Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 5 juillet 2017 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information « femmes et agriculture »

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure :

Pour commencer cette présentation, je vous propose un portrait-type des agricultrices en France, en 2017.

J'aimerais faire tout d'abord un bref rappel historique.

Les agricultrices d'aujourd'hui sont les héritières d'une longue invisibilité. De manière significative, le mot « agricultrice » n'est entré dans le Larousse qu'en 1961, comme l'a mentionné Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, lors de son audition.

Les agricultrices ont longtemps été considérées comme « sans profession » : leur travail à la ferme, pourtant considérable, étant dans cette logique le prolongement naturel de tout ce qu'elles faisaient à la maison. Je voudrais sur ce point citer une phrase d'un ouvrage qui s'intitule fort justement Pionnières ! : « En ces temps-là [avant les années 1960], la femme qu'on admirait, c'était celle qui travaillait comme un homme, était capable de porter du poids, celle qui ne s'asseyait jamais et ne perdait pas de temps à discuter. Le travail était un devoir et une religion ».

Il faut dire que les agricultrices ont elles-mêmes contribué, par leur discrétion, à leur invisibilité. Je rappelle à cet égard ce témoignage très éclairant, entendu lors de l'audition de la présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB), qui a cité sa belle-mère : « Je ne fais pas grand-chose : juste la traite et la comptabilité ! ». Sauf que, dans une exploitation laitière, ce sont justement des compétences très importantes !

Depuis cette époque, du chemin a été parcouru et les agricultrices représentent actuellement, comme on l'a vu pendant le colloque du 22 février, un quart des chef-fes d'exploitations.

Entre la femme d'agriculteur et la « femme-agriculteur », il y a eu une lente progression vers l'acquisition de droits. La mise en place d'un statut en a été l'aspect le plus important. J'ai pour ma part été frappée d'entendre nos interlocutrices nous dire à quel point l'acquisition du statut de cheffe d'exploitation avait été significative pour elles en termes de reconnaissance.

Aujourd'hui, le tableau que l'on peut faire de la situation professionnelle des femmes dans l'agriculture est contrasté :

- 30 % des entreprises agricoles sont dirigées ou codirigées par des femmes, mais les cheffes d'exploitations accèdent à ce statut généralement plus tard que les hommes, par exemple quand leur conjoint prend sa retraite. Elles ont donc un âge moyen supérieur à celui des hommes : les parcours des agriculteurs et des agricultrices demeurent différents.

- Les femmes, qui représentent 36 % des salarié-e-s de l'agriculture, sont plus souvent employées en CDD, à temps partiel et avec des écarts de rémunération horaire par rapport aux hommes.

- Dans l'enseignement agricole, les jeunes filles représentent certes plus de la moitié des élèves, mais elles sont moins présentes dans les filières dédiées à la production agricole et sont surreprésentées dans les filières « Services ».

- Enfin, il faut rappeler la question très préoccupante des femmes sans statut qui, malgré le travail qu'elles fournissent dans l'exploitation, ne disposent pas d'une réelle couverture sociale.

Quant au profil des agricultrices, il est diversifié :

- à côté du schéma traditionnel de l'agricultrice qui rejoint la profession par mariage avec un agriculteur, on observe des parcours de femmes qui réalisent en s'installant (généralement vers 40 ans) un projet autonome, construit, qu'elles viennent du milieu agricole ou qu'elles fassent partie des « hors cadre familial », voire des « néo-ruraux ».

- Certaines agricultrices s'installent après des formations et des expériences professionnelles sans aucun lien avec l'agriculture. Leur formation est un sujet important de notre rapport.

- Quand elles dirigent leur propre exploitation, les agricultrices ont généralement des surfaces inférieures à celles de leurs homologues masculins.

Pendant la préparation de ce rapport, nous avons aussi fréquemment constaté que les agricultrices semblent privilégier des pratiques professionnelles spécifiques par rapport aux agriculteurs.

Elles partagent, et depuis très longtemps, une appétence particulière pour la diversification des activités de l'exploitation : vente directe, ferme pédagogique, gîtes ruraux, activités de loisirs se développent souvent à l'initiative des femmes. Cette diversification contribue aussi, il faut le souligner, à l'animation de la vie rurale et des territoires, question à laquelle beaucoup d'agricultrices semblent particulièrement sensibles. Elle présente aussi l'intérêt de permettre de dégager des revenus, ce qui est particulièrement précieux dans le contexte de la crise actuelle.

Par ailleurs, les agricultrices paraissent relativement nombreuses dans l'agriculture biologique, même si l'on ne dispose pas de statistiques précises sur ce point. Est-ce lié à des préoccupations particulières qu'auraient les femmes à l'égard de la santé ? À tout le moins, on constate que leurs pratiques professionnelles coïncident souvent avec celles de l'agriculture biologique, comme cela été relevé lors de l'audition de la présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique : surfaces moins étendues, moindre mécanisation et circuits commerciaux courts sont des points communs à l'agriculture bio et aux méthodes professionnelles privilégiées par les femmes.

Enfin, je voudrais souligner la convergence de ce portrait type avec celui que révèle un rapport du Parlement européen publié à l'occasion du 8 mars 2017 et intitulé Rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales.

Ce rapport insiste sur la contribution des agricultrices des pays de l'Union au développement durable et à la vie rurale. Sur ce point, il souligne tout particulièrement le développement, grâce aux initiatives de femmes, d'« activités complémentaires », par exemple le tourisme, qui « apportent une plus-value aux activités dans les zones rurales ».

Nos collègues du Parlement européen mettent aussi en évidence un contraste majeur entre l'importance de la contribution des agricultrices à la production agricole et l'invisibilité de leur travail.

Ils regrettent en outre, comme nous le faisons dans ce rapport, la trop faible participation des agricultrices aux processus de décision et à la gouvernance de la profession dans les pays de l'Union, pointant plus particulièrement les syndicats et les coopératives agricoles.

Didier Mandelli va maintenant vous présenter une synthèse des témoignages d'agricultrices que nous avons entendus au cours de la préparation de ce rapport.

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