques, est d'y ranger tout ce qui permet de financer des entreprises en apportant de la liquidité et des fonds par d'autres voies. Ainsi des fonds monétaires, très importants, pour les banques, dans les financements à court terme. Une réflexion a été menée aux États-Unis et en Europe, qui a abouti au dispositif à présent sur la table que l'on va devoir mettre en oeuvre. Si bien que les fonds monétaires, qui ont fait l'objet de toute une série de précautions, ne sont plus à ranger dans la finance de l'ombre, pour autant que l'on désigne par ces termes une finance sans contrôle. Car il y a bien contrôle : l'AMF est ainsi chargée d'enregistrer les fonds monétaires et de vérifier qu'ils appliquent bien les règles.
Certes, les hedge funds, ces fonds spéculatifs qui peuvent en venir à prendre des risques considérables, doivent être contrôlés, ce qui peut se faire via le soutien qu'ils obtiennent auprès des banques. Ils sont en effet liés à la finance classique, puisque la plupart d'entre eux travaillent avec des acteurs bancaires pour couvrir leurs positions, avoir accès au refinancement, etc. Si bien que les risques sont un peu plus maîtrisés que par le passé, même si l'on ne peut être certain que tel ou tel hedge fund n'use pas de leviers excessifs.
Quant aux fonds soumis à la directive AIFM, nous avons le moyen de connaître leur effet de levier, et pour ce qui nous concerne, il n'est rien, chez nous, qui présente des risques énormes.
Pour le reste, soit le marché des pensions livrées (« Repo ») et tout ce qui concerne la circulation du collatéral, un domaine important puisque beaucoup d'opérations sont garanties par du collatéral, la parenté est assez forte avec le métier bancaire. Certaines garanties peuvent être apportées, mais il est vrai que les titres circulent. Les systèmes d'information sont encore imparfaits, et il reste donc un travail assez important à mener.
Oui, il existe des risques, mais l'on ne peut à la fois souhaiter voir le financement bancaire rééquilibré par des financements de marché et se plaindre qu'il y ait trop de risques dans ces derniers. Les efforts qui sont fait pour le bon fonctionnement des marchés, leur transparence, la compensation de davantage d'opérations par des chambres de compensation très disciplinées réconcilie un peu, en fin de compte, l'approche par les banques et l'approche par les marchés.
Sur la dérégulation outre-Atlantique, je n'ai pas de réponse définitive. La question est cruciale, comme elle l'est avec le Brexit. Nos discussions avec nos collègues britanniques, avec lesquels nous continuons d'avoir des relations étroites et cordiales, sont sous-tendues par cette interrogation : vont-ils, à terme, conserver les règles et le comportement d'un régulateur, ainsi qu'une discipline proche de celle qu'ils avaient adoptée comme membres de l'Union européenne ou vont-ils peu à peu devenir une sorte de centre offshore, avec des acteurs prenant beaucoup plus de risques, et suivre l'exemple des Américains - si d'aventure les États-Unis vont au bout des déclarations de leur président. Vous pensez bien qu'ils nous assurent du contraire, et qu'ils entendent s'en tenir à la même discipline, mais qui peut en être assuré ?
La course au risque est une course au gain à court terme méconnaissant les risques d'éclatement à moyen terme. C'est bien pourquoi il faut des régulateurs, faisant peser des responsabilités sur les acteurs pour que l'attrait du gain à court terme n'entraîne pas la dérive. Or, si d'aventure, le système américain prenait la voie du risque, ce serait une tentation forte pour la place de Londres. Nos collègues américains s'emploient à nous rassurer, arguant qu'il s'agit pour l'essentiel d'ajustements concernant le système bancaire américain, trop largement concerné par les mesure de discipline du Dodd-Frank Act, et qui n'implique ni l'abandon de l'engagement international des États-Unis pour la maîtrise du système financier, ni même celui des principales directions arrêtées en 2008-2009 dans le cadre du Conseil de la stabilité financière et du G20.
Cependant, au vu des déclarations du président Trump sur le Dodd-Frank Act et sur les décisions du G20, qualifiées de « désastre », on se dit, s'il advenait qu'il décide d'y revenir, que les mêmes causes produisant les mêmes effets... J'ai l'impression, malgré tout, que le sentiment est partagé, au sein de la communauté financière américaine et des régulateurs, que s'il faut peut-être toiletter certaines dispositions - car beaucoup ont été prises, y compris en Europe, selon des approches très verticales, par type de métier, par instrument, ce qui ne donne pas un ensemble parfaitement optimisé -, il serait périlleux, en revanche, de revenir sur des dispositions clé comme la maîtrise du levier des principales banques ou le passage, pour le marché des dérivés, par des chambres de compensation avec appel de marge obligatoire plutôt que par le bilatéral de gré-à-gré. De telles règles doivent être conservées. J'ai bon espoir que ce soit le cas, mais ce n'est pas totalement certain.
La régulation balance entre deux tentations. L'une qui va à verrouiller le système au maximum, pour diminuer les risques, l'autre allant à se laisser convaincre par les acteurs qu'il faut plus de souplesse. La juste position est dans cet entre-deux. À trop verrouiller le système, il ne financerait plus rien, mais à l'inverse, en l'absence de règles de contrôle, les risques seraient colossaux. De ce point de vue, la nouvelle attitude américaine reste un point d'interrogation. Nous suivons les choses avec attention, en multipliant nos relations avec des experts implantés aux États-Unis et avec nos collègues américains.
S'agissant des lanceurs d'alerte, nous les prenons en compte dans notre système de surveillance, et leur garantissons la confidentialité. Benoît de Juvigny, qui a la responsabilité de lancer les enquêtes et les contrôles, pourra vous en dire davantage. Nous évaluons, lorsque nous recevons une alerte, si elle apparaît suffisamment sérieuse pour justifier l'ouverture d'une enquête ou si elle ne fait qu'apporter des éléments dont nous disposions déjà. Nous n'en sommes qu'au début, mais nous avons bel et bien mis le processus en oeuvre.