Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la sixième prorogation de l’état d’urgence que nous examinons aujourd’hui a été étudiée par le Conseil d’État et déposée sur le bureau de notre assemblée conjointement à un projet de loi relatif à la sécurité intérieure et à la lutte contre le terrorisme, ce qui n’est pas anecdotique. En agissant de la sorte, le Gouvernement entend donner des gages pour une sortie rapide de ce régime exceptionnel.
Nous discuterons précisément de ces prochaines réformes le moment venu. Pour l’heure, la question porte uniquement sur l’opportunité de proroger l’application du texte du 3 avril 1955, du 15 juillet 2017 au 1er novembre 2017.
Mes chers collègues, vous le savez, la défense des libertés est l’une des valeurs cardinales de notre groupe. Nous avons donc été particulièrement attentifs aux réserves formulées par le vice-président du Conseil d’État lors de sa précédente prorogation, ainsi qu’aux craintes exprimées par les associations de défense des droits de l’homme. De la même manière, la répétition de ces prorogations ne doit pas nous conduire à traiter une telle mesure comme une formalité. Sur ce point, notre vigilance est toujours entière.
L’histoire nous enseigne que l’équilibre entre sécurité et liberté n’est pas intangible, qu’il s’adapte à l’évolution des circonstances temporelles. L’installation d’une menace terroriste permanente constitue évidemment un élément de nature à bouleverser ce rapport entre libertés et sécurité.
S’il est difficile de mesurer depuis les travées du Parlement l’imminence d’attaques potentielles – nous nous en remettons sur ce point totalement aux rapports des services de renseignement –, il est nécessaire en revanche de prendre acte de l’évolution de la perception sécuritaire de nos concitoyens. Toute perception, même excessive, est un fait politique à prendre en compte.
Face à cette nouvelle perception, la précédente législature n’est pas restée inactive, au contraire ! Au-delà des prorogations de l’état d’urgence, cinq lois relatives à la lutte contre le terrorisme ont été adoptées. Un nouveau régime d’utilisation des armes à feu pour les forces de l’ordre a été instauré, des procédures dérogatoires ont été instituées, le recours à des technologies a été autorisé avec son lot de risques pour le respect de nos vies privées. Enfin, de nouvelles incriminations ont été insérées dans le code pénal.
Votre prédécesseur, monsieur le ministre d’État, a également obtenu d’importantes avancées au niveau européen, avec la conclusion des accords sur le PNR, le Passenger Name Record, et sur l’harmonisation des règles de neutralisation d’armes à feu. Nous vous souhaitons de poursuivre sur cette ligne !
Beaucoup a donc déjà été fait pour doter notre pays des moyens de se protéger hors du régime exceptionnel de l’état d’urgence, bien qu’il reste encore des sujets de préoccupation ; la prolifération des armes à feu sur notre sol en est un, qui mériterait que l’on y consacre un Grenelle…
Cependant, dans le contexte actuel, alors que les terroristes ne désarment pas en Europe et que le Gouvernement entre en fonction, il est nécessaire de lui permettre de commencer à agir dans des conditions sereines. C’est pourquoi, dans le souci constant d’apporter notre soutien aux forces de l’ordre, qui pourraient souffrir les premières d’un flottement législatif, le groupe du RDSE est en majorité favorable à cette nouvelle prorogation.
En attendant la nouvelle feuille de route antiterroriste, les contrôles effectués par le juge administratif et le Conseil constitutionnel sont suffisants pour protéger nos libertés, au regard des circonstances particulières que j’évoquais. L’existence de décisions d’annulation ou de censure prouve à elle seule la vitalité de ces contrôles.
En conclusion, nous espérons que l’adoption de cette prochaine loi de sécurité intérieure nous permettra de sortir du paradoxe d’un état d’urgence devenu permanent, pour passer au temps de l’application.
« Il n’est pas toujours nécessaire de faire des lois, mais il l’est toujours de faire exécuter celles qui ont été faites » écrivait au XVIIe siècle le philosophe empirique anglais John Locke. Nous avons tous ici conscience que nous ne parviendrons pas à écrire une loi qui garantisse un risque terroriste zéro. Ne tombons pas dans le piège de l’immobilisme que nous tendent les djihadistes.
Dans le respect de la liberté du vote qui est le fondement du groupe du RDSE, ses membres se prononceront en faveur de la prorogation, à l’exception de deux votes contre, pour les réserves que j’ai énoncées.