Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de regretter l’absence, pour cause de maladie, de Guy Fischer aujourd'hui ; nous en sommes très affectés dans notre groupe.
Personnellement, pour ce trentième anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France, j’aurais souhaité pouvoir éprouver plus de bonheur.
Mais, le 21 septembre, à vingt-trois heures huit, heure locale, aux États-Unis, pris dans un terrible piège judiciaire, Troy Davis, dont la culpabilité était plus que douteuse, a été exécuté par injection létale. Emprisonné durant vingt-deux ans, dont vingt dans le couloir de la mort en Géorgie, il n’aura cessé jusqu’à l’ultime seconde de clamer son innocence et d’exiger la justice et la vérité.
En Iran, ce même 21 septembre, au matin, Alizera Molla-Soltani est mort, pendu à une grue en public. Il n’avait que dix-sept ans.
Ce trentième anniversaire coïncide aussi de peu avec la condamnation à mort et l’incarcération de Mumia Abu-Jamal, figure emblématique du combat contre la peine de mort, victime lui aussi d’une machine judiciaire impitoyable dans une vieille démocratie qui ne se prive pourtant pas de donner des leçons au monde entier. Je lui ai rendu visite deux fois dans le couloir de la mort de la prison de Waynesburg, en Pennsylvanie : je peux vous assurer que c’est un moment d’émotion intense.
En France, le gouvernement de la gauche en 1981 a été courageux, et je salue ici l’implication personnelle du président Robert Badinter, alors garde des sceaux, dont le nom est attaché à l’abolition de la peine de mort, votée alors qu’à l’époque l’opinion publique y était majoritairement opposée.
Depuis lors, le débat public a permis de faire triompher l’idée, profondément progressiste et humaniste, selon laquelle aucune personne ne peut être légalement privée de la vie, l’idée qu’aucune indignité ne peut être considérée comme définitive, la conviction qu’en tout état de cause la mort d’un être humain ne peut répondre à la mort d’un autre être humain.
Aujourd’hui, la majorité de l’opinion est, semble-t-il, opposée à la peine de mort.
Je veux rappeler ici l’engagement contre la peine capitale des parlementaires communistes, tout particulièrement de mon regretté ami Charles Lederman, et les propositions de loi pour l’abolition qu’ils ont déposées en 1973 et en 1979.
Le chemin fut long, en France, pour parvenir à la suppression de la peine de mort. Pourtant, dans ce pays qui se prévaut des droits de l’homme, des voix s’élevaient depuis longtemps en faveur de l’abolition. Venues du siècle des Lumières, ce sont celles de Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, en 1791, de Victor Hugo, qui a siégé dans cet hémicycle, de Jean Jaurès... d’autres encore. Ce sont celles aussi des nombreux parlementaires qui, depuis l’avènement de la République, ont déposé des propositions de loi.
Pourtant, la France ne fut que le trente-cinquième pays à faire le choix de l’abolition, une majorité de parlementaires s’étant auparavant toujours opposée à celle-ci.
En 1981 même, d’aucuns considéraient que cette réforme, adoptée au Sénat par 160 voix contre 126, pouvait attendre…
Ne nous y trompons pas : des nostalgiques de la peine de mort continuent encore de se manifester.
Depuis 1981, on compte une trentaine de propositions de loi, émanant de quelques poignées d’élus, pour la rétablir.
Ainsi, à l’Assemblée nationale, en 2004, quarante-sept députés UMP présentaient une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort pour les auteurs d’actes de terrorisme.
En 2006, quarante-neuf sénatrices et sénateurs déposaient une proposition de loi visant à porter à trente ans la période de sûreté dans les cas de condamnations pour les crimes les plus odieux, proposition dont l’exposé des motifs constituait un véritable plaidoyer pour le rétablissement de la peine de mort, ses auteurs allant jusqu’à affirmer que « l’abolition de la peine de mort [avait] été décidée à l’automne 1981 dans l’euphorie d’un état de grâce qui, sans aucun doute, péchait par excès d’optimisme ou par sensibilité à sens unique ».
Aujourd’hui, Marine Le Pen propose un référendum pour rétablir la peine capitale !
Nous savons tous que, toujours, l’instrumentalisation des peurs et des désordres de la société est pain béni pour tous ceux qui ne renoncent pas à la loi du talion.
Mes chers collègues, le respect des droits, le respect de la justice, la lutte contre la barbarie sont des combats auxquels il ne faut jamais renoncer.
C’est dans cet esprit que j’ai moi-même défendu, au nom de mon groupe, une proposition de loi tendant à créer une journée nationale pour l’abolition universelle de la peine de mort, qui se voulait une forme de reconnaissance à l’égard de tous ceux qui se battent dans le monde entier contre ce châtiment indigne, quelquefois avec beaucoup de difficultés. Ce texte fut adopté à la quasi-unanimité de notre assemblée le 12 février 2002. Je regrette qu’il n’ait jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Néanmoins, nous nous sommes réjouis de l’inscription de l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution par le Congrès du Parlement, le 19 février 2007. Bien plus qu’un symbole, elle rend l’abolition de la peine capitale irréversible en France ; elle ferme définitivement la porte au rétablissement de la peine de mort, quelles que soient les circonstances. Et elle donne un signe au monde : celui de la nécessité que soit partout abolie cette sentence atroce.
Cette évolution est conforme à la progression de la reconnaissance des droits humains à l’échelle européenne. L’abolition de la peine de mort fait partie du socle commun des pays européens.
Aujourd’hui, s’il est patent que cette sentence inhumaine recule dans le monde, il est tout aussi patent que le chemin est encore long vers l’abolition universelle. Mais cette dernière, j’en suis convaincue, sera inéluctable.
D’ailleurs, par trois fois ces dernières années, une majorité de pays à l’Assemblée générale des Nations unies s’est dégagée en faveur d’un moratoire universel sur l’application de la peine de mort. C’est un soutien fort à la tendance historique vers l’abolition de la peine capitale dans le monde.
De 35 États en 1981, nous sommes passés à 138 États ayant aboli la peine de mort en droit ou ne la pratiquant plus en fait. C’est bien le signe que les idées progressent.
Il faut mettre cette évolution au crédit des mobilisations militantes, associatives, partout dans le monde. De ce point de vue, les efforts de la Coalition mondiale contre la peine de mort que rallie un nombre croissant d’organisations abolitionnistes méritent d’être soulignés. Je salue à ce titre la présence dans ces tribunes de nombre de représentants de ces instances en France.
Cette évolution vient aussi de la prise de conscience par des États que le crime – même légalisé – ne peut pas être la réponse au crime. Elle résulte encore, comme dans les trois États américains que sont le New Jersey, le Nouveau Mexique et l’Illinois, de la crainte que soient commises des erreurs irréparables. Rappelons que, aux États-Unis, depuis 1977, 138 exécutés ont été par la suite innocentés.
Mais soyons lucides. Des pays très importants maintiennent la peine de mort dans leur législation et continuent de pratiquer l’assassinat légal : la Chine, l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Pakistan, le Japon, les États-Unis, etc. Les autorités chinoises et américaines que j’ai eu l’occasion de rencontrer invoquent les mêmes raisons : leurs opinions publiques y sont favorables !
Des femmes et des hommes sont exécutés pour leurs opinions. Neuf pays exécutent encore des homosexuels. Des femmes sont mises à mort par lapidation après avoir été violées. En 2010, des mineurs ont été condamnés à mort dans six États.
Les chiffres sont toujours approximatifs, mais on peut penser que 20 000 personnes attendent leur exécution dans les couloirs de la mort.
En 2010, au moins 23 États ont procédé à des exécutions et au moins 527 personnes ont été tuées par leur pays, sans parler de la Chine où leur nombre est probablement effrayant.
Pour notre part, nous sommes partout solidaires des voix, aussi timides soient-elles parfois, qui combattent la peine capitale, que ce soit en Chine, en Arabie Saoudite, aux États-Unis, en Iran, au Pakistan, au Japon ou ailleurs.
Chaque personne exécutée est la victime d’un assassinat légal, d’un crime d’État, la victime d’une vengeance collective de la société. Cette justice qui use du crime contre le crime n’est pas la justice. Toute société doit être contre le crime en toutes circonstances. La société des hommes ne peut s’arroger le droit de tuer un homme.
J’en viens à la prétendue « irrécupérabilité » de certains criminels. En réalité, seule la mort est irrécupérable. Permettez-moi de citer ici Jean Jaurès : « Si déchu, si flétri soit-il, il n’est pas un seul individu qui ne soit susceptible de relèvement. »
Pour les élus de mon groupe, le combat pour l’abolition de la peine de mort est constitutif de tout engagement pour la libération des êtres humains de la barbarie et de toutes les formes d’oppression. Et c’est d’ailleurs des périodes parmi les plus sombres de l’histoire que nombre d’abolitionnistes tirent leur conviction.
Alors oui, mes chers collègues, le vote de notre assemblée, le 30 septembre 1981, sous l’impulsion du gouvernement d’union de la gauche et de Robert Badinter, était une décision de justice et de progrès humain.
Aujourd'hui, le chantier reste immense et les reculs demeurent possibles. Il nous faut donc nous mobiliser encore et encore pour que ce châtiment barbare, méprisable qu’est la peine de mort soit vaincu partout et de façon définitive.
Laissez-moi citer les mots qu’a prononcés Troy Davis la veille de sa mort : « Le combat pour la justice ne s’arrête pas avec moi. Ce combat est pour tous les Troy Davis avant moi et tous ceux qui viendront après moi. »
Parmi tous ces Troy Davis, on compte notamment Hank Skinner, dont l’exécution, une première fois repoussée, a été fixée au 9 novembre prochain et qui demande un test ADN afin de prouver une innocence qu’il a toujours clamée.
Pour finir, mes chers collègues, permettez-moi de souhaiter que ce jour de commémoration soit aussi le symbole de l’engagement résolu de la France pour que devienne effectif le moratoire universel sur l’application de la peine de mort appelé par une majorité de pays à l’ONU.