Nous parvenons au terme d'une enquête sur le foncier dans les outre-mer qui s'est révélée très riche et dont les propositions connaissent un début de mise en oeuvre, ce dont nous devons nous féliciter car les avancées enregistrées, qu'il s'agisse de la fiscalité forestière en Guyane, du transfert de la zone des 50 pas géométriques (ZPG) aux Antilles ou encore de la création d'une commission de l'urgence foncière à Mayotte n'auraient pas vu le jour sans notre initiative. Nous devrons rester vigilants au cours de la prochaine période triennale et continuer à jouer notre rôle d'éclaireur de conscience et d'aiguillon, en lien avec les acteurs locaux des territoires.
Pour parvenir à apaiser des conflits d'usage, d'autant plus aigus que le foncier mis à disposition reste une denrée rare, il est nécessaire pour les collectivités ultramarines d'élaborer des documents de planification sur la base d'un diagnostic précis et de mobiliser les outils fonciers à leur disposition pour mettre en oeuvre leur stratégie.
L'instrument majeur de planification stratégique à l'échelle des DOM est le schéma d'aménagement régional (SAR) dont l'élaboration revient aux régions, puis qui est approuvé par décret en Conseil d'État. Document dont l'élaboration est obligatoire, le SAR est doté d'un caractère prescriptif et s'impose aux documents d'urbanisme locaux comme les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, en l'absence de SCoT, les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les cartes communales. Seule la compatibilité avec le SAR est exigée des documents de niveau inférieur afin de préserver l'autonomie des intercommunalités et des communes.
Les schémas régionaux des carrières doivent être pris en compte dans les documents d'urbanisme, cette disposition n'étant pas spécifique aux outre-mer. En Guyane, le SAR doit, en outre, prendre en compte le schéma d'orientation minière, qui est spécifique à ce seul territoire.
L'ensemble des régions d'outre-mer disposent d'un SAR approuvé, à l'exception de Mayotte qui dispose d'un plan d'aménagement et de développement durable (PADD) dont la transformation en SAR est encore attendue, sa révision étant engagée depuis 2011 et freinée par un imbroglio foncier en constante complexification.
En Martinique, le SAR, approuvé en 2005, vise à lutter contre le fort mitage et la consommation d'espaces agricoles, ainsi qu'à adapter le territoire aux transitions en cours : développement des énergies renouvelables, renforcement de l'armature urbaine et anticipation du vieillissement de la population. Sa révision, engagée en 2011, a été stoppée en 2015 au profit de l'élaboration d'un plan d'aménagement et de développement durable (PADDMA), qui n'est cependant pas opposable.
En Guadeloupe, le SAR a été approuvé par décret en 2011 et vise à limiter l'étalement urbain, protéger les terres agricoles et le patrimoine naturel remarquable, et maintenir les équilibres entre les diverses fonctions du littoral, avec un schéma de développement multipolaire pour tenir compte du caractère archipélagique. Une évaluation du SAR sera bientôt engagée, dans la perspective d'une éventuelle révision.
À La Réunion, le SAR a été approuvé par décret en 2011, définissant quatre objectifs : répondre aux besoins d'une population en croissance et protéger les espaces agricoles et naturels, préserver la cohésion d'une société réunionnaise de plus en plus urbaine, renforcer la dynamique économique dans un territoire solidaire et, enfin, sécuriser le fonctionnement du territoire pour anticiper les changements climatiques.
En Guyane, le SAR a été approuvé par décret en juillet 2016 après une longue élaboration sur quatre ans. Il s'agit du premier SAR à valoir comme schéma régional de cohérence écologique (SRCE). Il vise à favoriser la production de foncier aménagé, à désenclaver les territoires, à mettre en place une armature urbaine équilibrée entre les différents bassins de population, à développer les équipements fondamentaux tout en préservant la biodiversité. Ce document constitue une étape majeure dans l'affirmation des compétences de la nouvelle Collectivité territoriale de Guyane qui a vocation à piloter l'aménagement du territoire et la mise en valeur de ses ressources.
Les outre-mer comptent peu de communes par territoire, d'où une certaine interférence entre les niveaux de planification du SAR et du SCoT. La Réunion est couverte par quatre SCoT approuvés, la Martinique par trois, la Guyane et la Guadeloupe par un seul - sur quatre communes en Guadeloupe. Il pourrait être envisagé de ne conserver que le SAR, les SCoT préfigurant les futurs PLU intercommunaux (PLUi). À la différence de leurs équivalents hexagonaux, les SCoT des outre-mer sont prescriptifs et couvrent des espaces plus petits.
Un des enjeux majeurs est la capacité du SAR à guider effectivement les politiques foncières locales et, en particulier, à orienter la planification qui relève des communes, même s'il convient de constater l'impact aujourd'hui très relatif des documents d'urbanisme sur la maîtrise du développement urbain dans les territoires fortement marqués par l'habitat informel, phénomène contre lequel l'État doit lutter plus efficacement par l'usage de ses pouvoirs régaliens.
En Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion, 94 % à 100 % des communes sont couvertes par un document d'urbanisme. Ce taux est plus faible en Guyane : 63 %. À Mayotte, toutes les communes disposent formellement d'un PLU approuvé, mais ces documents ne semblent pas être en prise avec les réalités du terrain. En dehors de La Réunion, l'ingénierie locale est en effet difficile à mobiliser pour l'élaboration et l'actualisation de ces documents et, partout, un travail important reste à conduire pour rendre ces documents réellement adaptés aux besoins et aux évolutions prévisibles des territoires.
Les difficultés que rencontrent les maires sont souvent rendues inextricables par la pénible articulation de leurs outils de planification avec les documents produits par l'État, en particulier les plans de prévention des risques naturels (PPRN). Plus prégnantes outre-mer que dans d'autres territoires, en raison de la superposition des risques (inondation, submersion, glissement de terrain, séismes, etc.) et de la concentration de la population sur le littoral ou à flanc de colline, les contraintes qu'ils imposent limitent les marges de manoeuvre des collectivités. Ainsi, par exemple en Guyane, 20 communes sur les 22 du territoire sont concernées par le risque d'inondation d'après la DEAL. Or, l'évolution des documents de prévention des risques et des documents d'urbanisme souffre souvent de désynchronisation et appellerait davantage de coopération entre les collectivités et les services de l'État.
De surcroît, les zonages de protection des espaces naturels stérilisent de larges espaces et rendent parfois caducs les documents d'urbanisme sur lesquels se fondent les acteurs publics et privés pour planifier leurs projets. La Guyane est particulièrement touchée, puisque 75 % de son territoire est protégé par un dispositif national et 16 % par un dispositif régional d'après les calculs de la CPME. À La Réunion, des tensions fortes sont apparues entre les maires et le parc naturel national qui couvre 40 % de la surface de l'île. La politique très restrictive des autorités du parc a même suscité un fort antagonisme avec l'ONF.
Si d'un point de vue strictement juridique les collectivités ultramarines sont compétentes et maîtresses de leur politique d'aménagement, chacune à leur niveau d'intervention, en pratique, l'exercice de leurs missions est fortement contraint par les prescriptions des services de l'État, si bien que les documents d'urbanisme tendent à être des copies conformes souvent déconnectées des réalités.
La clef pour réussir une planification stratégique et opérationnelle efficace réside dans la nécessaire différenciation territoriale, l'État devant accompagner les collectivités pour affûter leurs capacités propres d'expertise et leur garantir ainsi une véritable autonomie foncière.
Cet accompagnement peut également être dispensé à la demande de collectivités jouissant de l'autonomie, telles que la Polynésie française : c'est ainsi qu'un schéma d'aménagement et de gestion des espaces de la Polynésie est en cours d'élaboration sous l'égide d'un comité de pilotage co-présidé par le président du Pays et le haut-commissaire, dont les objectifs ont été fixés en 2016. La Nouvelle-Calédonie s'est dotée en 2015 d'un nouveau code de l'urbanisme puis en août 2016 d'un schéma d'aménagement et de développement, le SAD, élaboré par le haut-commissariat et le gouvernement calédonien et approuvé par le Congrès. Cependant, les acteurs économiques calédoniens regrettent le manque d'outils fonciers : il n'existe pas en Nouvelle-Calédonie d'établissement public foncier territorial ni de droit de préemption urbain, et l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (Adraf) doit toujours être transférée à la Nouvelle-Calédonie par décret en Conseil d'État sur proposition du Congrès, mais aucun calendrier n'est avancé.
Hormis les outils de planification et la nécessaire coordination avec les rouages étatiques, les acteurs incontournables d'une stratégie foncière réussie sont les établissements publics fonciers.
Créés par les collectivités territoriales pour faire face à la spéculation immobilière qui se développait outre-mer, les établissements publics fonciers locaux (EPFL) constituent désormais des instruments essentiels aux Antilles et à La Réunion pour produire du foncier à un coût maîtrisé et pour réguler les fluctuations du marché foncier. La Réunion fut pionnière avec la création d'un EPFL dès 2002, avant d'être rejointe par la Martinique en 2011 et la Guadeloupe en 2013 dont les EPFL montent progressivement en charge, notamment en achetant pour le compte des communes des terrains nécessaires à la réalisation de logements sociaux ou intermédiaires. Le logement social représente environ 40 % des interventions de l'EPFL de Guadeloupe. À La Réunion, sont établis des documents stratégiques, propres à chaque commune, qui repèrent les terrains disponibles à acquérir, publics et privés : l'EPFL les actualise en fonction de l'évolution des PPR, des PLU, des constructions achevées et des changements de priorités, et les communes ont largement délégué leur droit de préemption urbain.
Enfin, une excellente collaboration s'est instaurée entre les EPFL et les Safer, qui ont des activités complémentaires.
Comme cela a pu être souligné par les deux premiers volets de notre étude sur le foncier, en dépit de ces avancées en matière de planification foncière, deux territoires demeurent en situation d'urgence foncière : la Guyane et Mayotte. Je ne reviendrai pas sur ces imbroglios qui ont été largement détaillés.
Je rappellerai cependant que les collectivités territoriales guyanaises ne possèdent que 0,3 % du foncier contre 95 % pour l'État. Un handicap de taille lorsqu'on connaît les besoins patents du territoire, notamment en matière de logements sociaux. Je rappellerai d'ailleurs ici que, pour faire face à l'accroissement démographique naturel et au flux migratoire, on estime qu'il faudrait produire et viabiliser environ 175 hectares chaque année. Or, dans les faits, la production de surfaces viabilisées annuellement atteint seulement 50 hectares.
Nos propositions issues du premier rapport n'ont pas encore pu totalement se concrétiser mais des avancées récentes ont été accomplies avec la loi de programmation pour l'égalité réelle puis le protocole d'accord « Pou Lagwiyann dékolé » du 21 avril 2017 par lequel l'État s'engage notamment à céder gratuitement 250 000 hectares de son domaine privé à la Collectivité et aux communes. Notons que cet accord prévoit également la rétrocession de 400 000 hectares de terres aux populations autochtones pour qu'elles puissent mener une vie conforme à leurs aspirations. Pour ce faire, un office foncier des populations amérindiennes devrait être créé pour en assurer la gestion.
Le bénéfice de ces cessions au profit de la Collectivité territoriale de Guyane et des communes devrait être optimisé par l'action d'un Epag transformé depuis le 1er janvier 2017 en établissement public foncier et d'aménagement (EPFAG) au périmètre d'intervention élargi et, surtout, doté d'une gouvernance paritaire entre représentants des collectivités et représentants de l'État. L'EPFAG sera le bras armé de la mise en oeuvre de l'opération d'intérêt national (OIN), la première jamais lancée outre-mer, destinée à l'aménagement des principaux pôles urbains de Guyane.
Il est essentiel que les maires soient associés au pilotage de cette opération stratégique : aussi, notre proposition n° 8 préconise-t-elle une démarche partenariale et l'élaboration de contrats de territoire tripartites État-CTG-communes.
Concernant Mayotte, dont le deuxième volet de notre étude a évalué précisément l'imbroglio foncier et formulé un dispositif très complet de propositions destinées à apurer la situation, la création d'un établissement public foncier et d'aménagement d'État, qui réunit les compétences d'un établissement public foncier, d'un établissement public d'aménagement et d'une Safer, suscite une forte attente. Or, la phase de préfiguration a vu les collectivités mahoraises et l'État s'affronter sur les questions de gouvernance : la désignation par décret de son président parmi les représentants de l'État, prévue par la loi d'actualisation du droit des outre-mer de 2015, est ressentie par les élus comme une marque de défiance. De fait, ce type de désignation avait durablement enlisé l'action de l'Epag. Aussi, faudra-t-il envisager, et c'est notre proposition n° 5, lorsque l'EPFAM aura pris son essor, d'en faire évoluer la gouvernance pour que le président du conseil d'administration soit élu par ses pairs et non plus choisi au sein d'un collège.
Cette dernière recommandation vient clore notre présentation. Je vous remercie.