Intervention de Didier Mandelli

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 5 juillet 2017 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information « femmes et agriculture »

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli, co-rapporteur :

Je vais donc pour ma part vous exposer les « échos du terrain » sur lesquels s'appuie notre rapport, c'est-à-dire sur le « vécu » dont ont témoigné au cours de nos travaux les quelque 80 agricultrices auxquelles nous avons donné la parole, au Sénat et dans les territoires dans lesquels nous nous sommes rendus. Ces « échos du terrain » font état de préoccupations largement partagées par l'ensemble de nos interlocutrices.

Certains de ces « ressentis » se rapportent à la profession dans son ensemble : si le rapport est centré sur la situation des agricultrices et sur les leviers à mettre en action pour l'améliorer, nous ne pouvions pas passer sous silence les manifestations d'un malaise qui concerne tant les hommes que les femmes.

- Un premier constat : l'insuffisance des revenus et l'impression d'une dégradation régulière de la situation. Comme l'a exprimé Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, lors de son audition, « Les agriculteurs qui vendent en-dessous des coûts de production se lèvent le matin pour perdre de l'argent ». Autre témoignage : garder une exploitation est aujourd'hui un combat de chaque jour, a fortiori en période d'alerte sanitaire ou de sécheresse.

- Un deuxième constat : la difficulté d'acquérir des terres agricoles pour ceux et celles qui s'installent, face à des cédants qui, en raison de la modicité de leur retraite, ne sont pas en mesure de laisser leur terre pour un prix raisonnable. Leur terre est leur capital, c'est important de le souligner.

- Un troisième constat : le « métier a besoin d'être défendu », car il pâtit d'une image négative qui contribue à l'isolement du monde agricole. « Nous sommes la profession oubliée », nous a dit de manière très marquante Christiane Lambert le 23 mai 2017. La « profession oubliée », l'image du métier sont aussi des thèmes qui ont régulièrement émergé au cours de nos travaux.

En ce qui concerne ensuite les difficultés spécifiques aux agricultrices, j'ai été frappé par le fait que la crise oblige le plus souvent les agricultrices à travailler à l'extérieur de l'exploitation pour rapporter un revenu, ce qui multiplie par deux leur charge de travail. Cela rend aussi leur situation précaire, car il est fréquent que de ce fait elles cessent d'avoir un statut sur l'exploitation, ce qui affecte leur couverture sociale et plus particulièrement leurs droits à pension de retraite.

Toujours dans le domaine social, les difficultés les plus fréquemment évoquées sont évidemment la faiblesse du niveau des retraites (nous y reviendrons au moment de l'exposition des recommandations) et la non-reconnaissance des grossesses pathologiques, qui n'ouvrent pas droit au Service de remplacement, de même d'ailleurs que le mi-temps thérapeutique, non reconnu par la MSA.

Des témoignages ont fait état d'obstacles que rencontrent souvent les jeunes agricultrices pendant leur parcours de formation et d'installation, qu'il s'agisse :

- de l'accès aux stages, plus compliqué pour les jeunes filles élèves de l'enseignement agricole ;

- de l'accès au foncier (certains cédants seraient réticents, lors de leur départ en retraite, à vendre leurs terres à une femme) ;

- ou de l'obtention de la dotation jeune agriculteur (DJA), dont les critères d'attribution (surface, âge, formation) correspondent davantage au profil des agriculteurs qu'à celui des agricultrices.

La persistance d'attitudes d'un autre âge a également souvent été évoquée par toutes les générations rencontrées, avec des échanges tels que : « - Vous pouvez me passer le patron ? - C'est moi » ; « - Où est le chef ? - C'est moi ». Nos interlocutrices ont donc fait part d'une certaine difficulté à faire reconnaître leurs compétences au sein-même de la profession. Sur ce point, je vous invite à regarder, à la fin de l'avant-propos du rapport, un encadré intitulé « paroles d'agricultrices » : c'est un recueil de citations assez édifiant.

Les questions relatives à la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales sont également revenues régulièrement, avec le besoin de solutions d'accueil des jeunes enfants en milieu rural. Nous y reviendrons avec les recommandations.

Les insuffisances des services de remplacement sont très souvent revenues. Or ils sont indispensables, par exemple pendant les congés maternité, pour suivre des stages de formation continue ou pour l'exercice de mandats, par exemple dans les syndicats ou les chambres d'agriculture.

Ce qui m'a paru très intéressant, c'est que ces remontées du terrain, ce « vécu » dont nous ont fait part les agricultrices rencontrées, correspondent au diagnostic établi tout récemment par le Parlement européen dans le Rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales que vient d'évoquer Brigitte Gonthier-Maurin.

Ce document souligne par exemple le contraste entre l'apport considérable des femmes à la production agricole et l'absence de statut professionnel qui caractérise de trop nombreuses femmes dans l'agriculture, injustice majeure qui les prive de couverture sociale et d'indépendance financière.

S'agissant plus particulièrement des retraites, le Parlement européen encourage les États membres à « garantir un régime de retraite décent, comprenant une pension nationale minimum ».

Il engage également les pays de l'Union à offrir des solutions de garde d'enfants « de qualité et à un prix abordable » en zone rurale, sans oublier d'ailleurs des services permettant les soins aux personnes âgées et dépendantes, décisifs aussi pour l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle.

Marie-Pierre Monier va exposer nos premières recommandations, qui portent sur l'installation des agricultrices et sur la problématique de l'articulation des temps personnel et professionnel.

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