Pas de séparation des pouvoirs donc, sauf pour les constitutionnalistes ayant de bons yeux. La « gouvernance » de cette république s’apparente à une cogestion de la nébuleuse politique présidentielle, de la haute bureaucratie d’État et des fondés de pouvoir des milieux d’affaires – finance et très grandes entreprises.
À cette altitude, plus de distinction public-privé. Quel sens pourrait-elle avoir ? La fonction de l’État n’est plus de faire prévaloir un intérêt général, distinct des intérêts particuliers, mais d’assurer la « concurrence libre et non faussée » des acteurs, l’intérêt général résultant du bon fonctionnement du marché, non des équilibres dont l’État est le garant.
D’où la porosité de plus en plus grande entre administration publique et direction des banques ou des grandes entreprises privées : pantouflages et revolving doors rehaussés de passages par les cabinets ministériels ou élyséens. L’explosion des Autorités administratives indépendantes, la diversification des formes de partenariat public-privé, le développement des agences de conseil en tout genre adossées à l’État en sont l’expression.
Mention spéciale pour les opérateurs de téléphonie mobile et de numérique, régnant par ailleurs sur les médias, dont l’activité et l’enrichissement dépendent de l’autorisation d’exploitation du domaine public par l’État et de la régulation des agences. Les médias sont en effet essentiels à la stabilité du système : propriétés d’une dizaine de milliardaires largement adossés à l’État, ils fabriquent le consensus politique sans lequel il ne saurait se perpétuer.
Laurent Mauduit peut même écrire que « jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, la liberté et le pluralisme de la presse n’ont à ce point été menacés ; jamais le droit de savoir des citoyens n’a été à ce point malmené. »
Ils protègent aussi ce bricolage menacé par une fièvre démocratique endémique en assurant une pression constante sur le seul vestige de pouvoir susceptible de perturber le business et cette belle harmonie : le Parlement. Telle est la fonction de la lapidation médiatique qui présente, en outre, l’avantage de faire vendre, pour un investissement intellectuel minimum et sans risque.
La manière dont François Fillon a été neutralisé au terme d’une longue carrière politique, traversée sans défrayer la chronique judiciaire, alors que sa candidature mettait en péril celle du meilleur candidat du système, est aujourd’hui un véritable cas d’école. Cette question mériterait de plus longs développements, mais le temps me manque.