Je m'associe aux remerciements précédents. Cette période de travail a été très enrichissante, car je n'identifiais pas tous les problèmes des agricultrices. J'en avais une petite idée, puisque nous avons décidé de travailler ce thème, mais les auditions et déplacements réalisés en quatre mois ont permis de soulever beaucoup de difficultés que je n'imaginais pas.
Je vais vous parler d'un sujet qui nous a particulièrement interpellés au cours de nos travaux : celui du statut des agricultrices et de la fragilité de leurs revenus et retraites. Tout est lié.
Si les agricultrices ont progressivement acquis la reconnaissance de leur place sur l'exploitation, avec la création de nouveaux statuts au fil des années, les témoignages que nous avons recueillis tout au long de nos travaux démontrent que leur situation peut encore largement être améliorée à cet égard. Vous trouverez dans le rapport de belles citations de pionnières qui illustrent ce combat.
Premièrement, il reste des agricultrices sans statut, ce qui pose un problème de droits sociaux et de retraite, comme l'a souligné Brigitte Gonthier-Maurin. Les données sont incertaines, mais on estime leur nombre à environ 5 000. Il s'agit généralement de femmes âgées de plus de 50 ans, entrées en agriculture à une époque où les femmes n'avaient pas de statut, et qui n'ont ensuite pas effectué la démarche de choisir un statut, soit parce que cela aurait entraîné des charges supplémentaires pour l'exploitation, soit parce qu'elles n'en ont pas réalisé l'importance, à défaut d'information suffisante.
La recommandation n° 15 préconise donc :
- un recensement aussi précis que possible des agricultrices sans statut ;
- une sensibilisation des agricultrices en activité à l'importance d'avoir un statut et aux préjudices liés à l'absence de couverture sociale, notamment en cas de divorce ;
- une responsabilisation des chefs (et des cheffes) d'exploitations, en rappelant que l'emploi d'une personne sans rémunération et sans statut peut s'apparenter à du travail au noir, comme nous l'a rappelé la Commission des agricultrices de la FNSEA, et peut donc être sanctionné comme tel. Cela peut paraître un peu sévère, mais il faut avancer sur ce sujet ;
- la possibilité de réaliser un audit de l'exploitation concernée pour accompagner le choix du statut le plus adapté.
Deuxièmement, trop d'agricultrices ne sont pas encore suffisamment sensibilisées aux différents statuts et à la protection qu'ils offrent au niveau juridique et social. En particulier, il semble important de leur faire prendre conscience des limites du statut de conjoint collaborateur, qui maintient la personne concernée dans une situation de dépendance vis-à-vis du chef d'exploitation (ou de la cheffe d'exploitation), sans offrir une pleine reconnaissance professionnelle. Nous recommandons donc de rendre transitoire ce statut, comme cela a déjà été fait pour les aides familiales (recommandation n° 16).
Plus généralement, nous préconisons de renforcer l'information sur la pluralité des statuts et sur les droits qui y sont associés (recommandation n° 17) et nous insistons sur la nécessité d'inciter les agricultrices à choisir, si possible, le statut le plus protecteur, c'est-à-dire celui de cheffe d'exploitation, de co-exploitante ou d'associée exploitante. Or, elles ont parfois une appréhension par rapport aux responsabilités qu'il implique. Pourtant, les témoignages recueillis ont mis en exergue les atouts des formes sociétaires pour les femmes.
En ce qui concerne les revenus, nous connaissons le contexte actuel de la crise agricole, qui a des conséquences dramatiques sur les revenus des agriculteurs en général. De nombreuses agricultrices ont évoqué leur souhait de dégager un revenu qui leur permette de vivre correctement de leur travail, notamment lorsque ce travail met en valeur la qualité des produits. C'est une question centrale, puisque la faiblesse des revenus a des répercussions sur le statut, la protection sociale et le niveau des retraites des agriculteurs - et plus encore des agricultrices.
S'il ne nous appartient pas de faire des recommandations sur la crise agricole et sur les revenus des agriculteurs, il ne paraît pas acceptable que des personnes dont la profession est de nourrir le pays se retrouvent dans l'incapacité de se nourrir elles-mêmes et soient contraintes de s'adresser aux Restos du coeur, comme cela nous a été indiqué par plusieurs sources. Et cela ne risque pas de s'arranger dans le contexte actuel ! C'est pourquoi notre recommandation n° 18 vise à attirer l'attention des associations caritatives sur ce public vulnérable, qui n'a pas l'habitude de faire appel à ce type de secours. Car ce que veulent les agriculteurs et agricultrices, c'est vivre de leur travail, pas des aides... Nous en débattrons au moment de l'examen des recommandations.
Par ailleurs, nous avons plusieurs fois entendu le désarroi des agricultrices face à la complexité des démarches et à l'inadaptation des procédures de demandes de RSA et de prime d'activité aux spécificités du métier d'exploitant agricole, qui les découragent d'effectuer des demandes d'aides auxquelles elles ont pourtant droit. Il faut vraiment qu'on y travaille. Nous appelons donc de nos voeux la mise en place de mesures de simplification sur ce point (recommandation n° 19).
Enfin, s'agissant des retraites, je ne vous apprends rien en vous disant que celles des agricultrices sont parmi les plus basses de notre pays, oscillant entre 500 et 600 euros par mois en moyenne (contre environ 800 euros pour les agriculteurs). La faiblesse de leurs retraites est liée à la précarité de leurs statuts, à l'insuffisance des revenus, mais aussi, dans certains cas, à une réticence à cotiser de la part des chefs d'exploitations. Nous formulons donc cinq recommandations sur les retraites des agricultrices (recommandations n° 20 à 24) :
- une information systématique des conjoint-e-s sur l'état des cotisations retraite payées au titre de leur travail par le chef (ou la cheffe) d'exploitation (recommandation n° 20) ;
- une revalorisation à court terme du montant de base des retraites agricoles (cela n'a pas été le cas depuis trois ans). Nous pensons qu'aucune retraite agricole ne devrait être inférieure au minimum vieillesse (recommandation n° 21) ;
- la mise à l'étude d'une évolution de la base de calcul des retraites agricoles, actuellement fondée sur l'intégralité de la carrière, de manière à ne retenir que les 25 meilleures années ou à enlever les années les moins favorables. L'objectif est de mieux prendre en compte les aléas de revenus des agriculteurs au cours de leur période d'activité et la brièveté des carrières en cas d'installation tardive (recommandation n° 22) ;
- le passage à une bonification forfaitaire pour les agricultrices ayant eu au moins trois enfants (recommandation n° 23) ;
- une meilleure information des conditions d'accès à la pension de réversion et un alignement de ces conditions sur celles du droit commun, notamment par la suppression du plafond de revenus qui la caractérise (ou dans un premier temps le relèvement de ce plafond) (recommandation n° 24).
Je cède la parole à Annick Billon qui va vous parler de l'enjeu d'une meilleure prise en compte de la féminisation de la profession agricole.