Les États-Unis ne sont pas signataires de la convention multilatérale. Je souligne que cette décision a été prise par l'administration Obama, et n'a pas été remise en cause par l'administration Trump. Cela remet-il en cause la portée de cet accord ? Non, car les États-Unis, à la différence de la France, ont un réseau conventionnel robuste et par construction protégé du treaty shopping.
En effet, toutes leurs conventions fiscales bilatérales incluent des stipulations de limitation of benefits, ou limitation des avantages, permettant d'éviter les abus. Le fait que les États-Unis signent ou non cet instrument ne change rien à cet égard : ils n'ont pas besoin de le signer pour satisfaire aux standards minimum. Et en ne le signant pas, ils ne fragilisent pas les conventions fiscales des autres pays.
Par ailleurs, à la différence de la France, les États-Unis n'ont pas conclu de convention avec des juridictions très attractives n'ayant pas de fiscalité. La France a, quant à elle, conclu des conventions fiscales avec les pays du Golfe. Ces conventions fiscales ont été conclues pour de nombreuses raisons, mais certainement pas à des fins d'élimination des doubles impositions, puisqu'il ne peut y avoir de double imposition dans ce cas précis. Or le fait qu'un État dispose d'une convention fiscale avec un autre État qui ne taxe pas constitue en soi une incitation à l'évasion fiscale. Il fallait donc « réparer » ce type de conventions, que les États-Unis ne connaissent pas.
Il est vrai, toutefois, que les États-Unis auraient pu jouer un rôle utile dans la modification de la définition de l'établissement stable, notamment pour lutter contre les montages caractéristiques des entreprises de l'économie numérique, qui peuvent être très présentes dans un État au plan commercial, sans réelle présence physique. Néanmoins, dans les schémas les plus connus, la question de la définition de l'établissement stable ne se pose pas entre la France et les États-Unis, mais plutôt entre la France et un autre État européen qui vient s'interposer. Or ces autres États européens sont signataires de la convention - même si, s'agissant spécifiquement de la définition d'établissement stable, les réserves exprimées sont variables.
Sur ce point, la France a retenu les trois modifications proposées, c'est-à-dire à peu près l'ensemble de la nouvelle définition de l'établissement stable. Il s'agit d'une attitude très positive dont on ne peut que se féliciter. Tel n'est pas le cas de tout le monde : la convention fiscale entre la France et l'Irlande, par exemple, ne sera pas modifiée en ce qui concerne la définition de l'établissement stable, ce qui constitue une faiblesse pour lutter contre les comportements fiscaux agressifs, notamment ceux de certaines entreprises numériques. La faiblesse ne porte donc pas tant sur l'absence des États-Unis que sur le refus de certains pays européens de modifier leur définition de l'établissement stable.
S'agissant des réserves, la France applique la définition de l'établissement stable telle qu'elle résulte de l'action 7 du plan d'action. Elle applique également le standard minimum en matière d'abus des conventions fiscales et va même au-delà sur certains aspects.
Sa législation interne étant suffisamment protectrice, la France n'applique aucune des clauses relatives aux produits hybrides.
La France applique le standard minimum pour améliorer les procédures amiables, et permet notamment au contribuable d'engager une telle procédure dans n'importe lequel des deux États en cause. Auparavant, il ne pouvait s'agir que de l'État où le redressement avait eu lieu.
La France, enfin, a opté pour une clause d'arbitrage lorsqu'une procédure amiable ne se conclut pas dans un délai raisonnable de deux ans. Elle a émis quatre réserves sur ce dernier point, notamment en cas d'absence de double imposition, ou lorsque des procédures criminelles sont en cours.
La France a donc une approche très positive et très constructive de la convention, ce qui est d'autant plus nécessaire qu'elle dispose d'un très large réseau conventionnel.
La Suisse présente des spécificités liées à son système de démocratie directe. Il n'est pas seulement question de réticence à lutter contre la fraude ou l'évasion fiscales internationales. Son interprétation de cette convention multilatérale l'oblige à ne signer qu'avec les partenaires ayant donné leur accord, avant ratification, à l'élaboration d'un texte consolidé.
Nous pensons que les outils pratiques que nous avons développés, et qui seront bientôt disponibles, rendent inutile l'élaboration de textes consolidés pour assurer la lisibilité - qui est une exigence constitutionnelle - de ces conventions. Il faudra lire les conventions fiscales bilatérales à la lumière de l'instrument multilatéral. La Suisse a préféré exiger, pour assurer cette lisibilité, une convention consolidée avec chacun des partenaires. Certains ont répondu négativement. Les Suisses ont pris l'engagement de modifier toutes leurs conventions pour se mettre en accord avec le standard minimum. Ils en sont environ à une vingtaine de conventions modifiées, ce qui n'est pas si mal.
La signature de cet instrument par des paradis fiscaux est une excellente nouvelle. Il ne s'agit aucunement d'une faiblesse. Cet instrument vise à lutter contre l'évasion fiscale. Il est donc impératif de réunit tous les territoires, notamment ceux pouvant favoriser l'évasion fiscale, dès lors qu'ils ont signé des conventions fiscales.
En général, les pays sans fiscalité n'ont pas de convention fiscale, sauf avec la France ou avec un nombre très restreint de pays. Il suffit de la présence d'un seul pour courir des risques de treaty shopping. Il est impératif que Maurice nous rejoigne très vite, de même que la Barbade, Jersey ou les Émirats arabes unis. Une vingtaine de pays se sont ainsi engagés à signer cette convention, notamment tous les treaty shopping hubs.
Sachez enfin que les ministres des finances du G20, réunis à Baden-Baden en mars 2017, ont mandaté l'OCDE pour produire un nouveau rapport sur manière de taxer l'économie numérique, ce que les chefs d'État et de gouvernement devraient confirmer à Hambourg en juillet 2017. D'ailleurs, ce n'est sans doute pas à travers la définition de l'établissement stable que nous parviendrons à la solution la plus efficace. Le rapport sera remis en avril 2018.