Intervention de Bruno Le Maire

Commission des affaires économiques — Réunion du 25 juillet 2017 à 16h00
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances

Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Je vous remercie de votre accueil et veux dire à Jean-Claude Lenoir que je n'oublie pas le rôle décisif qu'il a joué il y a quelques années lors d'une opération que nous avons menée autour de Gaz de France. Je veux saluer ici son efficacité dans ce travail conjoint qui peut servir de modèle pour les décisions futures que nous avons à prendre.

Un mot, pour commencer, sur la situation économique dans laquelle nous nous trouvons. Des signaux positifs, on le sait, se font sentir : le retour de la croissance dans la zone euro, le niveau de la croissance mondiale, l'indicateur de confiance des entrepreneurs, positif dans beaucoup de secteurs, comme le bâtiment ou les services. Les vents semblent donc légèrement plus favorables - je pèse mes mots, car nous sommes encore loin d'avoir renoué avec une croissance forte et puissante.

Nous avons aussi à faire face à cette réalité plus structurelle qu'est la révolution des technologies. Je pense à l'irruption des données numériques, à l'intelligence artificielle, qui vont bouleverser un certain nombre de secteurs industriels, de services, et de conceptions même du travail. Ce bouleversement appelle à une réflexion sur notre modèle économique mais aussi en matière d'éducation, de formation, d'apprentissage, d'alternance, de conception de la vie professionnelle. Je crois, pour ma part, que cette révolution technologique est une chance considérable pour la France.

Nous nous trouvons, enfin, dans un environnement commercial tendu. Les relations entre les grandes puissances, notamment les Etats-Unis et la Chine, sur la question de l'acier, sont extraordinairement dures, avec les risques de conflit économique que cela comporte, non seulement entre ces deux puissances mais aussi avec l'Union européenne. J'ai pu le constater il y a quelques jours encore, au G20. Ces tensions, sur l'acier, sur l'accès aux marchés publics, peuvent conduire à des guerres commerciales et affecter la croissance.

Dans ce contexte, comment se situe la France ? Bien du point de vue du potentiel, mal du point de vue de la réalisation. En termes de technologie, de tissu industriel, de formation, de savoir-faire, d'intelligence et de compétitivité de nos salariés, nous disposons d'atouts exceptionnels, mais nous évoluons dans un modèle économique et social dépassé, dont témoignent les chiffres que vous connaissez : le niveau de dépense publique est en France le plus élevé de tous les pays européens, à 56,2 % du PIB, contre 46 % en moyenne dans les autres Etats européens ; nos prélèvements obligatoires sont parmi les plus élevés de l'Union européenne, à 44 %, contre 40 % en moyenne, alors même que nos performances économiques sont moins bonnes que celles des autres Etats européens - croissance plus faible, chômage plus fort. J'invite tous ceux qui disent que la dépense publique est la solution à considérer ces résultats. Si tel était le cas, vu notre niveau de dépense, nous devrions avoir le taux de chômage le plus faible et le niveau de croissance le plus élevé ; or, c'est le contraire. À tous ceux qui critiquent nos décisions, sur les APL, les aides personnalisées au logement, sur le budget de la Défense, je pose la question : où réduire la dépense publique ? Ce ne sont jamais des choix faciles, car il y a toujours une bonne raison de dépenser davantage d'argent public. Bien sûr que l'on aimerait augmenter les retraites des plus modestes, donner plus d'APL aux étudiants, rembourser mieux les soins, soutenir l'investissement des collectivités territoriales, doter nos armées d'équipements flambant neuf, recruter plus de policiers, d'enseignants... Mais à ce compte, chaque dépense se justifie, on reste sur la même ligne, et nous sombrons.

Le choix que nous avons fait avec le Premier ministre, avec le Président de la République est un choix totalement différent, et nous l'assumons. C'est celui d'une transformation en profondeur du modèle économique et du modèle social français.

Cette transformation passe d'abord par des réformes de structure. Priorité a ainsi été donnée à la refondation du marché du travail, et je salue ici l'action exceptionnelle de Muriel Pénicaud. Le projet de loi d'habilitation qu'elle porte s'appuie sur quatre volets : nouvelle articulation des accords d'entreprise et de branche, simplification du dialogue social, sécurisation des relations de travail, notamment en matière de licenciement, plafonnement des indemnités prud'homales. Cette transformation du code du travail n'est que la première des transformations que nous porterons, avec le Premier ministre, à compter de la fin de cette année : la modernisation de l'assurance chômage, la modernisation et la simplification des régimes de retraite, la transformation du système de formation professionnelle, celle de notre système de construction et d'aide au logement, qu'a annoncée ce matin Jacques Mézard. Si nous voulons que la France exploite à plein les qualités dont elle dispose, il faut opérer ces transformations structurelles. Comme ministre de l'économie et des finances, je suis le gardien de cet engagement, au nom des orientations fixées par le Président de la République. L'autre volet important de ces transformations réside dans le soutien aux entrepreneurs et à l'innovation - j'y reviendrai.

Deuxième grand chantier, la fiscalité. Transformer notre modèle économique, c'est aussi transformer notre système fiscal, avec un objectif stratégique, baisser les impôts d'un point sur cinq ans, tant pour les ménages que pour les entreprises. Au profit de ceux qui travaillent, nous faisons un choix tout simple : le travail doit payer. C'est pourquoi nous avons décidé de supprimer toutes les cotisations salariales sur l'assurance chômage et sur l'assurance maladie, en finançant la mesure - et nous l'assumons - par une augmentation de 1,7 point de CSG au 1er janvier 2018. Le soutien aux ménages, c'est aussi la suppression progressive de la taxe d'habitation - qui, je n'en doute pas, fait ici débat - pour 80 % des ménages. Nous la réaliserons en trois tranches, la première débutant au 1er janvier 2018.

Les entreprises aussi doivent bénéficier de cet allègement de la fiscalité, car par rapport aux entreprises européennes, en particulier allemandes, notre niveau de fiscalité est trop lourd et trop complexe. Nous entendons donc ramener l'impôt sur les sociétés à 25 %, contre 33 % actuellement, sur l'ensemble du quinquennat. C'est une transformation majeure de notre système fiscal pour les entreprises. Alléger, c'est aussi transformer le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, en allègement de charges direct, afin de simplifier le dispositif au bénéfice des PME et des TPE. Nous le ferons à partir de 2019. Soutenir les entreprises et l'investissement, c'est supprimer l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune), et nous l'assumons. En supprimant la part qui porte sur les valeurs mobilières, pour ne le faire plus porter que sur les valeurs immobilières, nous en supprimons les trois quarts. Nous ne le faisons pas pour faire plaisir « aux riches », comme j'entends dire ici ou là ; nous le faisons parce que c'est ce qui permettra de financer l'investissement, de soutenir le risque, l'audace, le placement dans des valeurs mobilières plutôt qu'immobilières, pour financer notre économie. Il n'y a là aucun cadeau, mais un choix politique, celui de soutenir les entrepreneurs, le risque, ce qui créera de la richesse pour les Français. La simplification, enfin, passera par la mise en place d'un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital en lieu et place de la myriade des dispositifs actuels, complexes et illisibles. C'est un facteur d'attractivité pour notre économie.

Le troisième grand chantier est celui de l'innovation. Une économie qui réussit, c'est une économie qui innove vite, qui innove bien, qui innove fort. Vous le voyez tous dans vos territoires. Ce peut être dans l'agriculture de précision, comme nous l'avons vu avec Sophie Primas dans les Yvelines ; ce peut être avec la viticulture nouvelle et la biodynamique ; ce peut être dans l'industrie de pointe, dans les nanotechnologies, dans la robotisation et la numérisation, comme on le voit pour le décolletage dans la vallée de l'Arve. Nous maintiendrons donc le crédit d'impôt recherche, le CIR, qui a fait ses preuves : aucune raison de le modifier, sans compter qu'un peu de stabilité ne nuira pas à notre système fiscal. Nous mettrons en place un fond de 10 milliards d'euros pour l'innovation de rupture, qui sera financé à compter de septembre prochain par la cession d'actifs de l'Etat dans des entreprises du secteur concurrentiel. Et là aussi, j'assume totalement ce choix. Plutôt qu'avoir de l'argent de l'Etat placé dans des entreprises pour rapporter des dividendes qui sont reversés au budget et alimentent la dépense publique, nous préférons investir sur l'innovation de rupture.

Car quel doit être le rôle de l'Etat dans l'économie ? Son rôle, ce n'est pas de gérer des entreprises à la place des entrepreneurs. L'Etat a d'abord un rôle de régulation ; c'est lui qui fixe les règles, le cap. Cela vaut à l'échelle locale, nationale et internationale. Nous nous battrons donc, au niveau national, pour lutter contre la fraude fiscale et faire en sorte que chacun respecte les règles de notre économie de marché. Nous le ferons aussi à l'échelle européenne. Gérald Darmanin a annoncé ce matin que nous ouvrions la porte à un accord avec Google, pour parvenir, sur une base transactionnelle, à un règlement du contentieux qui nous oppose à cette grande entreprise. Ce que je souhaite, comme ministre de l'économie et des finances, c'est que les GAFA, les grandes entreprises du numérique que sont Google, Amazon, Facebook, Apple, payent aux Etats les impôts qu'elles leur doivent. On ne peut pas admettre que de grandes entreprises de taille mondiale, qui utilisent des millions de clients en Europe, ne payent pas d'impôts aux Etats européens ; que ces grandes entreprises, qui utilisent les données de millions de consommateurs français, payent des sommes dérisoires au Trésor public français. Ces entreprises sont les bienvenues en Europe, pour y commercer, mais elles doivent être taxées à hauteur du chiffre d'affaires qu'elles réalisent dans les pays européens. A compter du prochain conseil des ministres européens de Tallinn, mi-septembre, nous porterons, avec nos amis allemands, une nouvelle proposition, pour obtenir la taxation des GAFA à hauteur du chiffre d'affaires qu'ils réalisent sur le territoire européen. La notion d'établissement stable, qui sert aujourd'hui de référence à la taxation, ne fonctionne pas correctement. Nous continuerons d'appuyer les initiatives engagées au niveau de l'Europe et de l'OCDE, mais je pense qu'il faut aller plus vite, et reprendre la main, car pas un citoyen, pas un chef d'entreprise ne peut comprendre qu'il ait à payer ses impôts à un niveau aussi élevé tandis que les géants du numérique, dont le chiffre d'affaires s'élève à des centaines de milliards d'euros ne payent pas, en France ni en Europe, les sommes qui sont dues.

Le rôle de l'Etat, c'est également de rester présent dans des secteurs stratégiques et de veiller à la défense des intérêts stratégiques de notre nation - je pense au nucléaire, à l'énergie, à la Défense, à tous les secteurs vitaux pour notre économie. Il a vocation à empêcher les investissements offensifs sur des activités stratégiques, quel que soit le secteur d'activité. Nous garantirons la protection de nos intérêts économiques stratégiques face aux investisseurs prédateurs qui ne sont pas là pour développer notre économie mais pour récupérer une mise financière au détriment de l'emploi et de la croissance en France.

Enfin, le rôle de l'Etat est aussi d'être attentif aux plus faibles. Il n'y a pas d'un côté la France qui réussit et de l'autre la France qui échoue. Il y a une seule France. Il n'y a pas d'un côté des Français engagés dans la mondialisation, ouverts sur la numérisation de la société, bien formés, qui ont des emplois et, de l'autre, des Français qui seraient voués au chômage de longue durée, dépourvus des qualifications nécessaires, dans des territoires abandonnés de la République. Il y a un seul peuple français et tout le peuple français doit bénéficier du retour de la croissance et de la transformation économique. C'est pour cela que, avec Benjamin Griveaux, nous nous battons autant pour GM&S, quand certains, parfois, nous disent que nous devrions laisser tomber, jugeant qu'une usine d'emboutissage dans la Creuse est sans avenir. Je suis allé à La Souterraine : j'ai rencontré les ouvriers qui, à la cinquantaine, ont consacré trente années de leur vie à cette usine, j'ai pu voir que les machines sont en bon état de marche. Aller leur dire que pour eux c'est fini ? C'est trop facile. Je me battrai jusqu'au bout, avec toute l'énergie nécessaire, pour que l'entreprise GM&S continue à se développer dans les années qui viennent. C'est dur, je n'ai aucune garantie de résultat, je ne puis vous dire aujourd'hui si l'entreprise restera ouverte, si les salariés feront ce choix ; il y a beaucoup d'obstacles sur le chemin, mais je puis vous garantir qu'avec Benjamin Griveaux, avec le Premier ministre, avec le Président de la République, nous mettrons toute l'énergie nécessaire pour affirmer que l'industrie, dans les territoires, ce n'est pas fini. La désindustrialisation commence au jour où l'on baisse les bras. Nous, nous ne baissons pas les bras.

Vous qui êtes les représentants des territoires, vous savez que cette bataille pour le maintien de l'industrie dans les territoires, pour la numérisation des territoires ruraux, pour le soutien au commerce et à l'artisanat, auxquels je suis tant attaché, sont des batailles difficiles. Mais il faut les livrer. Il serait trop facile au ministre de l'économie de n'investir son énergie que dans les hautes technologies, les start up, l'économie innovante, ouverte sur le monde et qui marche bien. Il y a aussi des secteurs en difficulté, du commerce, de l'artisanat, de l'industrie qui souffrent et le rôle du ministre de l'économie est de permettre à ces activités de réussir aussi bien que les autres.

Telles sont les grandes orientations qui sont les miennes.

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