Au cours de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, en réponse à une demande de rapport au Parlement sur la lutte contre le travail dissimulé formulée au travers d'un amendement de notre collègue Pascale Gruny, le rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, a suggéré que la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) se saisisse de cette question.
Désignées comme rapporteurs, nous avons présenté, il y a un an, une communication sur la lutte contre la fraude aux cotisations sociales. À l'issue de cette présentation, notre collègue Jean-Noël Cardoux, président de la MECSS, a souhaité que ce travail soit complété par un volet consacré à la lutte contre la fraude aux prestations sociales, ce que nous avons accepté ; nous vous le présentons aujourd'hui.
Nous avons souhaité définir strictement notre champ d'investigation : à la différence de la lutte contre le travail dissimulé, qui constitue une politique structurée aux acteurs limitativement définis, la lutte contre la fraude aux prestations sociales est aussi composite que ces prestations elles-mêmes. Notons par exemple que plus de vingt prestations différentes sont servies par la seule branche famille.
Intervenant dans le champ de la MECSS, nous nous sommes donc intéressées à la lutte contre la fraude aux prestations de sécurité sociale, ce qui exclut tout à la fois les prestations de chômage et le RSA, sujet déjà largement traité par Corinne Imbert dans le cadre de son rapport législatif sur la proposition de loi de notre collègue Éric Doligé.
L'objectif de la lutte contre la fraude aux prestations sociales nous paraît double.
Il s'agit, d'une part, d'un objectif de conformité de la dépense à son objet. Cet objectif est totalement dénué de valeur normative ou « morale », il s'agit tout simplement de s'assurer qu'un paiement a été effectué à bon droit. En ce sens, il rejoint des préoccupations relatives à la certification des comptes ; nous y reviendrons.
Il s'agit d'autre part, nous semble-t-il, de garantir, aux yeux de nos concitoyens, dans un contexte de tensions sur les ressources publiques, la légitimité des prestations servies : elles doivent l'être à la bonne personne, au bon moment et pour le bon montant.
Une lutte résolue contre la fraude nécessitait un changement de regard de la part des organismes sociaux, qui ne la voyaient pas forcément comme appartenant à leur coeur de mission. La certification des comptes des différentes branches de la sécurité sociale, à partir de 2006, a puissamment contribué à ce processus en diffusant une culture de paiement au juste droit.
Nous avons pu constater que cette mission était désormais totalement assumée par les caisses, qui n'hésitent pas à communiquer sur ce sujet. La présentation des résultats pour 2016 de la lutte menée par la CNAF contre la fraude a d'ailleurs fait la « une » de la presse le 22 février dernier. Une telle communication sur la lutte anti-fraude est désormais parfaitement explicite et l'ensemble du réseau est mobilisé sur cet objectif. Les 250 000 « rendez-vous des droits » organisés par les CAF ont aussi été l'occasion de rappeler les devoirs des allocataires.
Il reste, cependant, une difficulté collective à assumer de prendre en main ce sujet, au risque d'une confusion entre fraudeurs et bénéficiaires des prestations. Il nous semble qu'il faut dépasser cette question.
Je cite à cet égard la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2013-2017 de la branche famille : « prévention des indus et développement de l'accès aux droits ne sont pas contradictoires avec les efforts qui doivent être poursuivis pour la maîtrise des risques et la lutte contre la fraude. Ils se rejoignent au contraire dans l'approche globale [...] du paiement à bon droit ».
Comme pour la fraude aux cotisations, se pose tout d'abord une question méthodologique de définition et d'évaluation. Compte tenu de la nature du phénomène, il n'est pas envisageable d'en proposer une quantification précise.
Toutes les branches n'ont pas la même conception de la fraude aux prestations et seule l'une d'entre elles, la branche famille, s'appuie sur une méthodologie robuste pour évaluer l'ampleur du phénomène.
La branche maladie opère une distinction subtile entre l'abus et la fraude, tandis que la branche vieillesse s'estime, compte tenu de la nature des prestations qu'elle sert, relativement à l'abri.
La CNAF procède chaque année à un contrôle complet sur un échantillon de 7 500 allocataires. Elle évalue, sur cette base, son préjudice à 1,5 milliard d'euros pour 2015, soit le milieu de la « fourchette » entre 1,3 milliard et 1,7 milliard d'euros. Ce résultat correspond, pour 73 milliards d'euros de prestations versées - y compris pour compte de tiers -, à un taux de fraude de l'ordre de 2 %.
Certes, on ne peut pas extrapoler ce taux de fraude aux autres branches, ce qui donnerait un chiffre global de l'ordre de 5 milliards d'euros, mais force est de constater que les montants détectés sont relativement faibles, si on les rapporte au volume des prestations : 0,15 % pour la branche maladie, 0,08 % pour la branche vieillesse, 0,4 % pour la branche famille.