Pour autant, à peine arrivés au pouvoir, François Mitterrand, Robert Badinter et moi-même avons tenu à mettre en œuvre le plus tôt possible la cinquante-troisième proposition de l’ancien candidat devenu président de la République. Le débat au Parlement fut passionné, mais le texte fut adopté, avec une majorité de voix de gauche mais aussi trente-sept voix de droite et de centre-droit, celle de Jacques Chirac notamment.
Dès lors, le mouvement était lancé et je savais qu’il serait désormais difficile de revenir en arrière, d’autant que, au niveau européen, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait adopté, le 22 avril 1980, une résolution appelant ses membres à supprimer la peine de mort, et que le Parlement européen s’était prononcé, le 18 juin 1981, en faveur de son abolition.
Je ne me trompais pas puisque, dans les années qui ont suivi ce vote historique, la France a confirmé sa position. Elle l’a fait d’abord en 1985, puis en 2002, en signant le Protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit la peine de mort en toutes circonstances, même en temps de guerre, et enfin en 2006, lorsque Jacques Chirac proposa une révision de la Constitution visant à créer un nouvel article 66-1 disposant que « nul ne peut être condamné à la peine de mort », et excluant ainsi définitivement la peine de mort du champ des débats politiques. Un an plus tard, le 19 février 2007, le Congrès réuni à Versailles approuvait cette révision constitutionnelle, et, le 1er août 2007, la France ratifiait définitivement le Protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, qu’elle avait signé en 2002.
Je suis particulièrement fier d’avoir rendu possibles ces avancées successives, toutes décisives, qui ont enfin concrétisé ce qui fut toujours l’une des grandes causes des forces progressistes françaises, même si celles-ci ne purent abolir la peine de mort ni en 1936, sous la direction de Léon Blum, car la guerre était déjà présente dans les esprits, ni à la Libération, à cause des épreuves terribles que la France venait de traverser. En 1981, il n’était que temps.
Si, en Europe, la cause est désormais entendue, puisque aucun État ne peut adhérer à l’Union européenne ni au Conseil de l’Europe si la peine de mort figure dans son arsenal judiciaire, il n’en va pas de même partout dans le monde, comme vient de le rappeler tragiquement l’exécution de Troy Davis dans l’État de Géorgie, le 21 septembre dernier. Certes, comme le constate Amnesty International, la cause de l’abolition progresse globalement, et les pays qui recourent encore à la peine capitale semblent de plus en plus isolés. En 2010, toujours selon Amnesty International, seuls vingt-trois pays ont pratiqué des exécutions. Il n’en reste pas moins que la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite, le Yémen et les États-Unis – même si seize des États qui constituent la fédération y ont renoncé – comptent parmi les pays qui font procéder au plus grand nombre d’exécutions.
Mesdames et messieurs, chers collègues, l’humanité dans son ensemble a encore un long chemin à parcourir pour en finir une fois pour toutes avec la peine de mort, qui est, selon la formule d’Albert Camus, « le plus prémédité de tous les meurtres ». C’est pourquoi je soutiens tous les mouvements, de plus en plus nombreux à travers le monde, qui luttent pour y mettre un terme. Je ne reviendrai pas ici sur les arguments, maintes fois exposés, qui militent en ce sens. Il s’agit de tirer le genre humain vers le haut en le libérant de la barbarie primitive de la loi du talion, et de faire progresser l’humanité tout entière vers une conception de la justice qui soit non pas une justice qui tue, mais une justice humaine.
En conscience, j’ai fait, avec d’autres, le choix de l’abolition et donc celui de la civilisation. J’espère, pour l’avenir des générations futures et la grandeur de l’humanité, en laquelle j’ai toujours cru, qu’il sera bientôt celui de toutes les femmes et de tous les hommes.