D'après nos interlocuteurs, la prise de conscience des effets des évolutions de la démographie médicale a été plus tardive en France que dans d'autres pays européens.
Des initiatives nombreuses ont néanmoins été prises, en particulier par les collectivités territoriales, à qui la loi de 2005 sur le développement des territoires ruraux a donné un cadre. L'assurance maladie a mis en place des incitations financières et l'État, à sa suite, a instauré des dispositifs fiscaux et confié aux ARS des compétences pour organiser la territorialisation du système de santé. Le pacte territoire-santé de 2012 a tenté de structurer les différents dispositifs dans un plan d'ensemble.
Toutefois, sans s'inscrire dans une réelle stratégie globale, ni même partir d'un diagnostic partagé, les dispositifs restent foisonnants, non coordonnés, parfois concurrents et ont en commun de n'avoir donné lieu à aucune évaluation. L'institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) nous a ainsi indiqué que, faute de données, il n'avait pas été capable d'évaluer les mesures prises depuis 2003. Nul besoin de vous dire que nous avons été surpris...
Cela peut susciter l'incompréhension des acteurs. Ces constats mettent en évidence la nécessité d'un meilleur pilotage et d'une plus grande concertation entre les ARS, les collectivités territoriales et les professionnels de santé. Il s'agit de valoriser les complémentarités entre les territoires plutôt que d'aboutir à des concurrences néfastes.
La notion même de zonage en fonction des différents objectifs de politiques publiques fait question. À l'initiative du précédent gouvernement, une révision est en cours, sur le critère, plus objectif, du nombre de consultations disponibles par habitant, ce qui devrait permettre de donner une plus grande cohérence à l'action des pouvoirs publics. Lorsqu'on discute avec les élus, on voit bien que le zonage ne correspond pas aux réalités locales, par exemple en ne prenant pas en compte le fait que des médecins ne travaillent qu'à temps partiel. En outre, il n'est pas toujours mis à jour.
D'une manière générale, nous avons constaté un décalage considérable entre les positions et les réflexions des acteurs de terrain et les institutionnels, en particulier les différentes agences concernées et les ARS. De plus, les politiques mises en oeuvre peuvent varier sensiblement entre les ARS et selon leurs directeurs.
Ce constat étant posé, nous avons tenté, à partir des informations recueillies au cours de nos auditions et de nos déplacements, de hiérarchiser les différents leviers d'action afin d'en tirer des préconisations.
Le premier levier identifié, évoqué la semaine dernière par plusieurs de nos collègues en commission, est celui du relèvement du numerus clausus.
Ce levier a été actionné par les gouvernements, fortement au début des années 2000 (+ 86 % entre 2000 et 2006), plus modérément ensuite (+ 50 % entre 2007 et 2015), puis de façon ciblée, sur dix territoires à partir de 2012, dans le cadre du pacte territoire-santé.
Il appelle de notre part plusieurs remarques.
En premier lieu, comme nous l'avons déjà évoqué, il n'y a pas de lien automatique et direct entre le nombre de professionnels de santé et la qualité de leur répartition territoriale. Si tel était le cas, nous n'aurions pas, à l'heure actuelle, de problème de zones sous-dotées.
Dans d'autres professions paramédicales, comme les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes, la forte croissance des effectifs ne s'est pas accompagnée d'un rééquilibrage territorial. Les syndicats de médecins ont estimé qu'un nouveau relèvement du numerus clausus conduirait au même constat s'agissant de leur profession. On peut également mentionner le fait qu'une partie des étudiants qui sortent de médecine n'exercent finalement pas la profession pour laquelle ils ont été formés.
En second lieu, les capacités de formation doivent pouvoir s'adapter, notamment pour proposer des terrains de stage à tous les étudiants.
En outre, la régulation des flux étudiants ne résout pas la question de la désaffection pour certaines spécialités comme la médecine générale. De même, l'augmentation ciblée sur certaines régions ne garantit pas que les étudiants s'installeront sur place, ni même qu'ils s'installeront, au sein de la région de leur formation, dans une zone sous-dotée.
Enfin, le numerus clausus est un instrument à relativement long terme, alors que nos difficultés les plus criantes sont à un horizon de 5-10 ans. Au-delà, l'offre de soins se redresse nettement, même si elle ne retrouve pas, pour les médecins en exercice libéral, son niveau de 2015.
Pour conclure sur ce sujet du numerus clausus, que le Président de la République a qualifié d'injuste et inefficace, nous pensons que toute une série de raisons peut plaider en faveur de son relèvement. Une approche libérale pourrait consister à laisser l'offre de médecins se réguler d'elle-même, par les revenus ou par les débouchés, ou à ne pas écarter si brutalement du métier de leurs rêves des étudiants motivés. En revanche, sauf à ce que les étudiants supplémentaires ainsi formés, incités ou contraints, aillent exercer dans une zone sous-dotée, difficile à déterminer 10 ans à l'avance, il ne nous semble pas constituer une réponse adaptée à la question qui nous intéresse aujourd'hui.