Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 juillet 2017 à 9h30
Élargissement — Relations entre l'union européenne et la turquie : rapport d'information de mm. jean-yves leconte et andré reichardt

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

J'aimerais partager l'optimisme de nos collègues sur les effets des pressions économiques. Il y a un paradoxe : la situation économique renforce Erdogan, mais elle fragilise son projet politique. En Russie, la crise économique a incité Poutine à adopter un discours encore plus nationaliste. Je ne crois pas que l'on affaiblira le gouvernement turc du simple fait de l'adoption de sanctions économiques.

Quant aux relations entre la Turquie et les États-Unis, il ne vous aura pas échappé qu'il existait une divergence sur le rôle des Kurdes dans la lutte contre Daesh et cette opposition peut peser lourd sur l'avenir de la relation bilatérale. De même, M. Gülen habite à Philadelphie et fait l'objet d'une demande d'extradition...

L'Allemagne considère que la Turquie devient un allié imprévisible et craint que sa qualité de membre de l'OTAN n'engage ses partenaires sur des terrains où ils ne souhaitent pas s'aventurer. D'autres membres de l'alliance s'interrogent sur la place de la Turquie, mais ce n'est pas encore le cas des États-Unis. L'armée turque tient beaucoup à sa participation à l'alliance, parce que c'est son rang qui est en jeu ; si jamais cette participation était remise en cause, elle pourrait changer d'attitude.

La diaspora turque est très diverse, comme le peuple turc. Dans le passé, elle a été structurée par le mouvement Gülen, en particulier dans les écoles, et l'AKP essaie maintenant de le remplacer. Au moment des élections ne s'expriment que les proches de l'AKP, parce que les autres ne veulent pas avoir de contacts avec les consulats, etc. La communauté kurde est également importante au sein de la diaspora et elle n'est pas allée voter. Je serai donc un peu moins pessimiste que nos collègues sur ce point.

En revanche, les schémas des investissements de la diaspora en Turquie, via des confréries et des associations, donnent parfois matière à de véritables prises d'otages, en créant une relation de dépendance de ces investisseurs à l'égard de réseaux politiques turcs. Cela explique en partie le fait que la diaspora soit si étroitement contrôlée, sans parler des moyens mis en oeuvre par l'État.

Dans sa relation avec la Turquie, l'Union européenne ne peut pas échapper à sa géographie. Soit elle se laisse prendre en otage, soit elle essaie de trouver un accord et une forme de complicité avec la Turquie. Aujourd'hui, nous sommes clairement otages de notre géographie.

J'insiste sur le fait que l'AKP a détruit beaucoup de ce que le kémalisme avait construit sur les ruines de l'empire ottoman. Il ne faut pas s'imaginer que, du jour où Erdogan ne sera plus au pouvoir, on retrouvera la Turquie du début des années 2000. Au contraire, on retrouvera toute la complexité byzantine.

En ce qui concerne la relation de la Turquie avec Daesh, on a pu avoir des doutes, mais la coopération franco-turque dans ce domaine a toujours été sérieuse, car il y a une grande différence entre les discours et les actes. La divergence d'appréciation sur le rôle des Kurdes est en revanche évidente : le gouvernement turc ne veut pas entendre parler de solution politique du problème kurde - la tentative de 2015 a fragilisé le pouvoir interne d'Erdogan.

En ce qui concerne les visas, je suis très partagé. On ne peut pas laisser la population turque se faire prendre en otage par son gouvernement. Au contraire, il faudrait essayer de dissocier cette question de la réponse à apporter à la dérive autocratique du régime.

On peut affirmer qu'il faut être intransigeant sur les valeurs, mais quand 80 millions de personnes, plus pauvres en moyenne que la population européenne, accueillent trois fois plus de réfugiés que l'Union européenne, ce discours n'est plus crédible. Notre position ne sera solide que si elle s'appuie sur des actes, notamment sur notre capacité à ne pas faire payer par les citoyens turcs le comportement de leur gouvernement. Même les partis d'opposition nous le disent : il faut favoriser les échanges, Erdogan dût-il en tirer un profit politique.

À titre personnel, je pense que nous ne pouvons pas échapper à notre géographie respective. Si nous ne nous accordons pas sur des objectifs communs, nous en resterons otage. Si cela passe par l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, ce sera la meilleure manière de soumettre toutes les entreprises aux mêmes règles et de mettre fin au dumping.

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