Intervention de Maxime Saada

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 juillet 2017 à 14h35
Chronologie des médias — Audition conjointe de représentants des télévisions payantes

Maxime Saada, directeur général de Canal+ :

Nous avons abordé la question sous l'angle du financement de la création et de la capacité des acteurs de la filière à soutenir le cinéma français et européen.

Il faut distinguer deux types d'acteurs. D'abord la salle, à laquelle je reste très attaché : elle fait du film ce qu'il est, c'est-à-dire un événement. De plus, la sortie en salle contribue significativement aux revenus dégagés par le film. Ensuite, la télévision payante et gratuite : Canal+, Orange, les chaînes hertziennes. Quant à la VoD, après des années d'existence, elle représente un marché très faible en France ; sa contribution au financement du cinéma français est de l'ordre de 15 millions d'euros, à comparer avec les 400 millions de Canal+, d'Orange et des chaînes gratuites. Il convient d'avoir ces données en tête lorsque l'on réfléchit à la pérennisation du financement de la création.

Canal+ a par conséquent cherché, dans ses propositions, à préserver la salle à tout prix. De notre point de vue, qui n'est pas forcément celui des exploitants, ces propositions ne pénalisent en rien l'exploitation en salle. Nous avons eu un accord de principe avec Richard Patry sur ce sujet, avant que l'intervention des grands groupes d'exploitants ne vienne le compromettre.

Il convient ensuite de faire une différence entre les acteurs vertueux et les autres. Aujourd'hui, aucun avantage particulier n'est prévu, dans la réglementation ou l'accord interprofessionnel, pour ceux qui choisissent de s'établir en France, d'y payer leurs impôts et de respecter les quotas. C'est pourquoi nous proposons la mise en place d'un mécanisme basique d'incitation.

Troisième élément que nous avons pris en compte, la situation de Canal+. Le cinéma est de loin la première motivation de l'abonnement - le football est certes un élément moteur pour nos abonnés, mais il reste la deuxième motivation : tous ceux qui aiment le sport aiment le cinéma, mais la réciproque n'est pas toujours vraie. Or ce pilier de notre activité a été affaibli par les offres linéarisées et le piratage qui, au-delà de la chronologie, est le véritable enjeu majeur. Notre image en tant que chaîne de cinéma s'est écornée, nos abonnés trouvant désormais que les films arrivent trop tard sur leur écran. Canal+ ne souhaite pas réduire son investissement dans le cinéma, en volume comme en valeur absolue - au contraire, car face aux plateformes mondialisées, le cinéma français et la fiction en général sont des éléments durables de différenciation. Nous proposons de ramener de dix à six mois le délai minimal entre la sortie en salle et la première diffusion à la télévision. Cette avancée de quatre mois serait appliquée à tous les opérateurs le long de la chaîne qui accepteraient les mêmes contreparties en matière de fiscalité et de quotas : chaînes payantes, chaînes hertziennes, VoD, SVoD - y compris Netflix, s'il se pliait à ces règles. En revanche, les acteurs non vertueux se verraient appliquer la chronologie en vigueur.

Nous avons accepté deux contreparties dans le cadre de nos discussions avec le CNC. La première est le dégel de la VoD. À sa diffusion sur Canal+, un film sort du marché de la location à la demande pendant environ un an ; d'autres fenêtres viennent ensuite s'intercaler. Les chaînes hertziennes bénéficient de la même exclusivité. J'étais d'abord opposé au dégel : la possibilité pour nos concurrents de faire la publicité d'un film que nous diffusons, accessible chez eux pour 3,99 euros, écorne sérieusement la valeur d'exclusivité pour Canal+. Mais, dans ce monde de concurrence dure, il est impossible d'obtenir des contreparties sans concessions. J'ai également été sensible aux arguments de Pascal Rogard - nous ne sommes pas toujours en désaccord - en faveur du principe de continuité d'exploitation des oeuvres. Il est regrettable, voire incompréhensible que des films sortent du marché à certaines périodes : le consommateur doit pouvoir y accéder à tout moment. C'est pourquoi, contrairement à TF1 semble-t-il, nous avons accepté le principe du dégel de la VoD sur l'ensemble de la fenêtre de Canal+, allant ainsi au-delà des demandes des opérateurs eux-mêmes qui ne souhaitaient qu'un dégel partiel.

La seconde contrepartie que nous avons acceptée est l'extension de nos engagements jusqu'à 2022 ou 2023.

En revanche, nous nous sommes opposés à la proposition, formulée par Christophe Tardieu, de fenêtres « glissantes » ou « coulissantes » permettant la diffusion par des éditeurs gratuits des films que notre chaîne n'a pas préachetés. La justification invoquée est la double pénalité que constitue l'absence de préachat et le très long délai jusqu'à la diffusion télévisée, à cause des fenêtres successives ; mais pour nous, un tel mécanisme inciterait de nombreux acteurs à préacheter des films dans le seul but de nous en priver, sachant qu'ils pourraient ensuite les diffuser dans la fenêtre de Canal+.

Nous avons besoin de simplicité : un mécanisme qui n'est pas compris par le consommateur ne bénéficie à personne. Casser la récence en nous imposant ces fenêtres, c'est annuler notre dernier avantage sur le cinéma, compromettant à terme notre capacité à financer des films.

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