Avec Jean-Yves Leconte, nous avons voulu faire une incursion sur la frontière turco-syrienne, ce qui nous a été déconseillé. Le Sud-Est de la Turquie nous a été particulièrement déconseillé. Or un certain nombre d'actions turques sur des villages de cette zone méritent à tout le moins que l'on s'y attarde. Cela vaudrait la peine de s'y rendre. Nous attendons toujours une réponse à la demande d'un déplacement sénatorial formulée par le président Larcher aux autorités turques.
Enfin, la gestion des flux de réfugiés reste un sujet de préoccupation pour les deux parties. L'accord du 18 mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie a fait l'objet d'une mission commune d'information au Sénat. Le rapport, présenté par M. Michel Billout, en dresse un bilan mitigé. Certes, le nombre d'arrivées a considérablement diminué, de deux milliers à une cinquantaine par jour. Mais seuls 1 798 migrants ont été renvoyés vers la Turquie, en raison de l'engorgement du service d'asile grec et de la réticence des autorités de l'asile grec à considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr ».
La Turquie, quant à elle, dénonce aujourd'hui le nombre insuffisant de réinstallations de réfugiés syriens présents en Turquie dans les États de l'Union. Rappelez-vous le contenu de l'accord... Ce nombre s'élève à seulement à 6 254 sur les 72 000 prévues. La Turquie critique également la lenteur du versement des sommes accordées dans le cadre de la facilité de 3 milliards d'euros pour aider les réfugiés syriens sur le territoire turc. À ce jour, 2,2 milliards d'euros ont été engagés et environ 780 millions seulement ont été effectivement versés. Les responsabilités sont certainement partagées, puisqu'il ne s'agit pas d'un simple chèque.
Le point qui cristallise le mécontentement des autorités turques est la libéralisation du régime des visas. Il s'agit là d'une contrepartie prévue dans l'accord du 18 mars 2016, initialement pour le 30 juin 2016. Mais la Turquie devait remplir les 72 critères indiqués dans la feuille de route adoptée le 16 décembre 2013 et mettre en oeuvre l'accord de réadmission signé en 2012. Aujourd'hui, sept critères ne sont pas satisfaits, dont celui d'une réforme de la loi sur le terrorisme. C'est le plus problématique, compte tenu de la situation sécuritaire en Turquie. En outre, cette dernière a fait savoir qu'elle n'appliquerait l'accord de réadmission pour les ressortissants de pays tiers que lorsque le régime sans visa serait en place. C'est le chien qui se mord la queue ! La Commission européenne a bien déposé en mai 2016 un texte libéralisant le régime des visas avec la Turquie, mais il ne sera débattu que lorsque tous les critères prévus dans la feuille de route de 2013 seront remplis.
Aujourd'hui, il semblerait que la grande force du président Erdogan soit d'être capable de tirer profit des relations avec l'Union européenne, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Ses provocations répétées n'incitent guère à l'optimisme. Toutefois, aucun de nos interlocuteurs n'imagine clairement qu'il puisse prendre l'initiative de rétablir la peine de mort ou de rompre les relations avec l'Union européenne, puisqu'il sait aussi profiter des opportunités là où elles se trouvent. Ainsi, en dépit des tensions diplomatiques, les accords de lutte contre le terrorisme ou de limitation de l'afflux de migrants ne sont pas remis en cause.
Dans ce contexte particulièrement difficile, l'Union européenne doit rester fidèle à ses valeurs. Elle doit aussi se montrer solidaire du peuple turc en ne rompant pas le dialogue, tant avec la société civile qu'avec le pouvoir en place. Avec un président qui détient les pleins pouvoirs et dont on ne connait pas exactement les pensées profondes, nul ne peut dire de quoi l'avenir sera fait.