Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour moi d'être reçu par votre commission, à l'approche du possible renouvellement de mon mandat de directeur général de l'ANSM, pour une deuxième et dernière période de trois ans, comme cela est prévu par la loi.
L'audition par le Parlement du candidat pressenti à la fonction de directeur général par le Gouvernement s'inscrit pleinement dans les principes de transparence déterminés par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Ces principes visent à assurer l'inscription de cet établissement dans son environnement politique et social. C'est d'autant plus important que l'ANSM est dotée d'une capacité d'expertise et est amenée à prendre quotidiennement des décisions qui influent fortement sur la pratique des soins et, au-delà, sur le champ de la santé publique.
Je vous propose d'aller à l'essentiel, afin de laisser place à la discussion. Je sais d'expérience que les matières très techniques dont traite l'ANSM ne sont jamais mieux éclairées que par les échanges portant sur des situations concrètes. Je vais par conséquent développer principalement trois thèmes : l'identité de l'agence, ses enjeux, et les engagements que je souhaite formuler pour y répondre.
En 1993 était créée l'Agence du médicament, première agence sanitaire, autonome dans sa gestion comme dans ses décisions.
La loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme a créé l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'Afssaps, dotée de compétences nouvelles, notamment dans le vaste champ des dispositifs médicaux.
Enfin, l'ANSM fut créée en 2012 à la suite d'un processus dense, initié en 2010 à la suite de la crise du Mediator. Les Assises du médicament, qui ont réuni des centaines d'acteurs dans un débat riche et ouvert, ont permis une réflexion partagée et approfondie sur la place du médicament et des dispositifs médicaux dans nos politiques de santé publique. Elles ont ouvert les pistes qui gouvernent aujourd'hui l'établissement.
La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a d'abord confirmé la nécessité de maintenir une grande agence responsable de la sécurité des produits de santé. Or ceci, au décours de la crise du Mediator, n'était en rien une évidence.
La loi a également étendu ses compétences, en la dotant, notamment en matière de surveillance, de nouveaux outils, tels que la pharmacoépidémiologie, permettant de renforcer ses actions.
Elle a aussi posé les bases d'une importante réforme de la gouvernance en introduisant, au titre de la mise en oeuvre de principes de déontologie renforcés, plus d'indépendance et de transparence dans la gestion.
Elle a enfin conduit l'établissement à refondre en profondeur son organisation, afin de décloisonner les processus de décisions.
Aujourd'hui, les presque 1 000 collaborateurs de l'établissement public exercent des missions qui couvrent l'ensemble des produits de santé : les médicaments, chimiques et biologiques, anciens comme expérimentaux, curatifs ou préventifs comme les vaccins, soit plus de 10 000 spécialités au total ; les centaines de milliers de dispositifs médicaux qui vont des lunettes aux pansements, en passant par les dispositifs implantables les plus sophistiqués, les logiciels ou les appareils de radiologie ; les produits sanguins labiles et les greffes ; enfin, dans un registre un peu différent, mais qui montre bien l'ampleur du champ couvert, les plantes, les cosmétiques et les produits de tatouage.
L'agence, qui s'appuie sur son expertise interne, comme sur des experts externes, dans un cadre déontologique strictement défini et totalement transparent, exerce de multiples missions : d'autorisation, de surveillance, d'inspection - avec près de 700 inspections par an, dont 12 % inopinées et près de 10 % hors Europe - et de contrôle, dans ses propres laboratoires.
L'Agence dispose de pouvoirs de police sanitaire en propre lui permettant, si nécessaire, de modifier, de suspendre ou d'interdire des activités, des productions ou des autorisations de commercialisation. Elle peut également prendre des sanctions financières à l'encontre des entreprises en cas de non-respect de la réglementation.
Au total, ce sont plusieurs milliers d'actes réglementaires qui sont pris chaque année.
Enfin, l'agence est pleinement inscrite dans son environnement européen. Elle participe au quotidien au fonctionnement de l'Agence européenne du médicament, l'AEM, et à la mise en oeuvre des règlements européens dans les domaines du médicament, des dispositifs médicaux et des cosmétiques.
Cette dimension européenne a pris une place considérable en matière de produits de santé : les procédures sont chaque jour plus partagées, les autorisations des médicaments innovants sont obligatoirement centralisées, la surveillance des produits est coordonnée par l'Agence européenne, les règles sont généralement applicables sur tout le territoire de l'Union, les outils informatiques sont de plus en plus interconnectés et les échanges entre les équipes et les experts sont permanents. Il est ici essentiel de préciser que l'activité au sein de l'Agence européenne n'est pas celle d'une structure supranationale, mais qu'elle fait appel aux experts nationaux, qui construisent ensemble les évaluations et décident des mesures de renforcement de la surveillance.
Sur ces bases à la fois profondément rénovées par la loi de 2011 et pleinement inscrites dans le fonctionnement de l'Union européenne, l'agence s'est engagée dans la définition et le déploiement de priorités stratégiques, qui constituent ses fondamentaux pour les années en cours et définissent ses enjeux.
La sécurité des patients est au coeur de notre attention et de notre stratégie. Le retour d'expérience conduit sans conteste à faire de la sécurité, et donc de la sécurité des patients, la priorité absolue. Celle-ci n'est jamais définitivement acquise dans un environnement particulièrement complexe, qui fait intervenir de nombreux acteurs et un nombre incalculable de produits de santé. Il nous faut pour cela poursuivre ce que nous appelons la sécurisation des processus de surveillance. Cette procédure a pour objectif l'identification des risques à partir des nombreuses sources de signaux. Elle doit également permettre une traçabilité sans faille des processus de traitement, une sécurisation des décisions prises et un développement des mesures d'impact.
J'ai par ailleurs décidé la création, directement à mes côtés, au sein de la direction générale, d'un centre d'appui et de gestion des risques et des urgences, qui sera opérationnel en septembre et viendra compléter et renforcer le dispositif en assurant un pilotage et une coordination serrée des politiques de réduction du risque.
Il nous faut aussi favoriser un accès rapide, encadré et large à l'ensemble des produits de santé. Le droit français permet de disposer d'un arsenal juridique unique pour favoriser et encadrer l'accès aux innovations. Ce sont en particulier les autorisations temporaires d'utilisation, les ATU, qu'elles soient individuelles ou collectives, ou encore les recommandations temporaires d'utilisation, les RTU, qui sont de véritables innovations législatives souvent citées en exemple par nos collègues européens.
C'est à l'échelon de l'Europe, encore une fois, que s'évaluent les nouveaux médicaments, notamment dans les groupes scientifiques multinationaux. C'est particulièrement le cas dans le domaine de la cancérologie, dans celui des antiviraux ou encore des vaccins. Cette activité européenne constitue un enjeu primordial, qui fait aujourd'hui l'objet de discussions serrées avec les tutelles sur la question des moyens que nous sommes en capacité d'y consacrer. Dans le domaine du médicament, l'Europe est l'acteur de l'avenir. Le rôle des États membres n'est certainement pas de l'ignorer, bien au contraire. Il nous faut nous organiser pour être présents au coeur de ce processus, qui n'existe que par l'action même des agences nationales. L'influence de la France est aujourd'hui clairement insuffisante, tant au regard de ses ambitions que pour faire face aux secousses à venir, notamment lors de la mise en oeuvre concrète du Brexit.
Il en est de même des essais cliniques, indispensables au développement de nouvelles molécules. Nous autorisons chaque année environ 1 700 essais cliniques, dont plus de 700 pour les seuls médicaments. La France dispose d'un tissu universitaire, hospitalier et industriel de premier ordre. Un des enjeux de l'agence sera, dans les toutes prochaines années, d'être en capacité d'accompagner la mise en oeuvre du nouveau règlement européen en matière d'essais cliniques, par une politique d'autorisation efficace, à la fois sûre et agile.
Mais on ne peut traiter de la question de l'accès au médicament sans évoquer le problème majeur et croissant des ruptures de stock - possiblement en lien avec l'évolution des circuits de production, à la fois plus globalisés et en flux tendus. L'Agence doit déployer des moyens de plus en plus importants pour tenter de prévenir et traiter les ruptures touchant les produits d'intérêt thérapeutique majeur comme les anticancéreux, les antibiotiques ou encore les vaccins. Je considère cette évolution comme très préoccupante. La loi du 26 janvier 2016 a prévu des dispositions plus contraignantes pour les industriels, qui doivent disposer d'un plan de prévention et de gestion des pénuries, et qui, en cas de défaillance, peuvent faire l'objet de sanctions financières. Si cette loi était indispensable pour sécuriser l'approvisionnement, elle ne réglera cependant pas tous les problèmes.
Il nous faut également poursuivre la consolidation de nos liens avec les parties prenantes - associations de patients, professionnels de santé et industriels - et améliorer leur implication. Il s'agit tout d'abord développer qualitativement et quantitativement nos liens avec les associations, que nous devons associer davantage aux processus de décisions. La création récente de France Associations Santé constitue une chance que nous devons saisir.
Mais il est tout aussi essentiel de renforcer, pour que nos messages soient compris et mis en oeuvre, notre capacité à être entendus par les praticiens. Beaucoup reste à faire sur ce terrain. Ainsi, la notoriété de l'ANSM auprès des généralistes est faible : 50 % d'entre eux seulement la connaissent, ce qui est inacceptable. C'est pourquoi nous devons radicalement changer notre manière de faire avec ces professionnels. Nous avons depuis un an créé et développé un lien étroit avec le Collège de la médecine générale, à qui je veux ici rendre hommage. Nous entretenons aujourd'hui avec lui un partenariat que je juge exemplaire. Nous avons trouvé un interlocuteur attentif, constructif, crédible et exigeant. Si beaucoup de chemin reste à faire, je considère cependant que nous sommes sur la bonne voie et je suis optimiste sur notre avenir commun au service et au bénéfice des patients.
Les relations avec les industriels, qui sont indispensables du point de vue du service public qu'est l'agence, se sont également fortement structurées dans un cadre déontologique clair, transparent et accepté par les parties.
Dernier enjeu, plus interne à l'établissement, nous avons et devons encore renforcer l'efficience et moderniser le fonctionnement de l'agence. Pour cela, j'ai souhaité mettre en place un important programme de transformation, qui couvre l'ensemble des activités et des missions de l'agence. De nombreuses actions ont été engagées. Certains projets sont terminés ; d'autres en cours de déploiement ou de renforcement. Cependant, compte tenu de l'ampleur des sujets, de leur complexité et de la nécessité d'accompagner ces transformations par une politique de renforcement du dialogue social et d'accompagnement au changement, beaucoup reste à mettre en oeuvre pour arriver à une situation satisfaisante.
La pleine mise en oeuvre de ces orientations cardinales suppose que soient conduites des évolutions portées par une culture de la transformation, qui soit à la fois voulue, comprise et partagée. Transformer n'est pas une fin en soi. Cependant, se transformer est indispensable pour assurer la capacité de l'agence à développer ses missions dans le temps, en ajustant au mieux la culture de l'établissement, son organisation et ses processus d'instruction et de décision aux enjeux, ainsi qu'aux contraintes, notamment budgétaires, auxquelles, comme tout opérateur, elle doit faire face.
C'est ce projet que je conduis, depuis maintenant près de trois ans, pour l'établissement, et dans le prolongement des évolutions engagées depuis la loi de 2011. Il s'appuie sur trois engagements, qui guident mon action au quotidien et organisent les actions, notamment dans le cadre de projets prioritaires, dans chacun des services de la maison.
Le premier de ces engagements vise à concilier santé publique et service public. Ces deux notions, au coeur de l'action de l'établissement public qu'est l'ANSM, ne sont pas opposées ; elles sont, bien au contraire, étroitement solidaires. Si la sécurité du patient doit être la cible de toutes nos actions dans le cadre d'une politique de surveillance en constant renforcement, il nous faut aussi, et tout autant, assurer un service public de qualité, fiable et inscrit dans la continuité, auprès de l'ensemble de nos usagers, qu'ils soient patients, professionnels de santé ou industriels des produits de santé. Concilier ces exigences, c'est donner du sens à la politique publique que nous mettons en oeuvre et en assurer la pérennité au nom de l'intérêt général.
Je considère également indispensable de conjuguer performance et qualité de vie au travail dans un projet collectif. La performance de l'établissement, c'est-à-dire sa capacité à remplir les missions pour lesquelles il a été créé, avec efficacité et efficience, doit être un objectif partagé. Pour être à même d'atteindre cet objectif, j'ai souhaité engager l'établissement dans un travail visant à structurer les activités, notamment pour assurer une meilleure lisibilité de nos actions et de nos choix prioritaires par les pouvoirs publics, le Parlement et, plus largement, les usagers du système de santé. En interne, cette meilleure lisibilité doit aussi redonner de la confiance aux collaborateurs, dont la compétence reconnue constitue la force principale de l'établissement, en assurant à chacun une place claire dans un projet commun.
Enfin, et c'est un engagement que je considère comme essentiel dans un contexte de forte exposition, il nous faut affirmer notre volonté d'ouverture et de transparence, et en faire un axe majeur de progrès. Les points de vue des acteurs du système de santé, comme ceux des usagers, doivent être mieux pris en compte dans les processus d'expertise et de décision. J'ai souhaité engager l'agence dans un projet de développement du partage des connaissances avec l'ensemble des parties prenantes, en déployant une politique de communication institutionnelle volontariste et tournée vers l'action.
Concilier sécurité des patients et service public, conjuguer performance et qualité de vie au travail, affirmer une volonté de transparence et de partage des informations, forment le triptyque du projet de transformation que je souhaite poursuivre avec l'ensemble des collaborateurs de l'ANSM au cours de ces trois prochaines années, avec une seule ambition : être au service de la santé de nos concitoyens