Intervention de Xavier Couture

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 juillet 2017 à 14h35
Chronologie des médias — Audition conjointe de représentants des télévisions gratuites

Xavier Couture, directeur général délégué, France TV :

Depuis la dernière mouture de la réglementation en vigueur, en 2009, le monde du cinéma n'a jamais été autant menacé. Lorsque j'intervenais comme consultant, j'avais coutume de dire que nous vivons dans un monde de médias, avec deux invariants, Sophocle et l'homme dans la salle, et des intermédiaires périssables entre les deux. Aujourd'hui, dans un monde de réseaux, avec une capacité gigantesque de diffusion de l'image et du son - de piratage également ! - nous avons basculé dans un monde où les intermédiaires sont de plus en plus nombreux. Sur le marché français les opérateurs de téléphonie sont devenus très importants, la concurrence est devenue très vive y compris pour les chaînes gratuites : c'est un nouveau paramètre. Car les industriels de la transmission de l'image et du son abordent la création non comme une fin mais comme un outil de valorisation de leur métier de base. Ces opérateurs se sont trouvés confrontés à d'autres, Netflix aujourd'hui, Amazon demain, qui financent la création au profit de nouvelles formes d'abonnement et de transmission à l'échelle internationale. Les diffuseurs nationaux traditionnels subissent la concurrence sauvage d'acteurs qui ont la planète entière pour terrain de jeu.

Nous sommes les principaux bailleurs de fonds du cinéma parmi les télévisions en clair : 60 millions d'euros par an, 3,5% de notre chiffre d'affaires, pour produire, en 2016, 64 films dont 19 sont des premiers ou seconds films. Nous comptons ainsi parmi les principaux producteurs d'oeuvres de nouveaux cinéastes. Nous avons remporté une Palme d'or à Cannes en 2015 pour Moi, Daniel Blake, un Grand Prix du jury, cette année, pour Cent vingt battements par minute ; nous avons distribué 507 films en 2016 : familiaux et populaires sur France 2, patrimoniaux sur France 3, plus européens et indépendants sur France 4, axés sur l'exigence et la découverte sur France 5, avec la nouvelle case confiée à Dominique Besnehard qui présente sa cinémathèque idéale.

Si vous m'autorisez ce calcul iconoclaste, sur une soixantaine de films produits chaque année, dix sont éligibles au prime time, les autres sont diffusés en deuxième voire en troisième partie de soirée ; pour une dizaine de cases en prime time, la recette est de 14 millions d'euros, et de 10 millions pour cinquante cases en deuxième et troisième parties : le retour sur investissement est de 25 millions sur 60... Bien sûr, il y les deuxièmes diffusions et d'autres éléments à prendre en compte, mais le retour sur investissement est bien inférieur à ce qu'il est sur les fictions, les magazines, l'information.

En 2005, 500 films étaient diffusés, 1 800 aujourd'hui. Durant la semaine du 19 au 25 juin par exemple, 72 films de cinéma ont été programmés sur les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT). Je remarque que TMC, C8, W9 et toutes celles qui diffusent beaucoup de cinéma n'ont investi en 2015 que 3,7 millions d'euros : elles pourraient faire mieux ! Il y a aussi des opérateurs non vertueux, les Gafa (Google, Google, Apple, Facebook, Amazon), Netflix. Je rappelle le problème apparu sur le financement, avec l'incertitude sur la taxation, entre pays d'origine ou pays de destination. J'espère, mais ce n'est pas certain, que la transcription de la directive Services de médias audiovisuels (SMA) confirmera la taxation sur le pays de destination.

On recense 13 millions de pirates en France et 2,5 milliards de vidéos consommées illégalement. Les opérateurs de télécoms ne disent pas la vérité : ils ont les moyens d'enrayer le piratage, mais ils ne veulent pas faire de peine à leurs abonnés.

On constate aussi la montée en puissance des plateformes de SVOD comme Netflix ou SFR Play. L'autorité de la concurrence a autorisé le rapprochement d'Altice et NextRadioTV au sein d'une société luxembourgeoise qui, certes, applique les directives françaises, mais pose des problèmes de concurrence à moyen et long terme.

La chronologie des médias autorise une programmation à 36 mois des films pour les plateformes de SVOD, ou vidéo à la demande sur abonnement (VàDA). Cela pose problème en cas de co-financement avec des chaînes payantes, la première diffusion en clair étant renvoyée à 28 ou 30 mois. L'ouverture de notre fenêtre est donc souvent concomitante à celle des plateformes.

Canal+ est devenue une plateforme de SVOD par abonnement : une cinquantaine de diffusions autorisées avec un rattrapage de 30 jours ! Sur Canal Play, plus de 300 films récents, dix ou douze mois, sont disponibles, ce qui est très attractif ! C'est un détournement de l'esprit de la loi.

Cela affaiblit le cinéma sur France 2 et France 3. Nos principales demandes concernent donc un rattrapage de sept jours, car le cycle de consommation est la semaine ; un dégel de la VOD locative dans la fenêtre de France TV, avec une exclusivité avant la diffusion sur nos antennes, mais pas après ; pour les films difficiles à programmer en première partie de soirée, l'ouverture des jours interdits ; la capacité de protéger les fenêtres d'exclusivité par rapport aux fenêtres SVOD, c'est une source de confusion ! La VOD payante est à quatre mois, c'est absurde, les films ont une telle rotation dans les cinémas qu'un délai de trois mois laisserait plus de chances au cinéma d'exister. Il faut, je le répète, dégeler la VOD locative à l'acte, sous réserve de respecter la fenêtre du pré-financeur (il faut une exclusivité pour la VOD payante avant la diffusion en clair). Nous sommes très favorables aux fenêtres glissantes, car il y a 260 films produits par an - beaucoup trop - et nombre d'entre eux ne sont pas financés par la pay TV. Lorsqu'un film n'est pas co-financé par une télévision payante, il est légitime que la télévision gratuite qui l'a pré-financé ait les mêmes droits de diffusion qu'une chaîne payante, à dix ou douze mois.

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