Dix ans après une première mission d'information consacrée à l'Inde, notre commission a souhaité qu'une délégation puisse se rendre dans cet immense pays, grand comme six fois la France, pour dresser un état des lieux des coopérations existantes entre nos deux pays en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Nous nous sommes rendus dans le nord du pays, à Delhi, mais aussi dans le sud, à Hyderabad.
L'enseignement supérieur est d'abord un défi démographique pour Inde, car la population indienne dépasse le milliard d'habitants soit 20 fois celle de la France. Elle est très jeune, puisqu'un Indien sur trois a moins de 15 ans. Et elle n'est pas encore totalement alphabétisée, un Indien sur quatre étant analphabète. Dans ce contexte démographique particulier, les étudiants indiens sont aujourd'hui plus de 33 millions, ce qui constitue la troisième population étudiante du monde, après les États-Unis et la Chine. Ce pays doit aussi faire face chaque année à un million de nouveaux postulants aux études supérieures. C'est un défi majeur, défi démographique, mais aussi défi économique et de développement.
Pour accueillir ces quelques 33 millions d'étudiants, l'Inde compte désormais près de 800 établissements d'enseignement supérieur, alors qu'elle en avait moins de 30 à l'Indépendance. On estime qu'elle devra créer 1 000 nouveaux établissements d'ici 2020 pour faire face à l'augmentation annuelle d'un million d'étudiants supplémentaires. C'est un défi immense.
Au cours de notre mission, nous avons visité plusieurs types d'établissements, rencontré leurs responsables et leurs étudiants. Il y a tout d'abord le modèle des universités centrales et des universités d'État. L'université JNU (Jawaharlal-Nehru University) de Delhi que nous avons visitée est une université centrale, à campus unique et financée par l'État. Elle propose un intéressant programme d'accès à l'enseignement supérieur pour les étudiants issus des basses castes et des classes les moins favorisées sous la forme de quotas réservés à l'entrée.
À côté de ces universités publiques on trouve des institutions dites « d'importance nationale » comme les Indian Institutes : en technologie (les ITT), en management (les ITM) etc. Ces établissements sont assimilables à bien des égards aux grandes écoles françaises. Ils forment les élites indiennes dans une perspective de plus en plus internationale. Aucun établissement indien ne figure cependant encore dans les 200 premières places des classements internationaux.
On a également vu se développer, ces dernières années, des universités et écoles privées (il en existe environ 250), fondées par de grands groupes industriels indiens, avec parfois des partenariats internationaux, qui se présentent sous la forme de grands campus « à l'américaine » avec des droits d'inscription élevés. Nous avons ainsi pu visiter, à Hyderabad, une école d'ingénieurs franco-indienne privée, la Mahindra Tech-Ecole Centrale. Nous avons aussi eu la chance de visiter une école d'architecture à Delhi, qui a un partenariat fort et durable avec l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-La Villette.
Le vivier de 300 000 étudiants indiens en mobilité internationale est un formidable atout pour les pays qui ont une tradition d'accueil universitaire. La France en fait partie, qui est classée selon les années entre la troisième et la cinquième place mondiale pour l'accueil des étudiants en mobilité internationale et à la première place des pays non anglophones, à égalité avec l'Allemagne. Cependant, nous n'accueillons que 4 000 des 300 000 étudiants indiens en mobilité internationale, soit à peine plus d'1 % d'entre eux : la France n'est que le dixième pays d'accueil des étudiants indiens. En comparaison, l'Hexagone accueille à l'heure actuelle près de 30 000 étudiants chinois par an. L'objectif affiché de notre pays est de porter à 10 000 le nombre d'étudiants indiens accueillis chaque année d'ici à 2020.
L'anglais étant l'une des deux langues officielles nationales indiennes, les étudiants indiens sont naturellement tournés vers les pays anglophones. Cependant, le Brexit et l'élection de Donald Trump peuvent constituer d'intéressantes opportunités pour développer l'attrait des étudiants indiens pour la destination France. La qualité reconnue des formations notamment scientifiques, le coût réduit des études pour des populations parfois peu favorisées, et l'existence de formations entièrement dispensées en anglais - Campus France en dénombre 1 200 à ce jour - sont autant d'atouts dont la France peut se prévaloir. Des obstacles restent cependant à lever comme le coût et la disponibilité des logements dans certaines grandes villes, les difficultés administratives qui subsistent en dépit des avancées récentes de la loi sur le droit des étrangers et la barrière de la langue au quotidien pour ceux qui ne parlent pas correctement le français.
Notre mission n'était pas purement informative. Nous avions aussi des objectifs diplomatiques et je suis fière de pouvoir dire que nous les avons remplis. Nous avons été reçus par nos homologues parlementaires et nous leur avons rappelé notre attachement à la reconnaissance mutuelle des diplômes, à la mise en place de dispositifs pour aider à la mobilité étudiante et à notre objectif d'accueillir 10 000 étudiants indiens d'ici 2020.
Notre rencontre la plus fructueuse a certainement été celle que nous avons eue avec le ministre du Développement des ressources humaines (équivalent de notre ministre de l'Éducation) devant qui nous avons insisté sur notre souhait que le français demeure une langue enseignée dans l'enseignement secondaire indien. Le français, qui est pourtant la première langue vivante étrangère enseignée en Inde, semblait en effet menacé par l'importance que le gouvernement indien de Narendra Modi donne désormais aux langues régionales (pour mémoire, il y a en Inde 22 langues régionales constitutionnelles parlées chacune par plusieurs dizaines de millions de personnes ...). Le ministre nous a donné des assurances durant l'entretien et dès le lendemain, des instructions étaient passées dans les établissements d'enseignement secondaire afin d'y réaffirmer la place de l'enseignement du français et rassurer les professeurs de français. Cette avancée demande à être confortée, mais je suis fière que notre mission ait ainsi pu contribuer à la défense de la langue française dans le monde.
Quant au volet « recherche » de notre mission, nous avions tenu à visiter Hyderabad en plein essor scientifique et technique, plutôt que Bangalore souvent citée en exemple. L'Inde est un des pays majeurs en matière de recherche, au cinquième rang mondial en termes de publications, juste devant la France. Nos deux pays partagent une longue tradition de coopération en sciences et technologies, débutée dans les années 50 dans le domaine du spatial et des mathématiques et qui concerne aujourd'hui également les sciences de la vie, la physique, la chimie, l'environnement et même les sciences humaines et sociales. Le Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA) a ainsi contribué à 524 projets de recherche depuis sa création en 1987, organisé 130 séminaires et accueilli plus de 300 doctorants. Nous avons également tenu à visiter des centres de recherche comme le CEFIRES (Centre franco-indien de recherche sur les eaux souterraines) et des incubateurs de recherche comme T-Hub.
Enfin, l'une des rencontres qui nous a le plus marqués a été celle de Mme Sunitha Krishnan qui oeuvre pour la défense des femmes indiennes et contre la prostitution des enfants. Son travail est remarquable. Je forme le voeu que la Délégation aux droits des femmes puisse la recevoir.