Merci madame la présidente, d'avoir organisé cette journée d'études sur la chronologie des médias. L'appui du Parlement sur ce dossier complexe, sur lequel vous savez combien les négociations sont difficiles, pourrait en effet être déterminant. Cette journée constitue une excellente initiative, à même de faire évoluer la situation. La chronologie des médias est sans nul doute un sujet aussi technique que rébarbatif ; elle est pourtant au fondement de notre modèle de financement de la création cinématographique.
L'accord professionnel actuellement applicable date de 2009. S'il a été systématiquement prorogé depuis, il n'est désormais plus adapté à un monde audiovisuel et cinématographique dans lequel Canal + ne représente plus l'acteur ultra-dominant. Le modèle économique de la chaîne souffre et ses investissements dans la création, calculés en pourcentage de son chiffre d'affaires, diminuent inexorablement. Parallèlement, l'installation sur le marché de puissantes plateformes de vidéo à la demande (VAD) par abonnement questionne la viabilité de l'actuelle chronologie. La polémique -il est vrai, enflée par le microcosme festivalier- créée par la sélection officielle, au Festival de Cannes, de deux films produits par Netflix et diffusés sur la plateforme hors de toute sortie en salles a rendu visible la fragilité de notre système face à de nouveaux modes de diffusion. Peut-on accepter que le premier festival de cinéma au monde sélectionne des films qui ne seront pas visibles sur grand écran ? Le conseil d'administration du Festival a finalement tranché : sans rien modifier à la sélection officielle de 2017, il a décidé que, pour les années à venir, aucun film ne pourra y figurer s'il n'est pas diffusé au cinéma. Cette position ne lève pour autant nullement le blocage majeur de la chronologie des médias liée au fait qu'elle ne s'enclenche que si le film sort en salles, ce qui n'est nullement obligatoire et ressort strictement du choix du producteur. De fait, les producteurs choisissent, dans 99 % des cas, une diffusion sur grand écran afin de bénéficier des retours sur recettes réalisés en salles. À ce jour toutefois, et parfaitement légalement, Netflix a pris une option différente. Cette analogie entre chronologie des médias et sortie en salles est propre à la France. Dans de nombreux pays, au contraire, la pratique du « day on date », qui consiste à ce qu'un film sorte simultanément en salles et sur une plateforme, est fréquemment utilisée.
Si les règles de la chronologie des médias sont, en application du droit européen, soumises à un accord professionnel, le premier délai de 4 mois pour la fenêtre de diffusion destinée aux salles est fixé par la loi.
Les exploitants y tiennent beaucoup. C'est un sujet d'intense débat d'autant que ce délai a déjà été réduit au fil des ans. Ce délai est-il pour autant intangible ? Beaucoup de films ne sont plus diffusés en salles quinze jours après leur sortie. Nous avions ainsi pensé que les films qui connaissent moins de 20 000 entrées en quatre semaines pourraient être rendus disponibles sur les plateformes de vidéo à la demande par abonnement au bout de trois mois. Ces films qui n'ont pas rencontré leur public représentent entre 40 et 50 % du nombre de films distribués en salles.
Au-delà de quatre mois s'ouvre la fenêtre de la vidéo à la demande à l'acte soit à la location, soit sous forme de téléchargement définitif ou Electronic Sell Through (EST). Le marché de l'EST se développe fortement aux États-Unis alors que, parallèlement, on observe une décroissance régulière du marché du DVD. On pourrait dans ces conditions imaginer d'ouvrir à trois mois la fenêtre de l'EST car ce serait créateur de valeur mais les exploitants de salles apparaissent aujourd'hui fermés à cette perspective.
La première fenêtre payante dont bénéficient aujourd'hui Canal+ et OCS intervient, compte tenu des accords de 2009, douze mois après la sortie en salles. Ce délai est ramené à dix mois en cas d'accord avec les professionnels comme c'est le cas aujourd'hui. Il existe un intense débat sur ce sujet puisque Canal+ souhaite ramener à six mois l'ouverture de cette première fenêtre payante. Un tel délai empièterait sur la fenêtre de la vidéo à la demande à l'acte mais constituerait un avantage commercial important pour les chaînes payantes. Si les exploitants de salles de cinéma ne semblent pas gênés outre mesure par cette perspective, les exploitants de services de vidéo à la demande à l'acte ne sont pas favorables à une réduction de quatre mois de cette première fenêtre payante. Pourtant, il convient de rappeler que la consommation de vidéo à la demande (VàD) se concentre sur les deux premiers mois de la fenêtre VàD pour deux tiers à trois quart des films. Par ailleurs, la fenêtre VàD est celle qui crée le moins de valeur. Il apparaît donc possible de passer à six mois pour la première fenêtre payante, pour autant que la fenêtre VàD bénéficierait d'un dégel des droits auquel Canal+ s'est toujours opposé.
La seconde fenêtre payante intervient au bout de 22 mois en cas d'accord avec les organisations professionnelles et de 24 mois dans les autres cas. Elle ne connaît pas de revendication particulière.
Après les chaînes gratuites, les services de vidéo par abonnement (SVOD) doivent attendre 36 mois pour rendre les films accessibles sur leur plateforme. Cela est difficilement acceptable pour un acteur comme Netflix qui aurait participé au financement du film. Cette situation a mis en évidence que le système n'était plus viable mais toute évolution apparaît compliquée du fait des conséquences « en tiroirs ».
Dans ces conditions, il apparaît nécessaire de revenir aux principes fondamentaux selon lesquels plus on investit dans un film plus il est logique que l'on puisse le diffuser tôt.
Ce sont des montants extrêmement importants qui sont consentis par ces entreprises parce que cela fait partie de leur modèle économique et que la diffusion de ces films leur rapporte de l'argent par le biais des abonnements et de la publicité.
On peut dire que Netflix qui va investir 2, 3, 4, 5 millions d'euros dans un film, va prendre tous les risques mais en même temps Canal+ consacre 140 millions d'euros au cinéma français tous les ans. Doit-on les traiter de la même façon ? C'est l'objet de nos débats. Nous nous efforçons de leur faire passer certains messages pour faire évoluer le système.
Nous pensons qu'aujourd'hui, il faut raisonner la chronologie des médias en prenant la situation des diffuseurs et la situation des films. Un premier critère doit être pris en compte : c'est le critère de l'investissement annuel du diffuseur dans le cinéma français. Plus on investit, plus on est avantagé !
Le deuxième point concerne les acteurs qui ont des obligations de production. Canal+ doit y consacrer 12,5 % de son chiffre d'affaires et les chaînes de télévision gratuites doivent y consacrer 3,2%, en échange d'une fréquence hertzienne. Les opérateurs de VOD, Canal Play, Netflix...n'ont aucune obligation de production ! De notre point de vue, cela doit être pris en compte.
Nous pensons enfin, qu'il ne faut pas raisonner fenêtre par fenêtre, mais film par film et regarder dans le financement du budget du film qui a mis de l'argent, quel montant, quel pourcentage du chiffre d'affaires et donc voir qui peut diffuser de façon privilégiée par rapport à un autre.
Nous pensons que le pourcentage investi par un diffuseur dans un film doit être pris en compte dans la chronologie des médias. Aujourd'hui, Canal+ et Orange peuvent diffuser à 10 mois. Nous pensons que s'ils mettent plus de 20 % dans le budget d'un film, leur fenêtre de diffusion pourrait être avancée car il est logique qu'ils puissent être avantagés.
Naturellement, s'ajoute à ces négociations des paramètres extérieurs à la chronologie des médias. Les chaînes gratuites ne sont pas demandeuses pour évoluer. Cela ne leur pose pas de soucis. En revanche, elles ne signeront un accord que s'il y a des avancées sur trois points.
Le premier point concerne la suppression des jours interdits. Aujourd'hui, on ne peut pas diffuser sur une chaîne gratuite des films, en prime time, les mercredi, vendredi et samedi. C'est une demande récurrente de M6 qui pense que cette restriction n'a plus de raison d'être. Le CNC est assez ouvert à cette revendication. Ces jours interdits sont obsolètes, les usages ayant beaucoup évolués et la fréquentation des salles bat chaque année de nouveaux records.
La deuxième revendication est un peu plus complexe. Les chaînes gratuites veulent pouvoir faire de la publicité pour les films sur leurs antennes. Un film est commercialisé par un distributeur. À la télévision, la publicité a un impact très fort. Il est probable que les télévisions concentreraient une très grosse partie du budget de promotion du film au détriment de la presse écrite, des affichages ...Le CNC est assez neutre sur cette revendication qui est très forte.
La troisième revendication, plutôt portée par TF1, concerne la possibilité d'avoir une troisième coupure de publicité pour les films qui dépassent une durée de 2h45.
Ces demandes montrent une certaine solidarité entre elles. Les deux premiers sujets sont d'ordre réglementaires et le troisième d'ordre législatif.
Le CNC est chargé des négociations sur le sujet qui nécessite un accord inter-professionnel regroupant les exploitants, les représentants de la VoD, les chaînes payantes, les chaînes gratuites, les producteurs et les distributeurs. Voilà pourquoi nous n'avons pas encore débouché sur un accord. Le consensus est extrêmement difficile à obtenir !