Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis des dispositions des deux projets de loi que nous examinons aujourd’hui concernant, d’une part, la suppression de la dotation d’action parlementaire, et, d’autre part, l’habilitation qui serait donnée au Gouvernement pour créer un dispositif souvent présenté comme la « banque de la démocratie ».
Le Gouvernement avance tout d’abord des motifs juridiques pour justifier la suppression de la « dotation d’action parlementaire » – c’est le terme que nous préférons au Sénat –, en évoquant tantôt un « contournement », tantôt une pratique « contraire » à l’article 40 de la Constitution, alors que le Conseil constitutionnel, que vous connaissez bien, madame la garde des sceaux, n’a jamais censuré cette pratique, qu’il a même validée. C’est du moins la lecture que nous faisons de sa décision du 9 octobre 2013.
Le Gouvernement met aussi en avant un risque de clientélisme. Cependant, si ces risques ont sans doute été réels par le passé, la transparence est, depuis 2013, totale. Sur l’initiative du Sénat, les deux assemblées publient désormais elles-mêmes, sous forme de données ouvertes, la liste des subventions. Cette publicité est supérieure à celle de nombre de subventions versées par les services de l’État…
Le Gouvernement annonce aussi l’économie de 6 emplois d’administration centrale, ce qui n’est pas extraordinaire, d’autant que ces effectifs seront maintenus pour gérer la réserve dite « ministérielle ». Comme vous le savez, la dématérialisation des procédures avait été engagée et l'on pouvait en attendre une réduction sensible des coûts administratifs.
Enfin, le Gouvernement évoque le respect de certains critères « normés », alors que l’administration nous a confirmé que les critères de recevabilité des demandes de subvention ne se distinguaient pas de ceux qui sont applicables aux subventions de l’État pour des projets d’investissement.
Sur le plan budgétaire, je rappelle que la dotation d’action parlementaire correspond à seulement 0, 03 % des crédits du budget de l’État, soit 147 millions d’euros, dont un peu plus de 56 millions d’euros pour le Sénat, consacrés à plus de 80 % à l’investissement des collectivités territoriales. Elle apporte donc à l’investissement local un soutien qui n’est pas seulement symbolique dans le contexte actuel de baisse des dotations et subventions de l’État aux collectivités territoriales. Elle irrigue également le tissu associatif et contribue à la cohésion sociale. Je cite, dans mon rapport, les associations ainsi soutenues.
Elle apporte un soutien récurrent à certains programmes budgétaires : instituts français et alliances françaises, lycées français, irrigation culturelle des territoires, travaux sur les bâtiments religieux des petites communes, opérations en faveur des commerces de proximité, développement du tourisme, actions éducatives dans l’enseignement scolaire, etc.
La dotation d’action parlementaire n’a donc pas pour vocation de financer les sénateurs : elle permet à ces élus, forts de leur connaissance du terrain, d’apporter un soutien décisif à des projets d’intérêt général, au service de nos concitoyens. À cet égard, je le dis clairement, les élus me semblent avoir autant de légitimité démocratique que les préfets. La suppression de la dotation ne sera donc pas sans conséquence s’il s’agit, comme le souhaite le Gouvernement, d’économiser les crédits en cause.
Par ailleurs, nous constatons malheureusement que le fonds d’action pour les territoires ruraux annoncé par l’ancien garde des sceaux a disparu du texte. Il est désormais simplement question d’une « éventuelle réallocation des crédits vers des dispositifs existants ». Nous proposons donc, en lien avec la commission des lois, d’inscrire dans la loi organique relative aux lois de finances une dotation de soutien à l’investissement des communes et de leurs groupements.
Nous proposons également d’améliorer la transparence de la réserve ministérielle en imposant sa publication par la loi, en format ouvert, en open data, sachant qu’elle aurait vocation à disparaître si la dotation pour les communes n’était pas adoptée.
Au-delà de l’investissement local, j’attends du Gouvernement, madame la garde des sceaux, qu’il nous précise ses intentions pour les programmes qui bénéficiaient de manière récurrente de la réserve parlementaire, comme les alliances françaises. Je sais d'ailleurs qu’un certain nombre de nos collègues, notamment ceux qui représentent les Français établis hors de France, ont déposé des amendements à ce sujet.
Concernant la « banque de la démocratie », comme vous le savez, le dispositif qui devait initialement figurer dans le projet de loi a été retiré à la suite de l’avis du Conseil d’État, qui l’a estimé trop lacunaire. Il a donc été remplacé par une demande d’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.
L’accès au crédit bancaire constitue évidemment un enjeu fondamental pour la démocratie, afin de garantir, comme le rappelait M. le rapporteur à l’instant, que l’article 4 de la Constitution est bien respecté concernant « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », et pour éviter le risque d’un financement opportun des campagnes et des partis.
Cependant, la demande d’habilitation qui nous est soumise, volontairement très large, ne repose sur aucune étude préalable des besoins et des mesures nécessaires pour y répondre. Elle présente donc, à notre sens, un caractère prématuré. C’est d’ailleurs ce que vous avez reconnu, madame la garde des sceaux, en annonçant une mission conjointe de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’administration sur ce sujet.
Nous vous proposons de suivre un ordre logique, conduisant à analyser avant de légiférer, donc de supprimer cet article. C’est ce qu’a fait la commission des finances, à l’unanimité.