Comme nous l'avons indiqué en préambule, l'ampleur même du phénomène de la fraude aux prestations de sécurité sociale n'est pas quantifiée de façon rigoureuse par toutes les branches. La réalisation de ce travail par la branche maladie et la branche vieillesse, qui servent les volumes de prestations les plus importants, reste donc nécessaire.
Les montants de fraude détectés pour le régime général - de l'ordre de 500 millions d'euros - sont significatifs. Nous sommes certes loin des montants de la fraude fiscale - 21 milliards d'euros - et même du volume du non-recours aux prestations, évalué, pour certaines d'entre elles, à plus de 30 % et à 10 milliards d'euros. Ils n'en justifient pas moins un engagement résolu de la part des caisses. Ces montants sont comparables aux redressements notifiés dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé - environ 600 millions d'euros.
Certaines techniques peuvent encore progresser en matière de data mining et les échanges de données peuvent être accrus.
Au sein même des organismes de sécurité sociale, les échanges restent insuffisamment développés. Actuellement, les caisses d'allocations familiales ne disposent pas, de façon automatisée, du montant des indemnités journalières, des rentes d'accident du travail ou d'invalidité, qui sont pourtant versées par les branches maladie et accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP). La transmission des informations entre les différentes branches de la sécurité sociale doit impérativement être améliorée.
Le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), outil sur lequel beaucoup d'espoirs ont été fondés, ne remplit qu'imparfaitement cette fonction d'échange d'informations entre les organismes, la fiabilité des données qu'il contient étant insuffisante.
Dans les échanges automatisés entre la CNAF et l'administration fiscale, un million de personnes ne sont pas reconnues. Il faudrait travailler à faire progresser la reconnaissance des allocataires dans les échanges automatisés. Une simple amélioration des saisies informatiques permettrait déjà d'avancer.
D'autres chantiers de simplification pourraient être menés à bien : la mutualisation des certificats d'existence ou, à terme, leur suppression grâce à la mutualisation des données d'état civil.
Nous recommandons aussi de mettre en place les conditions de la lutte contre la fraude au moment même où une prestation est mise en place. L'exemple de la protection universelle maladie (PUMA) est significatif : alors qu'elle ouvre droit à une prise en charge des frais de santé pour les personnes majeures sans activité professionnelle sur le seul critère de la résidence stable et régulière, aucun contrôle automatisé du respect de ce critère n'a été mis en place. La Cour des comptes a ainsi relevé que le traitement des données des assurés ayant déclaré à l'administration fiscale ne plus résider sur le territoire national est encore inachevé, que les échanges avec la caisse des Français de l'étranger ne sont pas opérationnels et que les données des préfectures sur l'expiration des titres de séjour ne sont pas exploitables de façon automatisée.
Mais il faut aussi mettre en regard les moyens mis en oeuvre pour lutter contre la fraude et les résultats qu'ils produisent. Comme nous l'a indiqué Daniel Lenoir, directeur général de la CNAF, les rendements de la lutte contre la fraude, après une période de forte croissance, sont aujourd'hui décroissants.
Bien que fortement améliorés ces dernières années, les outils de lutte contre la fraude atteignent leurs limites. C'est pourquoi, tout comme notre collègue Corinne Imbert, nous sommes convaincues de la nécessité de faire évoluer l'ensemble du modèle, qui repose sur des contrôles a posteriori, vers un système de recueil des données avant le versement des prestations, au profit d'une meilleure prévention des indus, donc des indus frauduleux.
Dans ce domaine également, les possibilités offertes par la déclaration sociale nominative (DSN) sont très larges. Pour ce qui concerne les ressources, elle devrait permettre de disposer du montant des indemnités journalières versées par l'assurance maladie ou encore de celui des indemnités de chômage versées par Pôle emploi. Ne manqueraient dès lors que les pensions alimentaires ou les dons des proches pour apprécier les revenus des allocataires.
La DSN devrait être un puissant levier de simplification pour les allocataires, mais aussi de productivité pour les caisses, qui pourront cibler plus efficacement leurs contrôles sur d'autres éléments que les ressources.
Pour bénéficier pleinement de cet outil, plusieurs conditions devront être réunies. Il faut mettre en place un protocole d'échange de données entre les organismes de sécurité sociale, doter les allocataires d'un identifiant unique qui ne soit pas, comme le numéro d'inscription au répertoire de l'INSEE, le NIR, porteur de données personnelles. Il faut surtout - et ce chantier relève du domaine de la loi - unifier les définitions de notions auxquelles les administrations recourent sans qu'elles recouvrent la même signification en matière sociale et en matière fiscale, parfois même au sein de la sphère sociale : ressources prises en compte pour l'attribution des minima sociaux, salaire, isolement, pension alimentaire... Tout cela, bien sûr, dans le respect de la législation sur les données personnelles. C'est un vaste chantier de modernisation des outils et des méthodes qui doit se poursuivre, dans la continuité de la mise en place de la DSN.
Les ressources publiques se font rares, ce qui justifie la recherche de leur meilleure allocation possible. Au-delà de cet objectif, la légitimité même des prestations exige qu'elles soient servies à bon compte. La lutte contre la fraude est donc un impératif pour les finances sociales comme pour le juste droit.