Intervention de Nicole Duranton

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 juillet 2017 à 10h00
Audition de Mme Laura Flessel ministre des sports

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Notre groupe de travail s'est donné pour objectifs de mettre en lumière l'apport d'une activité artistique ou culturelle pour les personnes en situation de handicap et pour la société, de décrypter le cadre juridique applicable en la matière, d'identifier les obstacles rencontrés par les personnes en situation de handicap pour pratiquer une activité artistique ou culturelle et de soumettre des préconisations pour améliorer la situation.

En règle générale, la question de l'accès à la culture des personnes en situation de handicap est abordée principalement sous le prisme de l'accessibilité physique des lieux de culture ou de l'accessibilité des contenus culturels. Si cette approche est indispensable, elle est aussi très réductrice.

Car les personnes handicapées sont bien des personnes, pleines et entières, avant de se définir par un quelconque handicap, qu'il soit physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique ou la combinaison de plusieurs d'entre eux. Elles ne sauraient donc être cantonnées à un simple rôle de spectateur et elles aspirent, comme tout individu, à être des acteurs de la culture à part entière.

L'une des premières revendications des personnes handicapées, c'est de pouvoir jouir des mêmes droits que les autres. Ni plus, ni moins. C'est une question d'égalité de traitement. Sans s'attarder sur cet aspect très juridique, l'accès à la création revêt un enjeu particulier pour les personnes en situation de handicap.

D'une part, parce qu'il s'agit d'un formidable vecteur d'émancipation et d'autonomie. Les personnes en situation de handicap que nous avons rencontrées ont été unanimes sur ce point, évoquant tour à tour, la possibilité offerte par l'activité artistique ou culturelle de s'abstraire de son handicap et de faire tomber les préjugés sur de prétendues incapacités, ou encore l'autonomie procurée dans l'expression et dans l'appréhension du quotidien.

D'autre part, parce qu'il s'agit d'un moyen, pour ces personnes que notre société relègue trop souvent en marge, de tisser du lien social, de s'intégrer, d'être reconnues à leur pleine place dans la société. Pour reprendre les propos que Patrick Gohet, l'adjoint au Défenseur des droits, a tenus devant nous, l'accès à la culture leur permet de révéler, aux yeux des personnes dites « valides » ou « normales », leur pleine humanité.

Au regard de ces considérations, il nous paraît important que la question de l'accès à la culture de ces personnes soit regardée, non comme une compensation, mais comme la juste reconnaissance de leur place au sein de la société et de leurs capacités.

En outre, les effets bénéfiques de leur accès à la création sont loin de se limiter à elles seules : ils s'étendent à la société dans son ensemble.

Déjà parce que la culture s'enrichit de la singularité de chacun. Les personnes dites « valides » ou « normales » qui nous ont présenté les initiatives auxquelles elles participent ont toutes souligné les bénéfices qu'elles ont retirés de ces expériences, en particulier le changement de regard qu'elles portent sur le handicap et l'évolution des représentations qu'elles en avaient, mais aussi le changement d'approche positif que cette confrontation a engendrée pour leur travail, au travers notamment de l'adaptation de leurs méthodes d'enseignement. La metteure en scène Madeleine Louarn, qui dirige le théâtre de l'Entresort et travaille notamment avec des comédiens handicapés mentaux, nous a interpellées en nous racontant combien la réaction de ces comédiens face à une oeuvre l'avait généralement amené à faire évoluer sa propre perception de l'oeuvre et à ouvrir des pistes insoupçonnées dans le processus de création.

Autre bénéfice pour la société, les démarches réalisées en direction des publics handicapés profitent toujours à d'autres publics. Vient naturellement à l'esprit le cas des familles avec enfants, des personnes âgées avec des problèmes de mobilité ou de déficience sensorielle, des personnes victimes d'une blessure temporaire. Mais, l'expérience montre aussi que les médiations conçues en direction des publics handicapés sont progressivement fréquentées par tous les publics qui découvrent à travers elles de nouvelles approches de l'art et de la culture.

Enfin, le vieillissement de la population et l'augmentation des problèmes de santé chroniques contribuent à accroître la proportion de personnes en situation de handicap dans notre pays et peuvent constituer des arguments supplémentaires pour s'attaquer d'urgence à cette question.

En un an, le groupe de travail a conduit près d'une trentaine d'auditions, qui ont permis de recueillir le témoignage d'artistes en situation de handicap, d'associations représentatives des personnes handicapées, d'associations oeuvrant pour faciliter l'accès à la culture des personnes handicapées, de professionnels de santé, d'établissements culturels ou encore de fonctionnaires de l'État. Plusieurs départements nous ont également fait part des actions qu'ils entreprennent. Ces travaux ont été l'occasion pour nous de découvrir à la fois ce qui a été mis en place pour faciliter l'accès des personnes en situation de handicap à la création et à la pratique artistiques et culturelles, mais aussi le fossé qui demeure entre ce que prévoit le droit et sa traduction dans la réalité.

Que dit le droit ? Le texte de loi de référence en matière de handicap dans notre pays, la loi « handicap » du 11 février 2005, ne mentionne pas expressément l'accès à la culture.

Certes, le droit international est très clair sur ce sujet. La convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, en particulier, reconnaît « le droit des personnes handicapées de participer à la vie culturelle sur la base de l'égalité avec l'autre » - j'insiste bien sur ce second aspect. Ce qui implique de développer des produits culturels dans des formats accessibles et de garantir l'accessibilité des lieux de culture au sens large, mais aussi « de donner aux personnes handicapées la possibilité de développer et de réaliser leur potentiel créatif, artistique et intellectuel ».

Par ailleurs, plusieurs principes consacrés par la loi de 2005 trouvent pleinement à s'appliquer dans le domaine culturel. Il en va ainsi du droit à compensation des conséquences du handicap, dont le but est de permettre aux personnes handicapées de mener une vie sociale la plus normale possible, au travers de la rédaction d'un projet de vie détaillant les besoins et les aspirations de la personne. Mais c'est surtout le principe d'accessibilité qui a fait naître une série d'obligations dans le domaine culturel.

Pour autant, le silence de la loi de 2005 a eu des conséquences regrettables. Il a pu alimenter la perception, déjà trop répandue, que les questions culturelles seraient mineures, et a sans doute contribué à ce que cette dimension soit, jusqu'alors, relativement négligée.

Il faut espérer que la consécration législative récente des droits culturels, à l'initiative du Sénat, permettent progressivement de rectifier le tir. Cette notion invite davantage à prendre en compte la diversité des besoins de chacun et promeut les politiques inclusives. Dans la foulée de cette consécration, la loi « création » du 7 juillet 2016 a assigné aux politiques publiques l'objectif de favoriser l'accessibilité des oeuvres et de promouvoir les initiatives professionnelles, associatives et indépendantes qui facilitent l'accès à la culture et aux arts des personnes en situation de handicap ainsi que leur contribution à la création artistique et culturelle.

Après avoir examiné la situation sous l'angle juridique, j'en viens à l'état des lieux sur le terrain.

Depuis bientôt vingt ans, le ministère chargé de la culture s'est efforcé de favoriser, dans le cadre de sa mission de démocratisation culturelle, l'accès des personnes en situation de handicap aux équipements, aux contenus culturels, à la pratique artistique, à la formation et aux métiers de la culture. Pour l'aider dans cette démarche, il a mis en place, en partenariat avec le ministère chargé des personnes handicapées, une enceinte pour dialoguer, sur une base bisanuelle, avec les principales associations de personnes handicapées : il s'agit de la commission nationale culture et handicap.

Si les efforts entrepris ont permis d'enregistrer des progrès notables, le chemin à parcourir est loin d'être terminé. Parmi les causes que nous avons identifiées figure naturellement le manque de moyens financiers. Nous pensons aussi que le caractère largement partenarial de cette politique, menée souvent conjointement avec les ministères chargés des personnes handicapées, de la santé ou de l'éducation, a pu parfois en ralentir la mise en oeuvre. La dimension culturelle ne constitue évidemment pas la priorité de l'action des autres ministères impliqués et il manquait jusqu'à présent une impulsion interministérielle suffisamment forte sur le sujet. Les pouvoirs et les moyens d'action du comité interministériel du handicap, installé depuis 2010, étaient réduits, son rôle se limitant à assurer la coordination entre les politiques définies par chacun des ministères.

Autre élément en demi-teinte : le programme « culture et santé » qui vise à encourager les liens entre les établissements de santé et les établissements culturels. Dans un certain nombre de régions, il a été opportunément étendu, sur la base d'une expérimentation, aux établissements du secteur médico-social et a ainsi pu bénéficier aux personnes en situation de handicap placées dans ces établissements. On peut toutefois regretter que les partenariats entre les établissements du secteur médico-social et les établissements culturels ne soient pas davantage encouragés, voire généralisés, compte tenu des bienfaits apportés au patient par la pratique d'une activité culturelle.

Idem s'agissant des établissements culturels publics. Nous avons pu constater au cours de nos auditions que les démarches entreprises par ces établissements, en particulier les musées et sites patrimoniaux, en direction des publics handicapés ou fragiles ont permis d'enregistrer des progrès significatifs dans la fréquentation, même si la situation demeure inégale. Un certain nombre de pratiques innovantes pourraient être systématisées. Les initiatives menées par le musée du Louvre et le musée du Quai Branly, en particulier, nous ont fait forte impression, qu'il s'agisse des efforts faits en matière d'accueil dès les abords des musées, des médiations conçues pour stimuler ces publics, ou des partenariats noués avec des associations intervenant auprès des personnes handicapées ou des établissements du secteur médico-social.

J'en viens enfin au rôle des associations. De nombreuses structures artistiques et culturelles se sont développées à travers tout le territoire pour permettre aux personnes en situation de handicap de pratiquer l'activité artistique et culturelle de leur choix : troupes de théâtre, cours de danse ou de musique, ateliers d'arts plastiques. Malheureusement, leur nombre est encore insuffisant, avec de grandes inégalités territoriales. Surtout, leur existence demeure souvent extrêmement fragile. Nous avons pu mesurer à quel point elles tiennent à la motivation d'une femme ou d'un homme et à la réunion d'un certain nombre de conditions matérielles. Le départ du porteur de projets, la perte d'une salle ou encore un revers dans le financement, qu'il soit public ou privé, et tout s'effondre. Sans compter qu'elles manquent, bien souvent, de visibilité et restent méconnues, y compris du public auquel elles s'adressent.

Bref, en dépit des actions des pouvoirs publics et des associations, l'accès des personnes en situation de handicap à la culture, en particulier à la pratique artistique et culturelle, n'est pas aujourd'hui pleinement assuré. Le manque de lisibilité de l'action publique, le manque de moyens humains et matériels, le manque de données précises sur les initiatives existantes comme le manque de visibilité de celles-ci sont autant de causes auxquelles il faut sans délai s'attaquer pour permettre aux personnes en situation de handicap de devenir enfin des acteurs de la culture à part entière.

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