Mes chers collègues, le rapport sur l'objectif des 2 % du PIB pour la défense, que je présente avec Daniel Reiner, découle à la fois des circonstances et d'une sédimentation profonde de notre commission.
Nous avons un nouveau chef des armées et nous sommes face à une nouvelle donne politique. Nous devons faire part au nouvel exécutif de nos analyses sur la situation actuelle, mais aussi des réflexions que notre commission a accumulées depuis des années.
La réflexion que nous transmettons aujourd'hui via ce rapport s'enracine dans les valeurs de notre République et dans nos objectifs. J'y ai travaillé avec Daniel Reiner, qui quittera notre Haute Assemblée au mois de septembre prochain, en m'appuyant sur son expertise, sa détermination et parfois aussi sa malice...
La période est passionnante, mais aussi extraordinairement dangereuse. La course aux armements est repartie. Les foyers de crise se multiplient. Il y a une très grande imprévisibilité au sein d'un certain nombre de puissances. À l'heure où les changements politiques sont profonds et où les menaces sont fortes, il est utile de mettre en avant notre expérience et nos réflexions, ainsi que d'indiquer une ligne stratégique.
Tel est l'objet de ce rapport. Il vise à faire connaître au nouvel exécutif la pensée construite au fil du temps par ceux d'entre nous qui se sont les plus investis au sein de notre commission.
En 2013, nous avions fait inscrire l'objectif de 2 % du PIB, qui est un objectif de l'OTAN, dans la loi de programmation militaire (LPM). Aujourd'hui, il est devenu une sorte de point de mire de notre réflexion budgétaire en matière de défense. En outre, comme nous l'avons vu lors des dernières universités d'été de la défense, il est devenu un consensus.
D'énormes ambiguïtés entourent ce chiffre de 2 %. Tout le monde n'y met pas le même contenu. Cela étant, le chef d'état-major des armées et de nombreux autres acteurs concernés, dont l'ancien ministre de la défense puis le Premier ministre, ont fait de cet objectif une ligne directrice. Et tous les candidats à l'élection présidentielle s'étaient prononcés sur ce sujet.
Nous faisons de ce rapport une sorte d'adresse au chef des armées. À nos yeux, l'essentiel est la remontée en puissance de nos moyens. Nous avons voulu proposer une méthode et un calendrier.
Nous en sommes bien conscients, l'objectif des 2 % est avant tout un concept politique, à l'instar de ce qu'a été le « consensus de Monterrey » pour l'aide publique au développement. C'est d'abord un moyen visant à créer une mobilisation.
En 2016, la France consacrait « seulement » 1,79 % de son PIB à la défense. Toutefois, elle est le deuxième pays de l'OTAN après les États-Unis et le premier en Europe par ses capacités opérationnelles déployées. Elle dispose de la dissuasion nucléaire.
Le chiffre de 2 % ne saurait donc constituer l'unique indicateur de l'état de santé de notre défense et du respect de nos propres objectifs. Ainsi, un quart du budget de notre défense est consacré à l'investissement en équipement, contre 12 % seulement en Allemagne.
Le Royaume-Uni consacre 2,17 % de son PIB à la défense, mais il fait peu d'interventions extérieures, et sa dissuasion nucléaire peut être qualifiée de « semi-autonome » compte tenu de sa dépendance à l'égard des États-Unis.
Le taux de 1,2 % en Allemagne n'a pas grande signification. Mme Merkel a indiqué vouloir le porter à 2 %. Sachant que le PIB de l'Allemagne est de l'ordre de 30 % supérieur au nôtre, une telle évolution pourrait correspondre à un surcroît de ressources de 25 milliards à 30 milliards d'euros.
Le Président de la République et le chef d'état-major des armées se sont publiquement prononcés en faveur du 2 %. Ils n'y mettent pas le même contenu, mais leurs positions sont, en réalité, assez voisines : le premier compte atteindre cet objectif en 2025, mais sans intégrer les pensions et les surcoûts OPEX, tandis que le second veut l'atteindre dès 2022, mais en intégrant ces deux aspects.
Pour notre commission, l'augmentation du budget de la défense est incontournable. C'est d'ailleurs ce qui a permis de parvenir à des consensus politiques avec M. Le Drian. Lors de l'actualisation de la LPM, nous avons montré notre conscience des risques. Avec l'intensité et la durée des interventions à l'étranger, notre outil militaire est menacé d'usure ; nous l'avons constaté en plusieurs circonstances. C'est la raison pour laquelle, avec Daniel Reiner, nous classons la qualité de cet outil parmi les besoins prioritaires ; nous ne nous contentons pas de raisonnements budgétaires.
Depuis les années soixante, le budget de la défense en France était globalement sur une pente dangereuse, au regard d'autres indicateurs, comme la richesse nationale et le niveau des dépenses publiques. La défense est souvent prioritaire dans les projets d'économies budgétaires de Bercy. Il est vrai que c'est un secteur dans lequel les risques d'agitation sociale sont assez faibles, même s'ils existent, comme nous avons pu le voir par le passé dans la gendarmerie.
Chacun reconnaît que la défense a accompli des efforts considérables. C'est l'une des leçons que j'ai apprises lors de mon passage à Matignon : l'administration de la défense est l'une des plus remarquables en termes de qualité de la ressource humaine, d'encadrement et de capacité de réforme. Nous devons protéger la défense, que d'aucuns auraient tendance à vouloir ponctionner un peu trop facilement, sans la démobiliser, car elle a encore sans doute des efforts à faire. Notre discours doit donc être équilibré. En effet, si les projections de trajectoire financière associées à la programmation actuelle étaient prolongées, nous serions à 1,7 % du PIB en 2019 et à 1,6 % en 2023 !
Comme nous l'avons constaté hier en écoutant les rapports de nos collègues Cédric Perrin et Gilbert Roger, d'une part, et Xavier Pintat et Jeanny Lorgeoux, d'autre part, plusieurs efforts financiers sont nécessaires. Les efforts ont été engagés au mois de juillet 2015, avec l'actualisation de la LPM. Ils ont été formalisés lors d'un conseil de défense au mois d'avril 2016, mais non pas figés dans les engagements pris par l'État dans la LPM.
À nos yeux, le nouvel exécutif ne doit pas escamoter l'échéance de 2018. Certes, nous pourrions imaginer qu'il prenne le temps d'organiser une réflexion, par exemple avec un nouveau livre blanc sur la défense. Un nouveau Président de la République pourrait vouloir refonder une pensée complète sur le sujet. Toutefois, nous pensons que ce serait dangereux. Le premier effort important à faire, c'est dès le budget pour 2018. Au demeurant, le dernier livre blanc de 2013 reste globalement pertinent.
À nos yeux, la remontée en puissance doit commencer dès 2018, ce qui signifie un projet de loi de programmation militaire dès 2017. Nous sommes favorables à une révision stratégique, avec, certes, un bilan et une capacité de réflexion, mais dans des proportions moins lourdes qu'un nouveau livre blanc, qui nous ferait rater l'échéance de 2018.
Il y a de nombreux avantages à aller vite. Tout d'abord, cela permet d'étaler l'effort sur un plus grand nombre d'années. Ensuite, compte tenu de la malice dont nous savons nos administrations capables, cela permet d'éviter qu'une loi de programmation de finances publiques ne verrouille la trajectoire financière d'une future LPM. Enfin, cela permet d'organiser la période à venir en deux vagues : les trois premières années seraient consacrées à la remontée en puissance des moyens et au maintien en condition opérationnelle des forces conventionnelles ; puis, au-delà de 2020, nous pourrions donner la priorité à la modernisation de la dissuasion, sujet qui a été abordé hier par notre commission. Ne sous-estimons pas de tels atouts.
La revue stratégique nous semble une meilleure option que le livre blanc. D'ailleurs, des documents existent déjà. En particulier, le rapport « Chocs futurs à l'horizon 2030 » du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), peut servir de base de réflexion.
Dans la conjoncture, l'effort à consentir, qui est de l'ordre de 2 milliards d'euros par an - il s'agit tout de même de passer à passer à 35,5 milliards d'euros en 2018 et à 39,5 milliards d'euros en 2020 - nécessitera une vraie volonté politique. C'est pourquoi nous appelons l'exécutif à aller vite et à franchir la première étape dès 2018.
J'en viens à un sujet connexe, mais très important. Le service national universel et obligatoire, qui est proposé par le chef de l'État, est naturellement une belle idée. Selon nous, elle mériterait cependant d'être encore travaillée.
Faire supporter financièrement un tel projet par la seule défense conduirait à l'évidence à une impasse budgétaire. On parle tout de même d'une somme de l'ordre de plusieurs dizaine de milliards d'euros - jusqu'à 30 milliards d'euros sur cinq ans-, même si les évaluations peuvent être discutées. Il serait préférable de faire travailler une commission sur le contenu et la finalité de ce projet, qui n'est pas encore très clair. Si un tel service devait voir le jour, il faudrait qu'il relève d'une mission budgétaire spécifique, afin que les ministères chargés de l'éducation nationale, de la formation professionnelle et de la jeunesse puissent également participer à l'effort.
Nos forces armées exercent déjà de nombreuses missions : défendre le pays et être à la hauteur des exigences contemporaines, en matière technologique et industrielle, à l'échelle internationale. Ne demandons pas à la défense de bâtir seule un tel projet de société et d'en supporter le coût. Selon les estimations, une telle mesure nécessiterait de 15 000 à 20 000 personnes pour encadrer le dispositif, et il faudrait bien évidemment d'importantes infrastructures d'accueil que la défense n'a plus ! Comment pourrait-elle y pourvoir, alors qu'elle a déjà dû vendre tant de casernes ?
Certes, que la société puisse trouver certaines vertus à la pratique militaire et veuille s'en inspirer pour la cohésion sociale est une satisfaction pour la défense. Le projet de service national présente donc certains intérêts. Néanmoins, son coût ne saurait être supporté par le seul ministère de la défense. J'y insiste : il faut le cas échéant une mission budgétaire spécifique ; c'est très important pour notre architecture budgétaire générale.
Je profite de l'occasion pour exprimer la gratitude de notre commission à nos collègues qui, par des rapports ou d'autres travaux, ont contribué à construire notre culture commune et notre ligne directrice. Plus que jamais, notre Haute Assemblée a besoin de parlementaires dont elle puisse être fière !