Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 28 juin 2017 à 16h30
Audition de M. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale :

Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui, j'ai le plus grand respect pour la Haute-Assemblée et tout particulièrement pour sa commission de la culture, de l'éducation et de la communication - votre grand nombre, cet après-midi, démontre tout l'intérêt que vous portez à l'éducation, un sujet décisif quand nous visons tous un optimisme français et à ouvrir l'avenir de notre pays.

L'école que nous souhaitons faire avancer au cours des cinq prochaines années est une école de la confiance pour une société de confiance. Les systèmes éducatifs qui fonctionnent le mieux aujourd'hui, dans le monde, sont ceux où, contrairement au nôtre, la confiance est la plus forte entre l'ensemble des acteurs, entre la société et l'école, et où, in fine, les élèves ont le plus confiance en eux-mêmes - alors que les comparaisons internationales démontrent que nos élèves sont parmi ceux qui ont le moins confiance en eux face aux apprentissages.

Je rencontre un certain scepticisme, cependant, car la confiance s'est émoussée, par trop de discours, par des clivages qui se sont cristallisés. Je formule l'espoir qu'à la faveur des circonstances particulières que nous connaissons, un consensus soit possible autour de l'école. J'y travaille par une méthode nouvelle, qui repose sur deux piliers : la participation de la société à la définition des enjeux de l'école, la représentation nationale y a bien sûr un rôle de premier plan et la capacité d'avancer grâce aux lumières des connaissances établies - c'est pourquoi j'accorde une grande importance aux comparaisons internationales aussi bien qu'à la science, en particulier aux sciences cognitives et à la révolution numérique - et par l'expérience et les expérimentations. Tout ne commence pas aujourd'hui, nous bénéficions d'une trajectoire magnifique, nous pouvons regarder nos forces et nos faiblesses, expérimenter pour avancer. Nous avons des progrès à faire dans bien des domaines, à commencer par l'organisation du débat public.

Cette école de la confiance suppose une définition forte de grandes priorités. Le Président de la République a été très clair : la première priorité, c'est l'école primaire et, même, les premières années de la vie, qui sont décisives dans la lutte contre les inégalités, l'une des toutes premières étant l'inégalité devant le langage.

Le dédoublement des classes de CP en réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP+), n'est que la pointe avancée d'une politique plus générale au service de la lutte contre les inégalités, qu'elle ne résume pas à elle seule, les autres mesures que nous avons annoncées y participent également. Mais j'insiste sur ce point : étant arrivés fin mai alors que la rentrée de septembre était déjà largement préparée, nous avons voulu agir sans attendre, témoigner de notre volontarisme et de la capacité d'action de l'éducation nationale sur un sujet qui peut faire consensus. C'est le sens du dédoublement immédiat des classes de CP en REP+ : contre l'idée d'un immobilisme, nous donnons la priorité à la mesure qui a le mieux démontré son impact concret.

Je n'ignore pas le défi pratique de mise en oeuvre, toutes les communes ne pourront parvenir à dédoubler toutes les classes concernées dès la prochaine rentrée, mais nous rencontrons un très bon accueil et je rappelle que notre objectif est un dédoublement complet pour la rentrée suivante ; nous avançons d'ici-là avec les écoles qui peuvent déjà s'organiser. Au-delà de ces classes en REP+, nous faisons preuve d'un fort volontarisme pédagogique, pour que tous les enfants sortent de CP avec les compétences attendues en lecture, écriture et calcul : nos concitoyens attendent des résultats concrets. D'après les informations qui me sont transmises par les académies, actuellement, 70 % des classes de CP en REP+ seraient dédoublées dès la prochaine rentrée.

Quant au dispositif « plus de maîtres que de classes », nous le maintenons et nous le concentrons sur les CP et CE1, ce qui était l'objectif initial. Nous évaluerons ses résultats au cours de l'année 2017-2018. Il ne faut pas opposer les dispositifs, l'objectif n'est pas de faire gagner l'un plutôt que l'autre, mais que les enfants réussissent ; les études nationales et internationales montrent que le dédoublement des classes donne des résultats, bien davantage que le « plus de maîtres que de classes » - nous donnons sa chance à ce dispositif et si l'évaluation démontre qu'en France plus qu'ailleurs, il a des résultats, nous le conserverons puisque ce sera au bénéfice des élèves.

Le dédoublement des classes ne suffit pas, il exige une politique ambitieuse de ressources humaines, de formation initiale et continue - je partage les analyses et conclusions de votre récent rapport sur le sujet - mais aussi l'affectation de maîtres expérimentés en classe de CP. Je l'ai dit à tous les inspecteurs de l'éducation nationale, que je viens de réunir, de même que je les incite à regarder les apports des sciences cognitives - j'ai invité aussi les meilleurs spécialistes de ces sciences lors de cette réunion nationale des inspecteurs.

Nous nous situons au coeur de la philosophie de l'éducation prioritaire : donner davantage à ceux qui ont besoin de plus. C'est un effort majeur et c'est la condition même de la réalité du pacte républicain - nous nous en donnons les moyens et j'espère que cela fera consensus, en dépassant les clivages politiques et syndicaux, qui trop souvent voilent les réalités et nous empêchent d'avancer.

La mesure « devoirs faits » est elle aussi emblématique de notre volonté de dépasser les clivages. Il existe un clivage entre ceux qui disent que les devoirs sont nécessaires - et ils ont raison, car l'exercice par soi-même contribue à l'apprentissage et à l'autonomie - et ceux qui montrent que les devoirs à la maison accentuent les inégalités - c'est une réalité largement démontrée. D'autres s'alarment du poids des devoirs scolaires dans la vie de famille. Plutôt que d'en rester à cette situation figée, nous avons décidé d'internaliser les devoirs scolaires et nous le faisons, ici encore, avec pragmatisme, en mobilisant les professeurs, grâce à des heures supplémentaires, les assistants d'éducation (AED) - nous projetons de rénover leur statut, les 60 000 assistants sont une richesse et un vivier, c'est pourquoi être AED doit être un atout plutôt qu'un handicap pour accéder au professorat - mais aussi les quelque 10 000 jeunes du service civique - autre ardente obligation que nous nous fixons pour répondre, aussi, à l'appétit d'engagement de la jeunesse - et, bien sûr les associations et les collectivités territoriales déjà fortement engagées. Nous allons travailler à la cohérence de l'ensemble, en développant des labels, car nous constatons de fortes différences qualitatives entre les nombreux intervenants. Cette mesure « devoirs faits » aura une incidence large sur l'école, pour les élèves eux-mêmes mais aussi pour les assistants d'éducation et pour le lien entre le premier et le second degrés.

Troisième mesure, une nouvelle étape pour le collège. J'entends parler d'un « détricotage », d'un retour en arrière ; je le réfute : en arrivant, chose rare pour un ministre de l'éducation nationale, j'ai dit qu'il n'y aurait pas de grande loi sur l'école ni de « zigzag » sur les mesures ; certains en ont conclu à l'immobilisme, mais c'est un contresens : c'est simplement que nous mettons en place une nouvelle méthode d'action, en confiant de nouveaux outils aux acteurs, en leur donnant plus de capacité d'initiative, en les incitant à être plus créatifs - avec, pour le niveau national, davantage une fonction de soutien.

Nous entendons donc garder ce qui fonctionne dans la réforme du collège, ce qui nous paraît positif : les 20 % d'autonomie sur les horaires, les projets éducatifs par collège - mais nous rétablissons ce qui n'aurait pas dû être supprimé, en particulier les classes bilangues, les sections européennes et les classes de latin et de grec, car ce sont des éléments de valorisation des collèges et d'autonomie, en particulier dans les secteurs défavorisés. Nous encourageons un nouveau collège, qui personnalise mieux les parcours, soutienne l'épanouissement des élèves et prenne mieux en compte la révolution numérique. Tout ceci s'accommode très bien du maintien de l'accompagnement personnalisé et des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) dans les établissements qui s'en sont saisis.

Notre projet est donc cohérent avec le principe d'autonomie, qui coïncide en réalité avec celui de liberté et notre projet, c'est de le mettre au service de l'égalité. Aujourd'hui, les inégalités scolaires sont très fortes - et si la solution était du côté de l'uniformisation, cela se saurait, nous n'aurions pas de telles inégalités. Nous prenons au sérieux la devise de l'éducation prioritaire : donner plus à ceux qui ont besoin de plus. Alors même que la politique d'éducation prioritaire n'y est pas encore parvenue, les études de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont démontré le bien-fondé de cette approche.

La réforme des rythmes scolaires a satisfait comme elle a mécontenté, la situation n'est pas homogène et ne tend pas à l'être, c'est un constat. Un rapport de mon ministère, publié ce matin, établit que deux-tiers des élèves ne participent pas à des activités périscolaires, que le ressenti des familles est globalement négatif mais aussi que plus de 40 % des collectivités ont opté pour la libération d'un après-midi par semaine. Quant à l'impact sur les apprentissages, il reste à évaluer. Vous l'avez aussi écrit dans votre rapport, monsieur Carle, les réalités sont connues. Avec la possibilité de déroger à la réforme de 2013, il continuera d'y avoir des écoles à quatre jours et d'autres à quatre jours et demi, selon les choix locaux, il n'y aura pas d'injonction verticale ; ce que nous voulons, c'est que les choix soient faits localement et que les communautés éducatives en soient satisfaites.

Je rappelle qu'aucune étude ne démontre la supériorité de la semaine de quatre jours et demi sur la semaine de quatre jours, ni l'inverse. La qualité des activités périscolaires et leur lien avec l'activité scolaire compte également.

Des progrès importants ont été accomplis ces cinq dernières années, nous voulons conserver ce qui marche et améliorer ce qui ne marche pas. Cela suppose de conserver l'organisation en quatre jours et demi là où elle donne satisfaction et permettre, sur la base la plus consensuelle possible, une organisation sur quatre jours là où existe une demande locale, , tout en veillant à la qualité des activités périscolaires, en particulier dans le cadre des projets éducatifs territoriaux (PEDT) : ils sont encore souvent trop formels, nous sommes prêts à nous mobiliser pour contribuer à améliorer leur qualité, la complémentarité de mes compétences ministérielles - qui incluent la politique de la jeunesse - facilitera cette mobilisation pour la qualité.

Les quatre mesures que je vous ai présentées sont significatives de premières évolutions de notre système. Elles sont respectueuses de ce qui marche et attentives à ce qui ne marche pas ; elles se fondent sur la confiance dans les acteurs ; elles ouvrent la voie à d'autres mesures, pour lutter contre les inégalités dès le plus jeune âge : ce doit être un sujet d'union de la société française. La Haute-Assemblée sait créer de l'union sur des enjeux de long terme pour l'union de notre société - et je formule le voeu, avec optimisme, que nous y parvenions.

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