Ce sont donc tout d'abord les insuffisances de l'offre libérale qui sont indirectement mises en lumière par les difficultés des services d'urgence. Selon la Cour des comptes, 43 % des passages aux urgences relèvent d'une simple consultation médicale ; 35 % des passages auraient pu obtenir une réponse auprès d'un médecin généraliste. La moitié des passages aux urgences a par ailleurs lieu aux horaires d'ouverture des cabinets de ville, tandis que les patients se tournent prioritairement vers les structures d'urgences aux horaires de la permanence des soins ambulatoires. En d'autres termes, l'offre de ville ne répond plus ni à la demande de permanence des soins, ni à celle de continuité des soins.
Face à ce constat, les médecins de ville eux-mêmes ont reconnu un certain « désengagement » des professionnels libéraux quant à la prise en charge des soins non programmés. Les raisons en sont multiples et bien connues, je ne m'y attarderai donc pas : la fin de la responsabilité individuelle dans l'organisation de la garde, la désertification médicale, les délais de rendez-vous, la réduction du temps d'exercice hebdomadaire ainsi que la raréfaction des visites à domicile expliquent largement que les patients se rendent aux urgences pour y trouver une réponse intégrée.
Dans ce contexte, les maisons médicales de garde (MMG) ne semblent pas pouvoir offrir d'alternative efficace pour les patients. Si les situations sont bien sûr très différentes selon les structures, et dépendent notamment des acteurs impliqués et de leurs relations avec les services hospitaliers, leur développement connaît une certaine stagnation depuis quelques années. Selon la Cour des comptes, la faible diffusion du recours aux MMG dans la population s'expliquerait à la fois par l'absence de plateau technique minimal, qui oblige de toute façon les patients à se rendre aux urgences dans un deuxième temps en cas d'examen ou d'acte technique à réaliser, ainsi que par la nécessité d'y faire l'avance des frais. Nous avons d'ailleurs pu constater que, en dehors de certains cas où des protocoles avaient pu être formalisés entre un établissement et une MMG, les réadressages des services d'urgences vers les maisons de garde demeuraient très minoritaires.
Nous pensons cependant que la médecine de ville peut et doit prendre sa part des soins non programmés. Les syndicats de professionnels nous ont rappelé à juste titre que si la dernière épidémie de grippe avait donné lieu à une forte surcharge dans les services hospitaliers, la majorité des patients avaient été pris en charge dans les cabinets libéraux. Les centres de santé offrent par ailleurs des possibilités de prise en charge rapide, en secteur 1 et sans avance de frais, qu'il nous semble d'ailleurs nécessaire de développer.
Sans entrer dans un débat sur l'organisation générale de la médecine libérale, trop vaste pour le champ de cette seule mission, quelques mesures simples nous paraissent pouvoir porter leurs fruits à court terme.
Afin de renforcer la continuité des soins aux horaires d'ouverture des cabinets de ville, il pourrait tout d'abord être envisagé de mieux valoriser financièrement les consultations non programmées, ce qui pourrait inciter les médecins à dégager des plages horaires dédiées à cet effet, ainsi que les visites à domicile, pour les patients qui se trouvent dans l'incapacité de se déplacer - et qui se retrouvent trop souvent aux urgences dans un véhicule de pompiers ou une ambulance. Par ailleurs, les plates-formes territoriales d'appui créées par la loi santé devraient être le lieu d'une plus grande coopération « pré-porte » entre les mondes libéral et hospitalier.
S'agissant ensuite de la permanence des soins, plusieurs mesures d'ordre financier sont également envisageables, comme l'exonération totale du ticket modérateur aux horaires de la PDSA, ou encore le développement du tiers-payant intégral dans les MMG - comme d'ailleurs dans l'ensemble des lieux accueillant des urgences. Sur un plan organisationnel, il nous semble par ailleurs pertinent d'élargir les horaires de la PDSA au samedi matin - plage sur laquelle la plupart des cabinets de ville sont fermés, tandis que les services de régulation des urgences connaissent un pic d'activité.
Un mot enfin de l'épineuse question de la régulation médicale. Lorsqu'elle fonctionne bien, ce qui est le plus souvent le cas, elle assure la prise en charge rapide des cas les plus graves, ou permet au contraire d'éviter le recours aux urgences par un simple conseil téléphonique ; elle peut également être le lieu d'une coopération efficace entre médecins hospitaliers et libéraux, ainsi que nous l'avons vu à Lille et à Arras. C'est donc un outil précieux pour la gestion des demandes de soins non programmés.
Il existe cependant, au plan local, des différences dans les modes d'organisation dont résultent parfois des difficultés de fonctionnement. En outre, le métier particulièrement difficile et stressant d'assistant de régulation médicale (ARM), qui constitue le premier maillon de la chaîne des secours pré-hospitaliers, est trop souvent assuré par des personnes qui manquent d'expérience, voire tout simplement d'une formation initiale. Dans ce contexte, la mise en place du nouveau numéro 116 117 à côté du 15 (à laquelle notre commission s'était opposée dans le cadre de la loi « santé ») achève de créer l'inquiétude chez les professionnels : supposé rendre plus visible et plus lisible la permanence des soins ambulatoires pour les patients, il est pourtant quasi-unanimement dénoncé comme créant une inutile complexité et nécessitant des effectifs qui pourraient être mieux employés ailleurs.
Il nous paraît particulièrement urgent de remédier à ces problèmes, afin de professionnaliser davantage ce maillon crucial des urgences, mais aussi de renforcer la coordination entre médecins libéraux et hospitaliers à l'interface entre la ville et l'hôpital.
En premier lieu, l'abandon du numéro 116 117, qui nous apparaît inéluctable, devrait bien évidemment être accompagné d'un renforcement des équipes opérant au centre 15, afin d'assurer un tri efficace entre les demandes relevant des urgences hospitalières et celles relevant de la permanence libérale. Ce renforcement devrait être associé à une généralisation de la mutualisation des équipes hospitalières et libérales, dont nous avons pu voir plusieurs exemples de succès au cours de nos déplacements. En outre, la formation des professionnels-clé que constituent les ARM est entièrement à revoir : alors qu'elle est aujourd'hui facultative, il nous paraît indispensable qu'elle passe par une formation initiale obligatoire et standardisée d'au moins deux ans, assortie de périodes de stage, et sanctionnée par la délivrance d'un diplôme qualifiant.