Intervention de Élisabeth Lamure

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 20 juillet 2017 à 10h00
Communication de mme élisabeth lamure dans la perspective de l'examen au sénat du projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure, présidente :

Nous allons examiner dès la semaine prochaine, en séance publique, le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. Ce texte vise à autoriser le Gouvernement à modifier par ordonnances plusieurs pans du code du travail, qui concernent à la fois l'articulation entre accord de branche et accord d'entreprise, la refonte des institutions représentatives du personnel ou les règles régissant la relation de travail dans une optique de rationalisation et de sécurisation. Son article 9 traite d'un sujet bien différent, puisqu'il autorise le Gouvernement à décaler d'un an l'entrée en vigueur du prélèvement à la source.

L'examen de ce texte est un exercice assez particulier puisque notre droit d'amendement est limité. En effet, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel a progressivement précisé les limites du droit d'amendement dans le cadre du recours à l'article 38 de la constitution, en indiquant que le champ de l'habilitation ne peut être étendu par voie d'amendement d'origine parlementaire. Nous pouvons donc au mieux proposer d'apporter des éléments de précision ou supprimer certaines dispositions. L'exercice est également particulier dans la mesure où les formules retenues dans les diverses dispositions sont parfois très floues et ne permettent pas d'arrêter une position très claire. Entre l'objectif énoncé et la modification réelle du droit du travail par ordonnance, il peut exister de nombreuses interprétations, dont nous ne verrons que le résultat final, une fois les ordonnances prises, et une fois la concertation avec les partenaires sociaux achevée.

C'est donc dans ce cadre un peu particulier que je voulais partager avec vous plusieurs observations. Je commencerai par les bonnes surprises, puisque nous retrouvons dans le texte présenté par le Gouvernement, puis adopté à l'Assemblée, certaines de nos propositions. Je rappelle que bon nombre d'entre elles figuraient dans le rapport que nous avons adopté suite au travail de notre collègue Annick Billon. Elles avaient été adoptées par le Sénat lors de l'examen du projet de loi dit « Travail ». Nous pouvons donc nous réjouir d'avoir été entendus sur plusieurs sujets :

- Je pense par exemple à la prise en compte de la situation des plus petites entreprises lors de l'extension des accords de branche. Nous avions, en effet, fait adopter un amendement prévoyant systématiquement des adaptations pour elles dans les accords de branche. Le dispositif retenu dans le présent projet de loi reprend la même logique et prévoit de définir les conditions dans lesquelles les stipulations d'un accord de branche sont adaptées ou ne sont pas appliquées dans les petites entreprises, afin de tenir compte de leurs contraintes particulières.

- Une autre de nos idées reprises ici concerne la possibilité, pour le juge, de moduler les effets de sa décision dans le temps. Certes, l'habilitation limite cette possibilité au contentieux relatif aux accords collectifs, mais c'est une avancée réelle dont nous pouvons nous féliciter car elle pourra limiter l'insécurité juridique des entreprises. Je rappelle que les revirements de jurisprudence et la rétroactivité des décisions peuvent entraîner des conséquences lourdes. Ainsi l'annulation, en 2013, de l'accord SYNTEC sur le forfait-jours a permis à 544 000 cadres de prétendre à une revalorisation de leur rémunération. Je souhaiterais d'ailleurs vous proposer un amendement afin de préciser, comme nous l'avions fait au Sénat, que cette modulation s'effectue « en vertu du principe de sécurité juridique, en tenant compte des conséquences économiques ou financières sur les entreprises ». En effet, l'annulation des accords, déstabilisante pour les entreprises, a toujours pris en compte les droits des salariés mais jamais l'impact économique sur l'entreprise. La consécration de la modulation dans le temps a donc pour objectif d'éviter des situations financièrement dramatiques qui dégradent la trésorerie, dissuadent toute embauche, et finalement se retournent contre l'ensemble des salariés. Il apparaît utile de le préciser pour éviter une disposition vidée de sens.

- La sécurisation du licenciement, que nous réclamions, se retrouve à l'article 3 : cet article instaure un référentiel obligatoire pour définir les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Des objectifs de simplification sont également poursuivis dans ce projet de loi. Ainsi l'accord collectif devrait pouvoir déterminer la périodicité et le contenu des consultations obligatoires. Je vous proposerai un amendement précisant que cette faculté s'inscrit dans un objectif de rationalisation, qui doit être le seul cap à retenir dans un tel cadre.

- La simplification est aussi celle du compte pénibilité, que nous ne cessons de réclamer depuis la création de la délégation. L'article 5 reste flou mais le Premier ministre a présenté les grandes lignes de la réforme. Retenons que le suivi individualisé des quatre critères les plus difficiles à mesurer (manutention manuelle de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux) n'aurait plus à être réalisé par l'employeur. Espérons toutefois que l'ordonnance n'ait pas pour effet de rendre encore plus complexe la gestion du compte pénibilité.

Pour ce qui concerne le dialogue social, nous avons des motifs de nous réjouir mais également des raisons de nous inquiéter. L'article 1er prévoit des mesures facilitant à la fois la conclusion d'un accord en cas d'absence de délégués syndicaux et le recours à la consultation des salariés pour valider un accord. L'article 2 quant à lui vise à fusionner en une seule instance les délégués du personnel, le comité d'entreprise et le CHSCT. Il prévoit également de définir les conditions dans lesquelles cette instance pourra exercer les compétences en matière de négociation. Ces mesures vont dans le bon sens évidemment, mais elles soulèvent des questions fondamentales, auxquelles nos collègues de la commission des affaires sociales ont tenté de répondre en partie en adoptant certains amendements.

Premièrement, il n'est pas clairement mis fin à la règle extrêmement complexe du mandatement qui est aujourd'hui en vigueur en l'absence d'un délégué syndical. La commission des affaires sociales a d'ailleurs adopté un amendement précisant que dans les entreprises de moins de 50 salariés concernées, l'employeur peut conclure des accords directement avec les représentants élus du personnel ou, en leur absence, avec le personnel. La commission a également précisé utilement que le referendum d'entreprise peut être organisé à l'initiative de l'employeur.

Quant à la fusion des instances représentatives en une structure unique, elle soulève plusieurs interrogations dont celle du rôle des syndicats et de leur monopole de négociation, et celle des seuils sociaux.

Le texte du projet de loi ne précise pas la place des délégués syndicaux par rapport à l'instance unique : Pourquoi ne pas aller plus loin dans la réforme en les intégrant clairement ? Pourquoi ne pas pousser plus loin la logique du dialogue direct en mettant explicitement fin au monopole des délégués syndicaux en matière de négociation des accords ? Il est évident que la formulation du texte proposée par le Gouvernement risque de ne jamais aboutir à la révolution attendue, si la capacité à négocier de l'instance unique n'est pas systématique.

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