Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 4 juillet 2017 à 14h20
Projet de loi organique et projet de loi rétablissant la confiance dans l'action publique — Examen du rapport pour avis et communication sur la recevabilité financière des amendements

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Notre commission des finances s'est saisie pour avis, sur ces deux textes, des dispositions qui relèvent de sa compétence, soit les articles 9 et 13 du projet de loi organique, qui concernent la suppression de la réserve parlementaire ou dotation d'action parlementaire et l'article 12 du projet de loi ordinaire qui habilite le Gouvernement à créer un dispositif permettant d'assurer le financement des campagnes électorales et de la vie politique.

L'article 9 du projet de loi organique a pour objet la suppression de la dotation d'action parlementaire. Cette « réserve » n'ayant été créée par aucune disposition législative, il est proposé par le I de l'article 9 d'en supprimer la « pratique ». Par coordination, le II du même article abroge la disposition de la loi organique relative aux lois de finances, la loi organique relative aux lois de finances, qui prévoyait la publication en annexe du projet de loi de règlement de la liste des subventions octroyées à la demande des parlementaires.

Relevons que l'article ne propose pas d'interdire, en tant quel telle, l'adoption d'amendements de crédits du Gouvernement reprenant des propositions de membres du Parlement, ce qui nous empêcherait de formuler toute proposition dans le débat budgétaire, mais bien la pratique spécifique de la réserve parlementaire.

Quels sont les motifs avancés par le Gouvernement ? Selon l'étude d'impact, cette pratique constituerait un « contournement » de l'article 40 de notre Constitution et lors de son audition au Sénat le 27 juin dernier, Nicole Belloubet, ministre de la justice, est allée plus loin en mentionnant « une pratique qui est originellement contraire à l'article 40 de la Constitution ».

Or comme le souligne le Gouvernement lui-même, dans sa décision du 9 octobre 2013, le juge constitutionnel a admis le nouveau dispositif de transparence de la réserve parlementaire prévu par la LOLF, sans remettre en cause la constitutionnalité de cette pratique.

Par ailleurs, le montant de la « réserve parlementaire » a pu être pendant plusieurs années provisionné dès le projet de loi de finances et figurer donc dans la budgétisation initiale de l'État proposée par le Gouvernement au Parlement. La répartition de l'enveloppe de la « réserve parlementaire » entre les missions et programmes budgétaires a toujours procédé d'amendements du Gouvernement. Ainsi, cette pratique ne conduit pas les parlementaires à accroître les dépenses publiques mais seulement à jouer un rôle dans la répartition et l'affectation d'une part très limitée des crédits budgétaires, 146 millions d'euros en 2017 sur un total de dépenses du budget général de l'État de 446 milliards d'euros, soit 0,03 % des crédits, pour des opérations ciblées, en faveur de l'investissement local ou du secteur associatif.

Pour mettre fin à cette « pratique », comme le souligne l'avis du Conseil d'État, il suffirait que le Gouvernement cesse de « faire droit aux demandes des parlementaires, tant au stade de la discussion des projets de lois de finances que de l'exécution de ces lois ». Seules les dispositions prévues par la LOLF relatives à la publication des montants en cause nécessiteraient donc une abrogation.

Ainsi, la nécessité de légiférer est motivée par le Gouvernement non pas tant par des motifs juridiques que pour la raison qu'il s'agirait d'une « pratique inefficiente qui contribue à alimenter la suspicion de clientélisme à l'égard des parlementaires, souvent détenteurs d'un mandat local ».

Or, s'il est incontestable que le « secret » entourant la réserve parlementaire pendant de nombreuses années a pu contribuer à cette suspicion, d'importants efforts ont été réalisés depuis 2013 qui conduisent désormais à une transparence totale tant sur la répartition de la réserve entre les parlementaires que sur l'attribution des crédits.

Tout d'abord, une disposition de la LOLF, introduite en 2013 par un amendement sénatorial, prévoit la publication, en annexe du projet de loi de règlement, de la liste des subventions octroyées à la demande des parlementaires. Par ailleurs, les deux assemblées publient elles-mêmes ces informations en ligne sous forme de données ouvertes. Vous vous souvenez d'ailleurs qu'à la demande du président du Sénat, nous avions entendu l'ensemble des groupes et fait des propositions pour renforcer la transparence, aujourd'hui supérieure aussi bien à celle des subventions retracées dans le « jaune » budgétaire des subventions aux associations qu'à celle d'autres concours financiers aux collectivités territoriales, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) par exemple.

Quant aux modalités de répartition entre les parlementaires de la « réserve » du Sénat, elles sont également publiques et transparentes.

Une des critiques portées à la réserve parlementaire, au-delà de la question de la transparence qui vient d'être évoquée, est son coût administratif. L'étude d'impact indique ainsi que la suppression de la réserve parlementaire « devrait se traduire (...) par un allègement de charge administrative estimé à 4 millions d'euros » et par « l'économie de 6 emplois d'administration centrale qui étaient entièrement consacrés à la gestion des travaux divers d'intérêt local ». Aucune économie n'est attendue sur le budget des préfectures, dont les agents ne se contentent pas de gérer la réserve parlementaire. Les modalités de chiffrage de l'allègement de la charge administrative ne sont pas précisées.

Outre le fait que dans le dispositif proposé par le Gouvernement, le coût de gestion de la réserve dite « ministérielle » sera maintenu, il faut souligner que la procédure administrative avait été très sensiblement améliorée ces dernières années pour les subventions aux collectivités locales. Ainsi, un site internet dédié a été ouvert le 15 novembre 2016, permettant désormais à l'administration de recevoir 30 % à 35 % des dossiers en ligne. La dématérialisation des procédures était destinée à se généraliser et à réduire d'autant le coût administratif du dispositif.

Enfin, la direction du budget a confirmé que les critères de recevabilité des demandes de subvention ne se distinguent pas, en droit, de ceux applicables aux subventions de l'État pour des projets d'investissement. Ces critères sont définis, notamment, par le décret n° 99-1060 du 16 décembre 1999 relatif aux subventions de l'État pour les projets d'investissement ainsi que par l'arrêté des ministres de l'intérieur et du budget du 2 octobre 2002.

Par ailleurs, alors même que la « réserve parlementaire » serait supprimée, ce qu'il est convenu d'appeler la « réserve ministérielle » ne fait l'objet d'aucune mention ni réforme dans le présent article alors qu'elle s'exposerait à des critiques similaires. Les crédits de la réserve ministérielle inscrits en loi de finances initiale se sont élevés à 19 millions d'euros entre 2011 et 2013 puis, en 2014 et 2015, ont représenté respectivement 16 et 14 millions d'euros avant de chuter à 8,4 millions d'euros en 2016 et 5,4 millions d'euros en 2017.

Pour ce qui concerne la réserve parlementaire, la dotation d'action parlementaire du Sénat a été fixée en loi de finances initiale 2017 à 56,26 millions d'euros, montant inchangé depuis 2012. En exécution, 80,5 % des 53,3 millions d'euros réellement dépensés en 2016 sont allés à la mission « relations avec les collectivités territoriales » et 19,5 % aux autres missions budgétaires. En exécution 2016, le montant concernant l'Assemblée nationale s'est élevé à 81,86 millions d'euros, dont 48,9 % pour la mission « relations avec les collectivités territoriales » et 51,1 % pour les autres missions budgétaires.

La dotation d'action parlementaire apporte à l'investissement local un soutien qui n'est pas seulement symbolique dans le contexte actuel de baisse des dotations de l'État aux collectivités territoriales. Pour les communes, elle représente l'équivalent d'une majoration de 9 % du montant de subventions reçues au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) - laquelle ne fait pas l'objet de la plus grande transparence.

Il s'agit la plupart du temps d'un complément aux crédits attribués par l'État ce qui explique que les montants moyens soient relativement peu élevés : ainsi, en 2016, 20 % des dossiers de la « dotation d'action parlementaire » soumis par les sénateurs sont inférieurs à 2 000 euros, 65 % sont compris entre 2 000 et 10 000 euros, 11 % sont compris entre 10 000 et 20 000 euros, 3 % sont compris entre 20 000 et 50 000 euros et seulement 0,6 % des dossiers sont supérieurs à 50 000 euros.

La réserve parlementaire irrigue également le tissu associatif et contribue à la cohésion sociale. Elle subventionne de nombreuses « petites » associations au niveau local, par exemple en 2016, 1815 associations rattachées au programme « vie associative », 1 670 associations sportives locales au titre du programme « sport », 378 associations au titre du programme « hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ou encore, en 2015, 237 associations oeuvrant dans les secteurs de l'action sociale, de la culture et de la jeunesse et des sports en outre-mer.

Dans son avis, le Conseil d'État a d'ailleurs invité le Gouvernement à « veiller à ne pas priver (...) un certain nombre d'organismes publics ou privés de ressources indispensables pour assurer les missions de service public qui lui sont confiées ».

Lorsque l'on étudie l'impact de la réserve parlementaire, il apparaît que celle-ci apporte un soutien récurrent à certains programmes budgétaires et donc à certaines politiques publiques, si bien que sa disparition pourrait poser des difficultés si les crédits des lignes correspondantes n'étaient pas abondés dans les prochains projets loi de finances.

Ainsi, la réserve parlementaire abonde les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ». Les principaux bénéficiaires des subventions sont les instituts et alliances françaises ainsi que les lycées français, dont certains ont, dans certaines régions, des budgets extrêmement modestes, voire certains consulats ou les bals du 14 juillet.

Elle intervient aussi largement, dans le financement, auquel elle contribue pour 20 %, des réseaux, fédérations, petites structures qui oeuvrent dans ce domaine.

De même, elle finance de manière significative des travaux sur des bâtiments religieux qui appartiennent aux communes - églises, opérations en faveur des commerces de proximité, le développement du tourisme, etc.

Enfin, pour certaines fondations politiques comme la Fondation Jean Jaurès ou Fondapol, les subventions provenant de la dotation institutionnelle des deux assemblées, décidées de manière collégiale par le collège des vice-présidents, complètent substantiellement les subventions accordées par les services du Premier ministre.

Or le Gouvernement n'a pris aucun engagement sur l'avenir de ces crédits.

Lors de sa conférence de presse du 1er juin 2017, François Bayrou a évoqué la création d'« un fonds d'action pour les territoires ruraux », « transparent et soumis à critères précis et publics ». Ces précisions ne figurent ni dans le projet de loi ni dans l'étude d'impact qui lui est associée.

Lors de son audition, Nicole Belloubet a semblé écarter toute création d'un fonds nouveau, au profit d'un abondement de dispositifs existants, dont elle n'a pu préciser ni le montant ni la nature. L'étude d'impact du projet de loi est terriblement lacunaire sur ce sujet, mentionnant une « éventuelle réallocation des crédits vers des dispositifs existants et normés, dont les règles d'allocation sont connues et publiques » - deux qualificatifs sur lesquels j'émettrai, à titre personnel, une réserve, si j'en crois les pratiques d'attribution de la DETR dans un certain nombre de départements.

Ainsi, plusieurs hypothèses seraient en cours d'examen qui sont principalement l'abondement de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou, le cas échéant, de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et de la dotation de politique de la ville (DPV).

Au-delà des incertitudes pesant sur l'avenir des crédits alloués aux collectivités territoriales, le Gouvernement n'a fait mention d'aucun dispositif susceptible de prendre le relais des crédits de la réserve parlementaire qui irriguent actuellement le tissu associatif et certaines politiques publiques.

Bien au contraire, l'intention est très claire, puisque l'étude d'impact montre que l'un des enjeux de la réforme est d'économiser le montant de ces subventions. Pour ce qui concerne spécifiquement les associations, celles-ci ne seront plus désormais soutenues que par les moyens existants, qui n'apportent pas de garantie particulière en matière de transparence.

Ainsi, selon le dernier jaune budgétaire « Effort financier de l'État en faveur des associations », plus de 33 037 attributions de subventions aux associations sont intervenues en 2015 pour un montant total de 2,06 milliards d'euros - des sommes sans commune mesure avec la réserve parlementaire. Si le tome 3 du jaune budgétaire dresse une liste exhaustive des associations subventionnées, les critères d'octroi des subventions et de sélection des dossiers ne sont pas strictement définis.

Si la dotation d'action parlementaire venait à être supprimée, il reviendrait donc au Gouvernement de décider de l'ensemble de ces subventions.

En conclusion, l'article 9 n'a pas de caractère normatif puisqu'il n'est pas besoin d'une loi organique pour supprimer une « pratique ». Le supprimer n'aurait pas de réelle incidence alors que le Gouvernement ne dit rien sur ses intentions, notamment à l'égard des petites collectivités locales qui seraient les plus touchées par la suppression de la réserve parlementaire.

En l'état d'imprécision des intentions du Gouvernement, je vous propose donc un amendement pour inscrire dans la LOLF une dotation de soutien à l'investissement des communes et de leurs groupements pour financer des projets proposés par les parlementaires avec un plafond de 20 000 euros par subvention. Le Gouvernement déciderait lui-même du montant de la dotation qu'il souhaite inscrire, les projets seraient soumis par les bureaux des deux assemblées dans une totale transparence et la liste des subventions accordées serait rendue publique. Les critères seraient précisément définis par la loi organique.

Je vous propose également d'améliorer la transparence de la réserve ministérielle en imposant sa publication par la loi et en format ouvert.

Enfin, j'interrogerai le Gouvernement sur ses intentions quant à l'inscription de crédits budgétaires pour les programmes qui bénéficiaient de manière récurrente de la réserve parlementaire pour des objets spécifiques. Je pense aux alliances françaises et à certains établissements à l'étranger qui bénéficient d'un soutien récurrent et que la disparition de ces crédits fragiliserait.

Je vous propose de ne pas modifier l'article 13 du projet de loi organique qui a pour objet de permettre que les crédits de réserve parlementaire dans les lois de finances antérieures à l'exercice budgétaire 2018 puissent continuer à être exécutés jusqu'à leur terme.

J'en viens maintenant au projet de loi ordinaire.

L'article 12 porte en effet sur la « banque de la démocratie ». Comme vous le savez, le dispositif qui devait initialement figurer dans le projet de loi a été retiré suite à l'avis du Conseil d'État, qui l'a estimé trop lacunaire. Il a donc été remplacé par une demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.

Trois remarques peuvent être faites.

Premièrement, sont visés à la fois le financement des campagnes électorales et celui des partis politiques déposant des comptes certifiés.

Deuxièmement, le mécanisme interviendrait à titre subsidiaire au marché, en cas de « défaillance avérée », par trois mécanismes de financement : l'obtention de prêts, d'avances ou de garanties.

Troisièmement, le dispositif prendrait la forme soit d'une structure dédiée, éventuellement adossée à un opérateur existant - la Caisse des dépôts et consignations a été évoquée sans en avoir été, semble-t-il, vraiment consultée... -, soit d'un mécanisme de financement.

L'accès au crédit bancaire constitue un enjeu fondamental pour la démocratie, à double titre. Il s'agit, d'une part, de garantir, ainsi que le dispose l'article 4 de la Constitution « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », et d'éviter, d'autre part, le risque d'un financement opportun de partis ou campagnes.

D'autres dispositions du projet de loi, à mon sens de bon aloi, répondent d'ailleurs à cet objectif. Les articles 8 et 9 limitent ainsi les possibilités d'emprunt aux établissements bancaires ayant leur siège social dans un État membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen. L'article 10 crée un médiateur du crédit pour exercer une mission de conciliation entre les établissements financiers et les partis ou candidats. De fait, il devient complexe, notamment pour les parlementaires, d'ouvrir un compte dédié.

Cependant, la demande d'habilitation qui nous est soumise ne repose sur aucune étude préalable des besoins et des mesures nécessaires pour y répondre. En l'état, elle n'offre pas de réponse sur les moyens de concilier l'impartialité des décisions prises et la viabilité financière. Volontairement très large, elle présente un caractère prématuré. C'est d'ailleurs ce qu'a reconnu la ministre de la justice en annonçant une mission conjointe des inspections générales des finances et de l'administration sur ce sujet. Pour l'heure, nous ne saurions accepter de délivrer une habilitation aussi vague et dénuée d'orientations, au rebours de l'exigence du Conseil constitutionnel. Je vous propose donc de supprimer cet article 12.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion