La particularité des États-Unis, c'est que la conquête de l'espace fait partie de l'histoire américaine. C'est la conquête d'une frontière de plus. Il y a un patriotisme qui pousse à planter des drapeaux américains partout. Il y a aussi des magasins, ce qui peut vous paraître trivial, où vous pouvez acheter des pyjamas NASA, des tee-shirts NASA... À la Cité des sciences il y a encore peu, la seule chose que l'on pouvait acheter concernait la NASA. Rien du CNES, rien concernant Ariane. Je l'ai dit à Jean-Yves Le Gall : à quand un pyjama rose CNES pour mes petites-filles ? La culture, ça se transmet aussi par ce qu'on appelle les produits dérivés (goodies). Le seul endroit où l'on vende quelques articles de ce genre, c'est à la Cité de l'Espace à Toulouse. Mais aux États-Unis, il y a en permanence l'installation, le magasin, le drapeau, plus le fait que ça fait partie de l'histoire du pays. Je ne dis pas qu'il faut « copier » mais je pense qu'il y a des choses à faire. Certaines associations lancent des initiatives, comme Planète, le CNES, etc. Mais il faudrait une éducation à l'histoire des sciences, dès la maternelle, dans laquelle le spatial, qui est notre secteur d'excellence, aurait toute sa place.
Par ailleurs, ce qui attire maintenant les jeunes, c'est le numérique, le fait de s'ouvrir à ces cultures nouvelles. Airbus demeure l'une des entreprises les plus prisées par les jeunes ingénieurs.
Concernant les effets de mode, ce n'est pas un hasard si les images sont nées à Montpellier où il y avait un laboratoire. Maintenant, on va aussi faire du nano-satellite à Grenoble et à Toulouse, trois centres universitaires vont travailler en réseau de manière complémentaire.
Concernant la rivalité, la compétition pénalise les sous-traitants en aval, mais également la recherche et le développement. Il faut mutualiser nos investissements entre le CNES et les industriels. Je ne suis pas du tout en phase avec le CGI qui a décidé de ne plus du tout donner d'indications sectorielles pour ses investissements dans le pays. Cela veut dire que l'aéronautique et le spatial ne sont plus mentionnés dans le PIA 3. L'idée, c'est qu'« ils ont déjà été servis », mais les « champions » industriels nationaux, il faut les suivre tout le temps. Sinon, on perd du terrain. Donc je pense qu'il y a une incompréhension. Pendant cette période, il n'y a pas eu de débat parlementaire là-dessus, en particulier à l'OPECST, et au bout d'un moment, l'Agence spatiale, comme toutes les agences, devient un corps étranger au reste, qui décide seul. Je pose une question sur la légitimité démocratique. C'est un vrai sujet. Les priorités politiques doivent être au moins validées par les politiques, or l'agence relève du Premier ministre. C'est vrai que dans cette période, il y a peut-être d'autres priorités, mais je pense qu'il y a une dérive. Et ça va être pareil pour la microélectronique. On parlait des composants critiques, les composants « durcis », ceux que l'on utilise pour le nucléaire, pour l'aérospatiale et qui sont dans le Rafale, fourni par STMicroelectronics. Or cela fait deux ans que l'on n'arrive pas à infléchir la gouvernance de cette entreprise de droit hollandais, dont la France et l'Italie détiennent pourtant 27 % du capital. Il est très difficile d'y mettre en place une gouvernance qui se projette dans l'avenir, dont la vision ne soit pas à court terme et purement financière. Mais STMicroelectronics dispose d'une expertise formidable et vient de décrocher un contrat avec SpaceX et Apple. Les Américains reconnaissent sa compétence technologique. Donc, la vigilance sur les composants critiques fait partie des enjeux de souveraineté. Si les Américains estiment que ce sont des composants stratégiques, ils peuvent refuser de les fournir.
Concernant les télécoms et la constellation de satellites pour l'accès à internet, le corps des X-Télécom est effectivement très présent. Il a convaincu l'ensemble des conseillers départementaux au Sénat qu'on allait mettre la fibre optique partout, dans tous les territoires, y compris les territoires de montagne. Pour avoir travaillé sur le sujet, je peux vous dire que c'est impossible car on ne dispose pas des 200 milliards d'euros nécessaires. Il faut accepter un panachage des solutions. Je l'ai déjà dit : le lobbying des ingénieurs X-Télécoms est extrêmement puissant en France.
Au Sénat, les présidents de conseils départementaux pensent qu'il faut fournir la même offre, de même qualité, sur tout le territoire, sous peine de faire face à de grands mécontentements. Mais il ne sera pas possible d'avoir la fibre dans les territoires les plus éloignés.