Intervention de Ladislas Poniatowski

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 juillet 2017 à 9h30
Proposition de résolution européenne sur le paquet « énergie » — Communication

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski :

Merci monsieur le président. Comme vous en souvenez certainement, nous avions déjà examiné, en février dernier, une première proposition de résolution européenne présentée par nos collègues Jean Bizet et Michel Delebarre au nom de la commission des affaires européennes sur le même sujet, à savoir le paquet « Énergie » publié quelques mois plus tôt par la Commission européenne.

À cette occasion, nous avions étendu le champ du texte, initialement limité aux énergies renouvelables et aux mécanismes de capacité, à l'ensemble des sujets traités par la Commission européenne, d'abord parce que les propositions de Bruxelles formaient un tout, mais aussi et surtout parce que plusieurs d'entre elles remettaient en cause des principes auxquels nous souhaitions marquer notre attachement, voire contestaient la souveraineté des États membres sur ce qui n'est pourtant qu'une compétence partagée avec l'Union.

Sans revenir dans le détail sur tous ces points - je vous rappelle qu'il est question de près de 5 000 pages et de pas moins de huit propositions de règlements ou de directives -, j'indiquerai simplement que nous avions en particulier plaidé pour :

- une tarification forte du carbone à l'échelle européenne, en pointant l'insuffisance de la réforme en cours du marché de quotas européen ;

- la pérennisation, aussi longtemps que nécessaire, des mécanismes de capacité pour assurer notre sécurité d'approvisionnement électrique ;

- un soutien à l'investissement dans les énergies décarbonées - renouvelables comme nucléaire -, par des contrats garantissant une rémunération sur longue période et la possibilité d'organiser des appels d'offres par technologie ;

- la protection des consommateurs, en nous opposant notamment, et de façon unanime, à la suppression des tarifs réglementés lorsque ceux-ci sont contestables par les fournisseurs alternatifs ;

- enfin, l'exigence de solidarité entre les territoires par le maintien d'un financement péréqué des réseaux électriques, principe que l'émergence non encadrée de « communautés énergétiques locales » promue par la Commission européenne pourrait menacer.

Je crois pouvoir dire, mes chers collègues, que ces préoccupations étaient, et sont toujours, partagées sur tous les bancs.

J'ajoute que nous avions également dénoncé la non-conformité au principe de subsidiarité de certaines des propositions de la Commission, dont l'obligation pour les gestionnaires de réseaux de transport de participer à des « centres de conduite régionaux » qui disposeraient de pouvoirs contraignants à leur égard, ou la réforme de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), qui verrait son champ de compétences élargi à l'excès et ses décisions adoptées à la majorité simple.

Après ce bref rappel, j'en viens au contenu du texte adopté la semaine dernière par nos collègues pour vous indiquer qu'il s'agit en réalité, dans sa quasi-totalité, d'un rappel des positions déjà exprimées dans la première proposition de résolution, ou formalisées dans deux autres résolutions portant avis motivé adoptées par la commission des affaires européennes en avril et en mai. Pour faire écho au souhait exprimé par le président de la République au Congrès d'en finir avec la prolifération des textes législatifs, l'on peut simplement se demander si faire montre d'une telle activité sur ces sujets, en revenant à quelques semaines d'intervalle sur des questions qu'il nous semblait avoir déjà traitées, n'affaiblit pas le Parlement.

Je ne m'attarderai donc que sur les points qui pourraient s'écarter du texte que nous avions adopté en février.

En matière de mécanismes de capacité d'abord, là où nous exigions la stricte réciprocité en matière d'ouverture aux capacités étrangères - je vous rappelle qu'en l'état, la Commission européenne l'imposerait aux marchés de capacité, comme le marché français, mais pas aux réserves stratégiques telles qu'elles peuvent exister, par exemple, en Allemagne ou en Belgique -, la commission des affaires européennes plaide pour une simple faculté d'ouverture pour tous les mécanismes. Si les modalités proposées diffèrent, le résultat serait donc le même, celui d'une égalité de traitement entre tous les mécanismes, indépendamment de la forme retenue pour leur mise en oeuvre. Je précise cependant que la réciprocité reste à ce jour la position défendue par les autorités françaises à Bruxelles.

S'agissant de la défense des tarifs réglementés ensuite, là où nous avions marqué notre ferme opposition à la suppression de tarifs régulés contestables, la commission des affaires européennes entend d'abord rappeler, je cite, que « les tarifs réglementés de vente ne sont pas nécessairement assimilables à des aides d'État, ni à des éléments de concurrence déloyale », ce qui laisse entendre, en creux, que les tarifs français ne le seraient pas.

Elle considère ensuite que les tarifs réglementés devraient pouvoir être proposés, sous la même dénomination, non plus uniquement par les opérateurs historiques mais aussi par les fournisseurs alternatifs. Si ces derniers ne semblent pas demandeurs, j'ajoute que l'effet concret d'une telle mesure sur l'ouverture du marché n'est pas évident : quel intérêt en effet un consommateur résidentiel aurait-il à changer d'opérateur - et donc à accomplir les formalités correspondantes - pour conserver le même tarif alors qu'aujourd'hui, les quelques pourcents de réduction qu'il obtiendrait en souscrivant une offre de marché ne suffisent pas toujours à le motiver ?

Dans l'exposé des motifs de sa proposition de résolution - mais pas dans le texte lui-même -, la commission des affaires européennes suggère enfin d'autoriser les régulateurs nationaux à établir, je cite, « une référence tarifaire selon des modalités harmonisées par le droit de l'Union européenne, aboutissant à un niveau cohérent avec les coûts supportés par les fournisseurs alternatifs ». En clair, il s'agirait de transposer, dans le droit européen, le modèle français d'un tarif régulé contestable bâti par le régulateur, et par la même de pérenniser un objet dont l'existence est aujourd'hui contestée devant les juridictions nationales : il est ainsi probable qu'une décision du Conseil d'État, attendue au plus tard d'ici la fin juillet, conduise à l'annulation du décret de 2013 qui encadrait les tarifs réglementés du gaz, ce qui ouvrirait alors la voie, à plus ou moins brève échéance, à leur suppression - le raisonnement étant du reste parfaitement transposable à l'électricité. La menace est donc bien réelle, d'autant que la France fait partie, avec l'Italie et la Roumanie - qui est en passe de les supprimer -, des derniers pays de l'Union à disposer de tels tarifs. Dans ce contexte, je doute que la suggestion de la commission des affaires européennes soit retenue...

Jusqu'à présent en tous les cas, le Gouvernement français a toujours défendu au plan européen la parfaite conformité au droit de la concurrence du monopole français de distribution des tarifs réglementés, dès lors que ces derniers étaient contestables par les nouveaux entrants. Maintenons donc notre position, qui est aussi celle des autorités françaises, et défendons les tarifs réglementés le plus longtemps possible.

J'en arrive au dernier point de divergence avec la position arrêtée en février, qui a trait aux biocarburants. Comme vous vous en souvenez, la Commission européenne prévoit de réduire de 7 % aujourd'hui à 3,8 % en 2030 la part maximale des biocarburants de première génération, et d'augmenter en parallèle le taux d'incorporation des biocarburants de deuxième génération, qui n'entrent pas en concurrence avec les cultures alimentaires.

Dans notre proposition de résolution, nous avions adhéré à l'objectif mais plaidé pour une baisse plus progressive des biocarburants de première génération au motif qu'une réduction trop rapide posait au moins trois difficultés : d'abord, pour atteindre les objectifs de décarbonation du secteur des transports, car les biocarburants avancés ne seront pas en mesure de fournir les volumes suffisants aux échéances prévues ; ensuite, parce que les biocarburants actuels contribuent à l'excédent commercial et à l'indépendance énergétique de l'Union ainsi qu'à la couverture des besoins en protéines animales grâce aux tourteaux et aux autres matières sèches ; enfin, parce que la filière agro industrielle et les dizaines de milliers d'emplois qu'elle représente en France a besoin de temps pour s'adapter.

Dans cette nouvelle proposition de résolution, la commission des affaires européennes propose une autre solution consistant à maintenir le plafond d'incorporation actuelle de 7 % pour les biocarburants obtenus, je cite, « comme sous-produits de cultures destinées à l'alimentation animale et n'entrant pas en concurrence avec celle-ci ». À l'appui de cette proposition, elle fait valoir que l'abandon ou la réduction de leur usage « porterait aux revenus des agriculteurs une atteinte injustifiée », nous « conduirait à importer plus de tourteaux destinés à l'alimentation animale », « fragiliserait, voire détruirait plus de 20 000 emplois directs dans les territoires ruraux » et « [affaiblirait notre] indépendance énergétique et protéique ». Voilà pour le diagnostic, que nous partageons très largement.

Il reste qu'appliqué à la France, dont les biocarburants sont principalement issus du colza et à un degré moindre de la betterave, du blé ou du maïs, un tel traitement différencié des biocarburants coproduits de l'alimentation animale bénéficierait peu ou prou à l'ensemble de la production et aboutirait en pratique au maintien du plafond des 7 %, autrement dit tout le contraire de ce que défend Bruxelles. Je doute qu'une position aussi maximaliste, proche de celle défendue par le Syndicat des énergies renouvelables et par la FNSEA - qui proposent même d'aller au-delà -ait des chances d'être adoptée. Il est certes classique, dans une négociation, de partir de très loin pour converger ensuite vers une position médiane mais notre proposition d'une dégressivité plus lente me semble plus réaliste.

En complément, la commission des affaires européennes propose enfin d'interdire, d'ici à 2020, les biocarburants obtenus à partir d'huile de palme, dont elle rappelle que la production n'est à la fois « pas soutenable écologiquement », car favorisant la déforestation, et « n'est plus acceptée politiquement », comme en témoigne une récente résolution adoptée par le Parlement européen. À titre d'information, sachez que l'huile de palme, essentiellement importée, représentait en France, en 2015, 13,7 % des matières premières utilisées pour produire des esthers méthyliques d'huiles végétales (EMHV).

Au total, si elle était retenue, la solution préconisée par la commission des affaires européennes conduirait donc à faire évoluer la production française de biocarburants de la façon suivante : augmentation de la part des biocarburants dont les coproduits contribuent à l'alimentation animale, au détriment de ceux qui n'y participent pas et de ceux issus d'huile de palme importée - qui seraient interdits -, le tout dans la limite d'un taux maximal d'incorporation maintenu à 7 %. Là encore, je crains qu'on ne suscite de faux espoirs dans le monde agricole.

Au total, mes chers collègues, quels choix s'offrent à nous sur les suites à donner à ce texte ? Nous pourrions décider de nous en saisir mais dans ce cas, il nous faudrait procéder très rapidement puisque le Règlement du Sénat ne nous donne qu'un mois pour adopter le rapport, ce qui nous amènerait à la mi-août. Nous pouvons également prendre acte de ce nouveau texte, souligner en particulier les deux divergences exposées à l'instant sur les tarifs réglementés et les biocarburants, tout en considérant que ces divergences ne sont pas telles qu'elles obligent à nous en saisir. C'est cette seconde option que je vous suggère de retenir. Encore une fois, soyons prudents sur la multiplication de ces résolutions, car je ne suis pas sûr que nous rendions là service au travail parlementaire.

Je vous remercie.

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