Le système d'alerte et d'information des populations, ou SAIP, initié en 2009, constitue un projet de modernisation piloté par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, la DGSCGC, visant à mettre en place un système moderne d'alerte et d'information des populations et mettant en réseau les différents vecteurs d'alerte disponibles.
L'alerte a vocation à être donnée en cas de risques exigeant un comportement-réflexe de la part des populations en cas de danger. Le SAIP doit permettre, dans son principe, aux acteurs de la gestion de crise, c'est-à-dire principalement les préfets, les maires et les SDIS, de lancer l'alerte sur un territoire donné en une unique opération, en utilisant un logiciel permettant d'activer différents vecteurs de diffusion. Il s'appuie aujourd'hui sur un réseau de 2 830 sirènes qui devrait en compter plus de 5 000 d'ici à 2020 et constituer, selon la doctrine de la DGSCGC, le « principal vecteur de l'alerte ». D'ici à 2020, il doit être connecté à d'autres vecteurs, tels que la téléphonie mobile, mais aussi aux panneaux à messages variables des différentes collectivités ou encore aux radios, la redondance des moyens d'alerte étant, à juste titre, considérée par la DGSCGC comme un facteur d'efficacité.
Ce projet découle du constat dressé par plusieurs rapports qui ont relevé la nécessité de remanier l'ancien réseau de sirènes, le réseau national d'alerte, ou RNA, construit après-guerre, qui visait à prévenir le risque d'attaque aérienne.
Ce projet, d'un montant total de 81,5 millions d'euros, est donc financé par le programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ». Il comporte deux phases. La première, qui a été lancée en 2010 et court jusqu'en 2019, porte principalement sur la réalisation du logiciel central et sur l'installation des sirènes dans des « bassins à risques », pour un montant d'un peu moins de 45 millions d'euros. Elle comprend également un volet téléphonie mobile, qui s'appuie aujourd'hui sur une application smartphone, portant le nom SAIP, en libre téléchargement. La seconde phase, qui commencera en 2020, devrait, selon la DGSCGC, porter sur la poursuite de l'installation des sirènes et sur la connexion d'autres moyens d'alerte au logiciel central.
Même si le projet SAIP était rendu nécessaire par l'obsolescence du RNA, il est marqué par des choix stratégiques contestables.
Le choix de conserver les sirènes comme principal vecteur de l'alerte apparaît en effet comme une importante erreur stratégique. Le volet « sirènes » concentre 78 % des 81,5 millions d'euros consacrés au SAIP, alors même que leur impact apparaît beaucoup plus faible que celui de la téléphonie mobile, lequel bénéficie pourtant seulement de 11 % des crédits consommés ou prévus pour ce projet.
Les sirènes ne sont quasiment jamais utilisées dans d'autres contextes que ceux des essais hebdomadaires. Les sondages montrent que seule une infime minorité de Français sait comment réagir lorsque les sirènes se déclenchent. Par ailleurs, de nouveaux vecteurs plus efficaces, comme la téléphonie mobile, ont émergé ; ils permettent non seulement d'assurer la fonction d'alerte, mais peuvent également informer les populations concernées en délivrant un message clair. La nature des risques a également changé, et aurait justifié une réflexion plus globale sur la stratégie d'alerte et d'information, qui n'a pas été suffisamment menée.
De même, le volet téléphonie mobile est également marqué par des revirements qui ont conduit à revoir fortement à la baisse ses ambitions initiales. Alors que le ministère de l'intérieur privilégiait initialement le recours à la technologie dite du Cell Broadcast, qui devait permettre de diffuser un message sur l'ensemble des téléphones mobiles présents sur une zone d'alerte, cette dernière a été a été remplacée en 2015 par le développement d'une application smartphone, dénommée SAIP, en libre téléchargement sur Apple Store et sur Google Play, pour des raisons principalement budgétaires. L'application smartphone apparaît pourtant beaucoup moins efficace, notamment car elle ne fonctionne que si l'utilisateur a effectivement téléchargé l'application, qui n'est elle-même disponible que sur des types précis d'appareils, contrairement au Cell Broadcast, qui est fiable et utilisé aujourd'hui dans divers pays - c'est le cas aux États-Unis, aux Pays-Bas, au Japon, en Corée... - et peut être reçu sur tous les appareils correctement paramétrés.
Au-delà des choix stratégiques, la mise en oeuvre des deux principaux volets, ceux concernant la téléphonie mobile et celui concernant les sirènes, a connu d'importantes défaillances. La conception de l'application smartphone, tant dans la dimension technique que dans la gestion du projet, a été menée un délai trop contraint eu égard à sa complexité, alors même qu'une plus grande anticipation aurait été possible, la téléphonie mobile étant envisagée comme vecteur de l'alerte depuis 2010. L'abandon tardif du Cell Broadcast et la volonté du Premier ministre de disposer d'un moyen d'alerte par téléphone avant l'Euro 2016 a en effet fortement contraint les délais de conception de l'application, qui continue à pâtir de certaines lacunes, comme la nécessité qu'elle soit ouverte en tâche de fond, ou la forte consommation de batterie. Par ailleurs, l'application, dont le coût s'élève à 300 000 euros, n'a pas pu être déclenchée dans un délai raisonnable lors de l'attentat du 14 juillet 2016 survenu à Nice, en raison de défaillances techniques ; je le rappelle, elle ne s'est déclenchée que deux heures après l'attentat.
Il me paraît nécessaire, en plus d'une correction rapide de ces défaillances, qu'une évaluation indépendante de l'application SAIP soit menée d'ici à la fin 2019, afin d'envisager un éventuel retour à la technologie Cell Broadcast initialement envisagée.
Toutefois, si l'application smartphone devait être maintenue à terme, il me semble également nécessaire qu'elle soit disponible sur tous les types de smartphones et que soit faite une publicité plus grande visant à augmenter le nombre d'utilisateurs, aujourd'hui limités à environ 500 000, pour qu'elle constitue un vecteur efficace de l'alerte.
L'atteinte de cet objectif pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un indicateur de performance du programme « Sécurité civile ».
La mise en oeuvre du volet « sirènes », qui comprend l'installation des sirènes et la conception du logiciel de commande est également marquée par un retard important, de trente-six mois, lié aux difficultés de conception de ce logiciel. Ce retard provient notamment du manque de préparation du projet et de l'absence d'un cahier des charges précis élaboré suffisamment en amont de la notification du marché. Ce raté n'est pas sans rappeler celui d'autres projets informatiques de l'État de plus grande ampleur, comme celui de Louvois au ministère de la défense, celui de Sirhen au ministère de l'éducation nationale, ou encore l'opérateur national de paye.
Il me semblerait donc souhaitable qu'une procédure applicable aux projets informatiques du ministère soit élaborée, exigeant la formulation d'un cahier des charges précis conçu en amont de la notification du marché. Cette procédure pourrait en outre comprendre un éventuel appui de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État, la DINSIC, dont la capacité à appuyer les projets informatiques complexes a été rappelée dans le rapport de notre collègue Michel Canevet au mois d'octobre 2016.
Tous ces constats me conduisent à recommander, plus globalement, de procéder à un changement doctrinal en renonçant aux sirènes comme vecteur principal de diffusion de l'alerte et de favoriser le développement de vecteurs alternatifs.
Je propose en conséquence que les crédits de la seconde phase de déploiement du SAIP - ils s'élèvent à 36,8 millions d'euros -, qui commencera en 2020 portent bien davantage qu'aujourd'hui sur le financement du volet « mobile », et non plus quasi intégralement sur le déploiement des plus de 2 000 sirènes restantes, dont le nombre pourrait être revu à la baisse.