Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 juillet 2017 à 10h00
Audition de Mme Laura Flessel ministre des sports

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Compte tenu des enjeux que nous avons perçus, nous formulons une vingtaine de propositions pour répondre aux lacunes et faiblesses que nous avons identifiées. Nous avons choisi de les organiser autour de sept thèmes : les sept domaines dans lesquels il nous semble que les efforts devraient prioritairement porter.

Notre premier thème, c'est de tout mettre en oeuvre pour modifier la manière dont le handicap est perçu. Notre société est marquée par une forte appréhension vis-à-vis du handicap, dont les causes tiennent à la fois à une profonde méconnaissance de celui-ci dans ses différentes formes et à une sorte de sentiment de culpabilité des personnes dites « normales » ou « valides » à l'égard des personnes handicapées. Ces deux motifs expliquent que les personnes handicapées soient tenues, même inconsciemment, à l'écart ou en marge de la société, au point d'aboutir à un cloisonnement réel de celle-ci entre « valides » et « non-valides ».

Il n'y a qu'à voir les programmes à la télévision ! En 2016, seules 0,8 % des personnes apparaissant à l'écran présentaient un handicap : ces chiffres illustrent bien à quel point les personnes handicapées sont comme invisibles. Rien n'est fait dans leur direction et une bonne partie de la société préfère ne pas les voir. Cette situation constitue évidemment un puissant frein au développement d'offres culturelles inclusives.

Il faut faire en sorte que les personnes en situation de handicap soient visibles, que leur présence soit naturelle et leur apport reconnu. À cette fin, il nous semble qu'un accent devrait être mis dans deux directions.

D'une part, au niveau de l'école. C'est dès le plus jeune âge qu'il faut sensibiliser au handicap. Nous souhaitons que la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire soit accrue, que leur intégration à l'école et dans les activités périscolaires soit améliorée et que tous les élèves soient davantage éveillés à la différence et au respect de l'autre, ce qui suppose également de se pencher sur la formation dispensée aux enseignants au sein des ESPÉ.

D'autre part, nous pensons qu'il faut véritablement redoubler d'efforts pour accroître la visibilité des personnes en situation de handicap dans les médias, en particulier à la télévision. Sous l'impulsion du CSA, les chaînes ont amorcé un travail dans cette direction ces dernières années, sans que l'on puisse encore se satisfaire de la situation actuelle. Il faut que la représentation des personnes handicapées soit mieux assurée, mais aussi qu'elle soit équilibrée, positive et inclusive. Ce qui exige aussi que la présence sur les plateaux de télévision de personnes handicapées ne s'explique plus seulement par leur handicap, mais par leur qualité d'expert d'un sujet. La culture journalistique actuelle tend à éviter de montrer le handicap à la télévision, sauf quand il est question de ce sujet précis.

Le deuxième thème de réflexion du groupe de travail a porté sur les modalités de prise en compte du handicap dans nos politiques publiques.

Nous pensons qu'il est indispensable que la question du handicap soit à la fois appréhendée et traitée de manière transversale. La tutelle exercée par le ministère chargé de la santé ou des affaires sociales sur le ministère chargé des personnes handicapées a longtemps conduit à aborder prioritairement le handicap sous un angle médico-social, ce qui est très réducteur. Le fait que le secrétaire d'État aux personnes handicapées soit, depuis quelques mois, directement placé auprès du Premier ministre nous semble aller dans le bon sens.

Encore faut-il poursuivre dans cette voie. Il faut maintenant faire en sorte que la question du handicap devienne un réflexe lorsque nous légiférons, que les droits des personnes handicapées soient prévus dans les lois générales, que chaque principe que la loi pose soit immédiatement décliné pour les personnes handicapées si une adaptation se révèle nécessaire. En envisageant ainsi, dès l'origine, les différentes configurations nécessaires en fonction des besoins de chacun, le coût global sera connu, intégré et, espérons-le, davantage accepté.

Nous estimons également qu'une politique véritablement inclusive ne pourra être définie que sur la base d'une co-construction avec les personnes handicapées pour l'ensemble des politiques publiques. La consultation des associations représentatives des personnes handicapées, par le biais du Conseil national consultatif des personnes handicapées que notre collègue Dominique Gillot préside, revêt donc une dimension essentielle.

Pour autant, il nous semble que les associations et fédérations représentant les personnes handicapées gagneraient à parler davantage d'une même voix sur un certain nombre de sujets, parmi lesquels figurent les questions d'accessibilité ou de la création, qui constituent des problématiques communes à l'ensemble du monde du handicap. Il faut qu'elles poursuivent leur mise en réseau pour accroître la portée de leurs revendications. Il nous parait très important qu'elles prennent conscience que le fait de porter un message commun n'interdit pas les déclinaisons particulières.

Notre troisième axe de réflexion a trait aux moyens à allouer à l'objectif d'accès à la création et à la pratique artistique et culturelle des personnes en situation de handicap.

L'État et les collectivités territoriales doivent davantage se mobiliser pour accompagner les associations, dont le rôle est essentiel, y compris dans les zones rurales. L'appui financier des pouvoirs publics doit être à la fois accru et pérennisé. Vous me permettrez à cette occasion de dire mon inquiétude suite à l'annonce faite par le Président de la République lundi exigeant finalement non plus 10 mais 13 milliards d'euros d'économies de la part des collectivités territoriales. Quand on sait qu'elles sont le fer de lance de la politique culturelle, il y a matière à s'interroger.

Nous pensons aussi qu'une meilleure articulation de l'action de l'État et des collectivités territoriales permettrait d'améliorer la cohérence et la lisibilité de l'action publique. Il ne faut pas que le soutien public se résume à un simple saupoudrage. Nous suggérons, en particulier, que des discussions se tiennent chaque année sur l'accès des personnes handicapées aux droits culturels au sein des « CTAP culture », que les initiatives qui ont fait la preuve de leur efficacité soient clairement identifiées et que des critères précis soient définis pour déterminer les projets susceptibles de bénéficier de subventions publiques. À nos yeux, les initiatives qui présentent un caractère inclusif ou qui donnent aux participants en situation de handicap les meilleures chances de préserver ou de développer leur autonomie artistique, culturelle et intellectuelle devraient être privilégiées.

Les autres acteurs devraient également être mobilisés. Concernant les établissements culturels publics, il serait souhaitable d'inscrire systématiquement la question de l'accueil des personnes en situation de handicap dans leurs contrats d'objectifs et de moyens. Cette mesure pourrait permettre de progresser, en particulier dans le domaine du spectacle vivant, aujourd'hui encore en retrait.

Plusieurs associations que nous avons entendues ont également évoqué l'intérêt de mettre en place un dispositif similaire à celui applicable au mécénat pour les oeuvres d'art pour inciter les entreprises privées à s'engager en faveur de l'accès des publics handicapés à la culture et à la création artistique. De fait, la plupart des grands musées ont d'ores et déjà recours au mécénat pour financer certaines de leurs actions à destination des publics en situation de handicap. Il s'avère que les entreprises répondent plutôt positivement aux sollicitations sur ce type de projets qui permettent de valoriser leur image sociale. Ce pourrait donc être une piste pour venir en aide à de plus petits établissements ou structures, pour lesquels la recherche de partenariats privés est moins naturelle et évidente. À titre personnel, je pense qu'il faut cependant être prudent avec l'appel au mécénat, qui ne doit pas conduire les pouvoirs publics à se délester de leurs obligations d'apporter une réponse égalitaire de service public sur tout le territoire.

Notre quatrième thème porte sur les politiques à mettre en oeuvre. Nous sommes convaincues que les politiques inclusives doivent être privilégiées. Elles seules peuvent contribuer à changer le regard sur le handicap et à mettre un terme à la ségrégation qui règne entre « valides » et « non-valides ». Nous voudrions que l'accessibilité universelle devienne un réflexe. Elle profite à toutes sortes de publics et présente l'avantage de ne pas stigmatiser les personnes handicapées. C'est pourquoi elle ne doit pas être envisagée comme un coût, mais comme un investissement au profit de la société et de son avenir.

Au demeurant, il existe des cas dans lesquels le maintien d'une offre réservée aux publics handicapés demeure nécessaire. La situation très particulière des personnes qui vivent dans des établissements ou des services spécialisés du secteur médico-social le justifie par exemple. Ce n'est pas pour autant qu'il faut perdre de vue l'objectif d'inclusion. Il ne s'agit pas d'offrir aux patients un « ersatz de culture », mais bien la culture, telle que la vit et la pratique l'ensemble de la société. La dignité des patients doit être respectée. Dans ce contexte, les partenariats avec des établissements culturels et des artistes doivent être développés.

Notre cinquième proposition a trait à l'information disponible. Le manque d'information est l'un des principaux freins actuels à la pratique artistique et culturelle des personnes en situation de handicap.

Il serait essentiel pour ces personnes de disposer d'une cartographie précise et fiable faisant apparaître l'ensemble des initiatives auxquelles elles sont susceptibles de pouvoir s'inscrire. Un grand travail de recensement doit être réalisé.

Nous estimons également que de nombreux bénéfices pourraient être retirés d'une campagne de communication nationale sur le thème de la culture et du handicap faisant le point sur les droits des personnes concernées et les possibilités offertes. Elle témoignerait de la mobilisation de l'État sur cet enjeu important pour l'inclusion des personnes en situation de handicap, donnerait de la lisibilité à l'action publique et pourrait enclencher une dynamique dans les territoires en incitant tous les acteurs à s'engager.

Nous pensons enfin que les établissements culturels doivent mieux communiquer en direction des publics handicapés. L'accessibilité des sites internet des établissements et structures culturels constitue aujourd'hui un enjeu fondamental pour faciliter l'accès des personnes en situation de handicap à la culture. Un travail important doit être engagé car le dernier baromètre de l'accessibilité numérique laisse apparaître des résultats moyens.

J'en viens maintenant au sixième axe de réflexion du groupe de travail : la formation. Les efforts à fournir dans ce domaine sont indispensables tant il s'agit bien souvent de l'un des principaux obstacles pointés du doigt. Ces efforts de formation doivent porter dans deux directions.

D'une part, il faut davantage sensibiliser les personnels de santé aux enjeux de la pratique artistique et culturelle dans les établissements du secteur médico-social. Les expériences montrent combien elle contribue à l'épanouissement personnel du patient et à la qualité des soins. Il semble préférable que cette pratique soit dispensée par de véritables professionnels de la culture pour en garantir la qualité et fournir l'occasion de contacts avec le monde extérieur. La nomination, au sein de chaque établissement, d'un référent chargé de définir la politique culturelle et de nouer des partenariats avec les établissements culturels locaux pourrait être un facteur de progrès.

D'autre part, il convient de mieux former les acteurs de la culture à la connaissance du handicap. La formation initiale dispensée au sein des établissements de l'enseignement supérieur culture, qui comprend également les écoles d'architecture, doit comporter, dans le tronc commun, des modules consacrés à cette problématique. De même, les établissements culturels doivent former leurs personnels, au titre de la formation continue, à l'accueil et à la prise en charge des personnes en situation de handicap.

La formation au handicap apparaît également indispensable dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation et dans les écoles de journalisme, au regard du rôle considérable que jouent les enseignants et les journalistes dans le regard que nous portons vis-à-vis de la différence.

En guise de dernier axe, nous soumettons deux chantiers de réflexion qui pourraient être ouverts au bénéfice des personnes handicapées.

Le premier chantier, c'est celui de la politique tarifaire. Il n'existe pas aujourd'hui de tarif spécifique en faveur des personnes handicapées pour leur permettre d'accéder aux lieux de culture. Mettre en place une politique tarifaire attractive pourrait jouer un rôle incitatif. Pourrait-on imaginer un dispositif similaire au « Pass culture » au profit des personnes handicapées pour témoigner de l'engagement de l'État à rendre concrets leurs droits culturels ?

Le deuxième chantier concerne la professionnalisation des artistes handicapés. Les barrières à l'entrée des métiers du spectacle pour les personnes en situation de handicap sont aujourd'hui fortes. Les causes en sont partiellement imputables aux caractéristiques propres à ce secteur d'activité, qui le rendent peu accueillant à l'égard des personnes handicapées. Mais, elles s'expliquent aussi par le fait que les dispositifs d'aide actuels sont peu adaptés aux spécificités de l'emploi au sein des entreprises du spectacle et que les règles de plafond et de réduction applicables en matière d'allocation adulte handicapé n'encouragent pas les personnes handicapées à embrasser une carrière d'intermittents. Des réflexions approfondies pourraient être conduites sur ces différents sujets.

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