Ce rapport est la synthèse d'une réflexion de long terme, à laquelle différents auteurs d'avis sur les lois de finances ou de rapports d'information ont participé.
L'opinion publique s'est emparée de l'objectif des 2 %, et les candidats à l'élection présidentielle l'avaient fait leur.
Les moyens financiers supplémentaires consacrés à la défense ont pour objet de préserver le modèle d'armée défini dans le livre blanc de 2013, qui faisait suite à celui de 2008. L'échéance fixée pour ce modèle, 2025, est toujours d'actualité. Un nouveau livre blanc ne nous paraîtrait donc pas nécessaire. Certes, des événements qui ont usé prématurément ce modèle rendent des correctifs nécessaires.
En matière de défense, nos ambitions n'ont pas changé. Et le discours du nouveau Président de la République ne donne pas le sentiment qu'elles vont changer. La France reste la France, et son outil de défense est un élément essentiel du rôle singulier qu'elle joue.
Le contexte actuel n'est guère différent de celui de 2012 et de 2013, à ceci près que nos analyses d'alors se sont depuis vérifiées dans les faits. Les États en faillite - la « faillite » politique s'entend : les cas où il n'y a en réalité plus d'État - se multiplient, en particulier dans la bande du Sahel ou au Moyen-Orient. La montée en puissance des États forts se traduit par l'augmentation des budgets militaires que l'on observe aujourd'hui en Chine ou en Russie, même si l'évolution du cours du pétrole a perturbé cette tendance au cours des dernières années. Les risques sont réels.
Nous nous réjouissons des efforts de nos alliés au sein de l'OTAN, à commencer par les États-Unis. Certes, l'annonce d'une hausse de près de 10 % du budget militaire des États-Unis, alors que nous étions plutôt sur une pente descendante ces derniers temps, est quelque peu étrange ; nous verrons bien ce qu'il en sera.
Comme Jean-Pierre Raffarin l'a souligné, nos alliés britanniques, qui viennent de faire une revue stratégique, ont concrétisé l'engagement d'une augmentation de leurs budgets militaires.
C'est le cas aussi des Allemands. Toutefois, ne rêvons pas ; nous savons ce que signifient ces augmentations de budget. Certes, porter le budget militaire de l'Allemagne à 2 % de son PIB, qui est de l'ordre de 3 200 milliards d'euros, soit 1 000 milliards d'euros de plus que le nôtre, c'est mobiliser des moyens considérables. Mais pour quoi faire ? Nous connaissons l'engagement actuel de l'Allemagne au plan opérationnel, même si nous mesurons et apprécions les efforts récents de notre voisin. Les parlementaires allemands que nous avons rencontrés étaient plus intéressés par la paix que par la défense. Nous aussi, nous nous intéressons évidemment à la paix... Aujourd'hui, l'essentiel du budget allemand de la défense concerne le fonctionnement, voire le « confort », ce qui suscite d'ailleurs l'envie de nos militaires.
Nos armées sont sollicitées au-delà de ce qui était prévu dans les derniers livres blancs. Les contrats opérationnels, qui avaient été clairement définis sur le papier, ont été très largement dépassés, de même que les périmètres d'intervention. Par exemple, à l'époque, nous pensions que notre marine aurait à conduire simultanément deux opérations ; aujourd'hui, elle est en permanence sur quatre ou cinq terrains. Et 30 000 de nos soldats sont actuellement déployés en opérations.
Parmi ces opérations, il y a l'opération Sentinelle, dont la mise en oeuvre était, certes, prévue, mais pour une durée extrêmement limitée. D'ailleurs, ce matin, à la suite de l'attentat de Manchester, Mme May a annoncé la décision du Royaume-Uni d'ajouter, comme nous l'avions fait nous-mêmes, des militaires aux forces civiles de sécurité pour assurer la protection de leurs concitoyens sur le territoire. La réflexion que nous avions eue dans l'urgence commence ainsi à être partagée. Nous devons donc encore davantage réfléchir, l'état-major comme les décideurs politiques, à un corps de doctrine relatif à l'utilisation de nos forces armées sur le territoire.
Nous voyons également grossir des menaces que nous n'imaginions pas aussi prégnantes. Je pense notamment aux cyberattaques dont notre pays, comme d'autres, est la cible. Nous allons devoir créer une sorte d'armée de défense et, sans doute, d'attaque dans ce nouveau domaine de conflits. Nous l'avions déjà identifié dans le livre blanc de 2013, et des réponses avaient été apportées, avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), mais il va clairement falloir aller plus loin.
L'espace extra-atmosphérique non plus n'est pas le lieu pacifique que nous avions imaginé. Nous ne pouvons pas rester inactifs, d'autant que notre pays dispose de compétences en la matière.
Le renseignement est la clef de l'ambition stratégique d'anticipation et de connaissance développée dans le livre blanc de 2013. Il faut poursuivre et amplifier les efforts en la matière. Pas d'autonomie de décision sans renseignement !
À propos du matériel, il est nécessaire, selon la formule du chef d'état-major des armées, de « boucher les trous » de nos capacités. Nous en connaissons les lacunes. Tantôt, c'est nous qui avons reporté les mesures à prendre ; tantôt, c'était les industriels qui n'étaient pas prêts à répondre. Avec Jacques Gautier et Xavier Pintat, nous avons indiqué chaque année, dans nos rapports pour avis sur les projets de loi de finances, quels étaient les trous capacitaires et comment il fallait s'y prendre pour les boucher progressivement. Cela concerne les moyens de surveillance, de reconnaissance ou la flotte aérienne de transports.
Néanmoins, ne dramatisons pas. Un collègue député s'étonnait récemment que l'on loue des appareils gros porteurs à un certain nombre de pays, en l'occurrence l'Ukraine. C'est un peu découvrir l'eau tiède... Nous savons bien que de tels contrats de location existent. Nous n'avons d'ailleurs pas l'intention d'acheter systématiquement des très gros porteurs.
D'ailleurs, en matière d'équipements, il y a d'autres options que l'acquisition patrimoniale. La mutualisation est en une. Nous nous félicitons qu'il y ait une organisation mutualisée à l'échelle européenne, en l'occurrence le Commandement européen du transport aérien, (EATC). Nous pensons d'ailleurs qu'elle peut se développer sur d'autres secteurs, en particulier celui des ravitailleurs. Nous avons à l'évidence besoin d'avions ravitailleurs : les nôtres sont très vieux. Cependant, il est inutile d'en avoir énormément. Ceux qui nous semblent essentiels sont ceux qui sont attachés à la force de dissuasion et dont l'utilisation est duale, puisqu'on les utilise dans des circonstances autres qu'un raid nucléaire.
À l'instar de la plupart des pays européens, nous avons un problème d'hélicoptères. L'hélicoptère est devenu un outil essentiel en matière de défense. L'aérocombat est aujourd'hui une pièce maîtresse. Nous ne mettons sur le terrain que 100 des 300 hélicoptères dont nous disposons en théorie. C'est totalement insuffisant. La réponse ne peut être d'en acheter d'autres. Vous vous souvenez de l'attitude un peu « raide » que nous avions eue lorsque l'on nous avait proposé d'ajouter sept Tigres dans la programmation militaire actualisée, d'autant que la proportion d'engins disponibles était la même parmi ces sept que parmi les soixante précédents !
La question du maintien en condition opérationnelle se pose depuis plusieurs années. Les réponses envisagées aujourd'hui ne sont pas à la hauteur de nos attentes. Il y a encore beaucoup d'efforts à faire. Les responsabilités sont partagées entre l'industriel, l'aviation légère de l'armée de terre (ALAT), l'état-major...
Nous avons mobilisé des moyens dans la bande sahélo-saharienne. Il paraît que le sable n'est pas le même au Niger, au Mali ou en Tunisie et que les essais réalisés à un endroit ne peuvent pas préjuger de ce qu'il en serait ailleurs... Toutefois, le résultat, c'est bien que nos matériels s'usent extrêmement vite.
Il nous paraît donc nécessaire d'accélérer le programme Scorpion, qui a été conduit au profit de l'armée de terre. Ce programme de renouvellement des véhicules de transport, des véhicules d'attaque rapide et des moyens de communication est intelligent, mais ses échéances nous semblent trop éloignées. Il faudra accélérer la livraison des matériels. Apparemment, le doute que nous avions quant à la capacité des industriels à répondre à cette demande d'accélération n'est pas fondé.
Nous avons aussi une difficulté évidente avec nos bâtiments servant à assurer la souveraineté de la France, ainsi que la surveillance de nos espaces maritimes et de nos côtes. Ils vieillissent et sont désarmés. Mettre de la peinture sur la rouille ne règle pas l'ensemble des problèmes !
Dans le futur, l'évolution des technologies d'armement rendra à l'évidence les combats de plus en plus inégaux. Ceux qui seront capables de suivre ces technologies garderont un avantage. Il importe pour la France de le garder ; elle en a absolument besoin. Il nous faut donc poursuivre nos efforts en matière de recherche et d'étude. Nous devons à cet effet conforter le programme 144. En 2013, dans le livre blanc, nous avions avancé le chiffre, un peu « totem », d'un milliard d'euros par an. À l'époque, nous étions à environ 600 millions d'euros par an, contre 730 millions d'euros par an aujourd'hui. Cela nous semble insuffisant. Nous devons atteindre le milliard d'euros. D'ailleurs, il ne faut pas confier les programmes d'études amont seulement aux grandes entreprises. Il faut aussi en distribuer une part aux PME ou aux start-ups, où la recherche et l'innovation sont souvent en avance, mais qui ont besoin d'un coup de pouce financier.
Le rattrapage au profit des forces conventionnelles, qui correspond à la première vague évoquée par le Président Jean-Pierre Raffarin, ne doit pas faire oublier le long terme, c'est-à-dire la crédibilité de la dissuasion. Le rapport de la commission sur le sujet va dans le sens que nous souhaitons.
Compte tenu des exigences de nos concitoyens et des menaces auxquelles nous sommes confrontés, il faut que l'effort permette à la fois d'effectuer le rattrapage nécessaire sur les forces conventionnelles et de moderniser notre dissuasion nucléaire, pour qu'elle soit en permanence crédible.
Le calendrier initial envisagé aujourd'hui nous paraît raisonnable. Je pense que le curseur est placé au bon endroit : les efforts qui auront été consentis d'ici à 2020 sur les forces conventionnelles permettront de nous libérer, pour amorcer ensuite correctement les chantiers nécessaires à la modernisation de la dissuasion nucléaire.
Nous avons déjà pour l'avenir des engagements financiers substantiels, qui ont été définis dans la loi de programmation ou postérieurement à son actualisation. Certes, une LPM n'est pas une loi de finances. Il faudra donc reprendre en loi de finances les mesures définies en LPM ou correspondant aux engagements en conseils de défense, s'agissant en particulier de la qualité de vie de nos soldats. Cela représente des sommes importantes.
Il faudrait évidemment s'opposer à toute velléité de réintroduction de ressources exceptionnelles dans le budget de la défense. Nous avons lutté ces dernières années pour supprimer de telles recettes et les remplacer par des crédits budgétaires. N'acceptons plus de mettre des crédits hypothétiques et aléatoires dans la trajectoire financière de la défense.
Dans son rapport sur les OPEX, la Cour des comptes, qui est dans son rôle, s'étonne que le budget ne soit pas sincère. Évidemment que le budget n'est pas sincère ! Nous affichons depuis des années une dépense de 450 millions d'euros, alors que nous savons qu'elle dépasse le milliard d'euros. Nous avons fait le choix de minorer cette provision pour minorer la part financée par la défense, car c'est l'interministériel qui finance le solde.
En la matière, la dernière année a été totalement vertueuse. Le ministère de la défense n'a pas participé au-delà de ces 450 millions d'euros. C'est assez exceptionnel. Mais cela a évidemment fortement déplu à Bercy. À mon avis, dès lors que l'on ne peut plus s'attendre à une baisse significative du niveau de nos OPEX dans les prochaines années, il faut à présent jouer la carte de la sincérité et proposer que le financement de ces OPEX soit évalué de manière plus rigoureuse dès la loi de finances initiale. Il serait raisonnable d'afficher un montant d'un milliard d'euros ; nous sommes dans la pratique, actuellement, autour de 1,2 milliard d'euros...
Comme l'a souligné le Président Jean-Pierre Raffarin, notre rapport décrit quels sont, selon nous, les bons outils pour assurer notre défense nationale et construire l'armée que nous voulons. C'est un peu un contrat que nous, commission chargée de la défense au Sénat, passons avec l'ensemble des acteurs concernés. Aux industriels, nous proposons des équipements et des financements complémentaires. Aux militaires, nous suggérons de poursuivre l'effort d'organisation rigoureuse qui est à l'oeuvre depuis longtemps. D'ailleurs, nous sommes parfaitement capables de la mesurer ; c'est tout de même la défense qui a subi l'essentiel de la RGPP en termes d'effectifs.
C'est aussi une question de crédibilité. Le soutien des parlementaires traduit le soutien de l'opinion publique. Nous passons bien un contrat. L'effort supplémentaire qui va être réalisé répond à un souci de la Nation. Chacun, à sa place, y jouera un rôle.