J'en viens enfin aux problèmes posés par l'intégration des services d'urgences dans leur environnement hospitalier. Il est largement ressorti de nos différents travaux et déplacements que la difficulté principale réside dans la culture des établissements : bien souvent, dans leur fonctionnement quotidien, les urgences sont considérées comme un service à part, de sorte que le devenir de leurs patients n'est pas collectivement pris en charge. Cette situation explique en partie l'engorgement des urgences par des patients pour lesquels aucune solution d'hospitalisation n'a pu être trouvée à court terme (en moyenne, 20 % des patients des urgences sont hospitalisés). Il nous a même été signalé qu'il n'était pas rare que les services eux-mêmes se déchargent sur les urgences en cas d'examens à réaliser dans de brefs délais !
Cette question de culture et de communication est symptomatique d'un certain isolement des urgences au sein de l'hôpital. Afin de refonder leur place en tant que service spécialisé, et non plus seulement en tant que service « porte », des évolutions simples et concrètes nous paraissent possibles, dans quatre directions.
Nous avons eu l'occasion de constater que plusieurs établissements avaient développé des « bonnes pratiques » organisationnelles qui pourraient facilement être généralisées. Je pense notamment au développement de circuits courts de prise en charge (souvent désignés sous le nom de fast-tracks), qui, dans les établissements les plus importants, permettent de réguler le flux des patients. Il s'agit en fait d'un service de consultation rapide aménagé à l'intérieur des urgences. Une telle organisation suppose cependant que ces circuits soient gérés par des soignants expérimentés, médecins comme paramédicaux, qui sachent immédiatement distinguer une urgence grave d'une demande de soins plus légers. Cette prise en charge particulière pourrait d'ailleurs tout à fait être réalisée par des généralistes libéraux.
Par ailleurs, la différenciation structurelle des urgences pédiatriques nous paraît indispensable ; chaque fois que c'est possible, ce doit aussi être le cas pour les urgences psychiatriques et gynécologiques.
L'équipement des services comme des Smur doit également faire l'objet d'une réflexion approfondie. Au cours de nos déplacements, nous avons en effet constaté qu'il existait de très fortes disparités entre établissements. Certains Samu disposent ainsi d'un important plateau technique embarqué, tandis que quelques services d'urgences disposent d'appareils d'imagerie dédiés. Afin de renforcer l'égalité d'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, il serait souhaitable de généraliser au moins la présence de matériels de biologie embarquée dans les Smur. Les services d'urgences doivent par ailleurs prendre le tournant de la médecine de demain : pour cela, c'est dès aujourd'hui qu'il faut y développer l'usage de la télémédecine.
Enfin, le traitement standardisé de certaines urgences vitales (infarctus du myocarde et AVC) connaît un fonctionnement particulièrement satisfaisant que nous tenons à souligner ; partant de ce constat, il nous paraît indispensable de lancer une réflexion sur une possible standardisation de la prise en charge pour d'autres pathologies.
C'est ensuite sur la question de l'aval des urgences que les établissements doivent travailler. Certains d'entre eux ont développé des pratiques innovantes pour la gestion des lits en se dotant d'un bed manager, spécifiquement chargé du suivi et de l'affectation en temps réel des lits disponibles. Cette fonction support pourrait être plus largement développée, le cas échéant à l'échelle des GHT. D'autres établissements, comme l'hôpital Avicenne, ont développé une organisation plus modeste, mais tout aussi efficace, en organisant quotidiennement des conférences de staff rassemblant l'ensemble des services. L'important nous semble être ici que la question de l'aval des urgences soit l'affaire de tous.
Face à l'afflux croissant de personnes âgées dans les services d'urgences, et devant la nécessité d'une réaction rapide en cas de pic épidémique, il nous paraît par ailleurs indispensable de redonner toute leur place aux services de médecine et chirurgie générales (qui ont trop souvent servi de variable d'ajustement au cours des dernières années, avec des fermetures de lits massives dont on mesure aujourd'hui toute le caractère problématique), et de développer les services de gériatrie aiguë. A l'inverse, s'il doit exister un volant de lits de courte durée au sein des services d'urgences, celui-ci ne doit pas être trop important, et doit simplement fonctionner comme une soupape avant transfert dans les services spécialisés.
La prise en charge des urgences pour les personnes âgées constitue par ailleurs un sujet en soi. Sur ce point, nous tenons à souligner que l'hospitalisation systématique des personnes âgées constitue une catastrophe à la fois humaine, médicale et pécuniaire. Pour y remédier, les solutions ne sont que trop connues - encore faut-il avoir la volonté de les mettre en oeuvre ! : organiser la prise en charge médicalisée dans les Ehpad et y introduire la télémédecine, ainsi que notre commission l'a déjà formulé à plusieurs reprises.
Se pose, en troisième lieu, la question du financement des urgences. Nous avons pu constater qu'un soupçon planait sur l'encadrement de ces services, suspectés de ne pas souhaiter réellement remédier aux situations d'engorgement dès lors que l'afflux de patients constituerait une manne financière pour les établissements. Si cette affirmation nous apparaît largement exagérée, il est cependant indéniable que le mode de tarification des urgences n'est pas désincitatif à la prise en charge des patients, quelle que soit la gravité, ou l'absence de gravité, de leur pathologie. Il importe dès lors de clarifier cette situation, dans un triple objectif : recentrer la prise en charge par les urgences sur les cas les plus graves ; mieux prendre en compte les coûts fixes de services par nature soumis à une activité fluctuante ; inciter à la réorientation vers les MMG ou les médecins de ville.
Dans ce contexte, la proposition formulée par Olivier Véran, notre collègue rapporteur général à l'Assemblée nationale, nous paraît particulièrement intéressante : il s'agirait d'introduire une dose de forfaitisation dans le financement des urgences, ainsi qu'une modulation des tarifs en fonction de la gravité des pathologies.
J'en termine par le sujet qui n'est pas le moins important, celui des ressources humaines des services d'urgences. D'une manière générale, il nous est apparu que le très fort investissement des personnels soignants devait être mieux valorisé, quelle que soit leur fonction. Ces personnels sont en effet en première ligne pour faire face, souvent en flux tendu, à des situations sanitaires et sociales particulièrement difficiles. De nombreux soignants nous ont d'ailleurs indiqué qu'ils craignaient pour leur sécurité, à tel point que certains établissements - lorsqu'ils en ont les moyens... - se sont dotés de sas d'accès sécurisés et de vigiles à la porte du service d'urgences, voire de médiateurs sociaux. Ces difficultés s'inscrivent parfois dans un contexte de turn-over important et de difficultés de recrutement, les services d'urgences n'étant pas épargnés par la prolifération des praticiens « mercenaires ».
En premier lieu, il nous semble indispensable de favoriser la diversité des tâches dans la carrière des médecins urgentistes, compte tenu du stress et de la pénibilité particulièrement attachés à ce métier. De ce point de vue, la formule de la mutualisation des équipes opérant en Smur, en salle de régulation et à l'accueil des urgences, dont nous avons pu constater le succès dans plusieurs établissements, nous paraît particulièrement intéressante. L'alternance des formes d'exercice permet en effet de relâcher la pression inhérente à certaines activités et de ne pas s'y enfermer. Nous posons également la question de son extension aux professions paramédicales, en raison de son intérêt à la fois pour les pratiques individuelles et pour l'organisation des services.
S'agissant des médecins, il nous semble par ailleurs indispensable d'introduire dans leur formation un volet relatif à l'accueil et à la prise en charge des situations d'urgence sociale, qui tendent à se multiplier et face auxquelles les professionnels nous ont livré leur désarroi.
Outre les ARM, que nous avons déjà évoqués, plusieurs professions exerçant dans le cadre des urgences pourraient faire l'objet d'une meilleure reconnaissance. Nous pensons notamment au métier d'ambulancier, dont le rôle évolue notablement dans le cadre de la médecine d'urgence comme dans le monde libéral : il ne s'agit plus seulement d'assurer une simple fonction de transport, mais bien souvent aussi de fournir une première appréciation de l'état de santé du patient, voire de le préparer pour l'intervention des équipes. Il nous semblerait dès lors opportun, sinon de faire évoluer les contours et la reconnaissance de cette profession, du moins d'ouvrir la réflexion quant à la reconnaissance d'une profession d'ambulancier en Smur. Dans la même logique, la reconnaissance d'une spécialité infirmière urgentiste mériterait également qu'un débat lui soit consacré.