Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 juillet 2017 à 10h00
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume hachémite de jordanie relatif au statut de leurs forces — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et le Royaume hachémite de Jordanie relatif au statut des forces.

La Jordanie est un pays avec lequel la France entretient, depuis longtemps, une relation d'amitié et de confiance. Cette monarchie parlementaire occupe une place stratégique importante dans une région marquée par les crises et les conflits - elle a des frontières communes avec l'Irak, la Syrie, Israël et l'Arabie Saoudite - car elle y représente un pôle de relative stabilité. Sa situation est encore aggravée par l'accueil de plus de 630 000 réfugiés syriens, auxquels il faut ajouter 60 000 réfugiés irakiens. La présence de ces réfugiés dans ce pays, qui compte 9,5 millions d'habitants, pèse lourdement sur les infrastructures (éducation et santé), sur les ressources (eau et électricité), ainsi que sur l'immobilier. Sur le plan intérieur, la menace terroriste liée à la lutte contre Daech - environ 2 000 Jordaniens sont partis rejoindre les rangs de Daech - a suscité une réaction sécuritaire du régime depuis fin 2014. La Jordanie est un allié central de la France dans la lutte contre Daech et le terrorisme, ainsi qu'un point d'appui majeur pour les actions menées par la France au Levant. La relation bilatérale de défense a d'ailleurs pris de l'ampleur à la faveur de la lutte menée contre Daech, avec une coopération ciblée dans les domaines du renseignement, de l'armée de l'air et des forces spéciales. La Jordanie est un membre important de la coalition depuis sa mise en place en 2014. Elle participe aux frappes aériennes contre Daech depuis le début des opérations, abrite les forces militaires d'une dizaine de pays occidentaux et sert notamment de base avancée aux États-Unis et à la France. Elle accueille ainsi la base aérienne projetée française, dite base H5, dans le cadre du dispositif Chammal. Cette base, qui compte environ 400 militaires français ainsi que 4 rafales de l'armée de l'air et 4 rafales de la marine, présente un intérêt inégalé, compte tenu de sa proximité avec le théâtre d'opération irako-syrien. Elle permet à un nombre limité de personnels et d'aéronefs de mener des activités aériennes quasi quotidiennes pour appuyer les forces irakiennes dans la reconquête de leur territoire.

Dans la conduite actuelle de la campagne syro-iraquienne, la situation dans la zone des trois frontières (Jordanie-Syrie-Iraq) est particulièrement stratégique. C'est en effet une zone qui intéresse à la fois l'Iran, par la continuité routière qu'elle peut offrir, via l'Iraq, entre l'Iran et l'ensemble Syrie-Liban, et la coalition, car elle commande un verrou de la moyenne vallée de l'Euphrate où refluent les combattants de Daech. La Jordanie est également un relais diplomatique essentiel au Proche et au Moyen-Orient. La « diplomatie équidistante » du Roi Abdallah lui permet de parler de tout, à tout le monde. Sur la Syrie, la Jordanie est présente en tant qu'observatrice dans le processus d'Astana. La Jordanie est également un acteur sur les dossiers iraquien auprès des sunnites et des Libyens. C'est donc un acteur régional de premier plan.

Les principaux enjeux de notre coopération militaire avec la Jordanie portent sur l'interopérabilité entre nos forces spéciales, sur l'échange d'informations opérationnelles et sur un accompagnement des forces armées jordaniennes au renforcement de leurs capacités d'appui à la projection des forces et de conduite des opérations, lorsque ces dernières concourent aux intérêts de la France. Les actions de coopération militaire sont formalisées par un plan annuel de coopération militaire bilatérale. Pour l'année 2017, ce plan comprend 70 actions, dont 33 sont menées en France, principalement dans les domaines suivants : forces spéciales, opérations aériennes, combat en montagne. La quasi-totalité des militaires jordaniens venant en France le font dans le cadre de ce plan de coopération militaire bilatérale. En 2017, une centaine de militaires jordaniens - les forces armées jordaniennes (JAF) comptent environ 100 000 hommes dans les trois armes terre, air, mer - séjourneront en France.

Venons-en maintenant à cet accord sur le statut des forces : il a vocation à se substituer à un précédent accord sous forme d'échange de lettres signé en décembre 2014 qui garantit, de manière transitoire, après l'expiration d'un accord signé en janvier 1995, le statut juridique des forces françaises déployées sur le territoire jordanien. Cet accord a pour objet de déterminer les conditions du séjour des personnels français déployés en Jordanie et des personnels jordaniens déployés en France, dans le cadre d'activités de coopération en matière de défense, notamment les visites de délégations, les activités de formation, les entraînements et les exercices. Il répond à une demande de réciprocité de la part de la Jordanie alors que les accords précédents n'étaient pas réciproques et ne concernaient pas les Jordaniens en France. Cet accord est de facture classique. Il contient les clauses qui figurent habituellement dans les accords sur le statut des forces. Il exclut ainsi, comme il est d'usage, toute clause d'assistance, de façon à éviter que le personnel français ne se trouve engagé dans des opérations de l'État d'accueil, sans que la France n'ait donné son accord. Il accorde des facilités opérationnelles aux forces en visite : port et usage d'armes, permis de conduire, déplacements aériens et maritimes, régime douanier d'importation et d'exportation de matériels, utilisation temporaire des systèmes de communications. Il définit les règles de partage de compétence juridictionnelle applicable en cas d'infraction et pose le principe du droit à un procès équitable et aux garanties procédurales qui en découlent.

Je l'ai toutefois examiné avec attention car il présente la spécificité d'être conclu avec un État où la peine de mort est toujours applicable. Si la situation des droits de l'Homme est meilleure en Jordanie que dans la plupart des autres États de la région, une certaine vigilance reste de mise, compte tenu du « tour de vis » sécuritaire opéré depuis fin 2014 et de la rupture, à trois reprises du moratoire, sur la peine de mort en vigueur depuis 2006 - Selon les personnes auditionnées, 15 personnes ont été exécutées en avril 2017, dont certaines pour des crimes de droit commun. Par ailleurs, la Jordanie continue de s'abstenir sur la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies appelant à un moratoire sur l'application de la peine de mort.

Pour autant, cet accord sur le statut des forces contient des dispositions analogues à celles mentionnées habituellement dans les accords de défense ou de statut des forces signés avec des pays qui prévoient ou appliquent la peine de mort, comme les accords de défense conclus avec le Liban en 2008, les Émirats arabes unis en 2009, la Guinée en 2014 et le Mali en 2016, qui ont tous été ratifiés par la France. Il assure en effet un statut protecteur aux personnels des forces françaises déployées en Jordanie qui viendraient à commettre des infractions relevant de la compétence des juridictions jordaniennes et passibles de la peine de mort, de la torture, de peine ou de traitement inhumains ou dégradants, en prévoyant que cette peine ne serait alors ni requise, ni prononcée et que, dans l'hypothèse où elle serait prononcée, elle ne serait pas exécutée. À ce jour, aucun personnel militaire français n'a été condamné par des juridictions jordaniennes et réciproquement d'ailleurs.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi qui va sécuriser les conditions de stationnement de nos forces sur le territoire jordanien. Cet accord, sans conséquence économique ou financière particulière, permettra de renforcer la coopération bilatérale de défense avec la Jordanie, qui présente un intérêt majeur pour la France dans sa lutte contre le terrorisme et la défense de la sécurité ainsi que pour la stabilité dans la région. La Jordanie a fait savoir en décembre 2015 qu'elle avait accompli les procédures de son droit interne permettant l'entrée en vigueur de cet accord.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 20 juillet 2017, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

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