Bonjour à tous et à toutes. Madame la présidente, je vous remercie et rends hommage au travail que vous avez mené, alors qu'aujourd'hui vous présidez cette réunion de la délégation, qui devrait être la dernière, me semble-t-il, avant le prochain renouvellement du Sénat.
Je salue Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes du précédent Gouvernement et remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat de me recevoir, en espérant que cette audition sera la première d'une longue série.
En tant qu'élue locale, j'ai assisté à certains des évènements organisés par votre délégation (notamment le colloque « Femmes citoyennes » de 2015) et je me suis appuyée sur vos travaux dont j'ai pu apprécier la qualité et le caractère consensuel. La recherche du compromis qui fait partie de vos méthodes me paraît importante pour défendre au mieux les droits des femmes dans l'ensemble de la société ; vos rapports font aussi oeuvre de pédagogie et permettent à chaque responsable de s'en saisir pour développer ses propres politiques publiques.
Vous avez notamment travaillé sur la place des femmes dans l'agriculture, travail qui doit être salué et m'a été fort utile pour préparer un déplacement en fin de semaine, co-organisé avec mon collègue ministre de l'Agriculture sur ce thème ; nous nous sommes aussi aperçues, en travaillant avec ma collègue ministre des Solidarités et de la Santé sur l'harmonisation des droits au congé maternité, que les dispositions qui régissent le droit à congé maternité des femmes agricultrices sont les moins généreuses d'entre toutes ; c'est donc un chantier que nous allons ouvrir en nous inspirant de vos travaux.
Je suis très attachée à l'institution sénatoriale, j'ai d'ailleurs commencé ma vie politique sous l'impulsion d'un sénateur, et avant-hier encore j'exerçais les fonctions de maire adjointe ; je suis par ailleurs conseillère communautaire et attachée à cette institution. J'apprécie de pouvoir débattre avec vous, vous rendre compte de mes actions et aussi enrichir mes travaux de vos recommandations et vos orientations.
Je vais brosser une perspective globale de mon action et des grands axes de ma « feuille de route », puis je poursuivrai par des échanges afin de répondre à vos interrogations.
Si, grâce au travail des parlementaires et des précédentes ministres et secrétaires d'État, d'importantes avancées ont été obtenues en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, nous posons cependant le constat que l'enjeu majeur des prochaines années sera de transformer ce travail législatif pour faire exister ces nouveaux acquis dans la vie réelle.
Un de nos enjeux sera aussi de faire sortir de nos cercles d'initié-e-s ce sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes pour le faire rayonner dans toute la société. En effet, à l'heure actuelle, nous devons combattre le « mythe de l'égalité déjà là » ainsi que le dénomme Christine Delphy10(*) : tous les jours, je constate en effet que ceux qui ne sont pas sensibilisés comme nous le sommes à ces inégalités entre les femmes et les hommes et à la remise en question des droits des femmes sont persuadés que les femmes ont acquis suffisamment de droits et sont désormais les égales des hommes, qu'elles peuvent diriger des entreprises, se présenter à des élections, que très peu de femmes souffrent de violences...
Or, ces quelques chiffres vont tous vous parler : 27, 80, 98, 100, 3, 83 000. Voici à quoi ils correspondent :
- 27 %, c'est la proportion que peuvent atteindre les écarts de salaire entre les femmes et les hommes ;
- 80 % des tâches ménagères sont encore accomplies par les femmes ;
- 98 % représente la proportion de mères qui s'arrêtent de travailler dans les couples hétérosexuels (seuls 2 % des pères le font) ;
- 100 % des femmes déclarent avoir déjà été agressées dans les transports en commun ;
- tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint en France ;
- enfin, 83 000 : c'est le nombre annuel de viols en France, chiffre sous-estimé d'après certaines associations.
Je pense que la majorité de la population ignore ces chiffres et nous devons donc effectuer un travail pédagogique pour les faire connaître et faire comprendre à quel point les inégalités entre les femmes et les hommes perdurent.
Pour ces raisons, l'inégalité entre les femmes et les hommes sera la grande cause du quinquennat du Président de la République qui l'incarnera, la portera et la pilotera politiquement, tandis qu'elle sera mise en oeuvre par le Premier ministre et moi-même ; le rattachement du secrétariat d'État à Matignon sur ces sujets, à cet égard inédit, permettra de mener dans ce domaine un travail interministériel. Au cours de la campagne présidentielle, j'ai rencontré et entendu associations, réseaux et structures : s'ils sont satisfaits de leur relation de travail avec les instances gouvernementales, tous indiquent cependant qu'il faut développer le travail en réseau, en améliorant le travail interministériel sous l'autorité du Premier ministre, pour que l'ensemble des politiques publiques que nous menons irriguent tous les secteurs ministériels. À cet égard, il est important de noter que les feuilles de route de tous les membres du Gouvernement comportent un volet sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
J'ai trouvé passionnant et très complet le rapport de la délégation s'interrogeant pour savoir si la laïcité garantit l'égalité entre les femmes et les hommes. Pour ma part, j'en suis convaincue, mais j'ai bien compris que la délégation défend une position plus subtile et estime que si la laïcité ne garantit pas stricto sensu et à elle seule l'égalité entre les femmes et les hommes, elle en demeure un préalable.
Laïcité et droits des femmes sont intimement liés, ma feuille de route précise que la République française ne reconnaît pas de relativisme culturel : il n'en a jamais été, et il n'en sera jamais question. Des premières campagnes d'informations, dans la continuité de ce qui a été fait précédemment, ont d'ailleurs réaffirmé que l'excision n'est pas une coutume mais une mutilation, que le mariage forcé n'est pas une tradition mais un viol de la loi, que la burqa n'est pas une mode vestimentaire mais une tenue oppressive et illégale, et que les droits des femmes ne sont pas négociables dans notre République.
Cependant, je suis convaincue qu'il faut adapter nos politiques publiques aux spécificités de nos territoires, sans compromission ni soumission, selon le principe de la décentralisation. Le fil rouge de ce Gouvernement, affirmé dans le discours de politique générale du Premier ministre, mais aussi dans les discours des ministres des Sports, de la Santé ou de l'Éducation nationale, sera ainsi d'adapter les politiques publiques aux réalités des régions et des départements.
Par exemple, vous avez rappelé, madame la présidente, combien le droit à l'IVG est menacé tant dans les faits à l'étranger ou, en France, dans les discours et parfois les actes. Or si on veut garantir l'accès à l'IVG à toutes les femmes sur l'ensemble du territoire de la République française, les mêmes dispositifs ne peuvent être mis en oeuvre dans des zones de désertification médicale nécessitant des trajets de plus d'une heure pour se voir délivrer ne serait-ce qu'une information sur l'IVG, et dans les zones comportant un tissu associatif dense et des hôpitaux pas trop éloignés.
Nos politiques publiques ne peuvent pas être efficaces si on les uniformise, les inégalités entre les femmes et les hommes n'étant pas homogènes en France : par exemple, les statistiques des violences sur la voie publique indiquent que beaucoup de violences sexuelles sur la voie publique sont exercées dans le nord de la France - il y en a aussi dans le sud, mais en Corse, seul un viol sur la voie publique a été comptabilisé l'année dernière. La campagne initiée par Pascale Boistard sur la lutte contre le harcèlement sexuel dans les transports en commun concerne ainsi beaucoup les métropoles, mais moins la Corse. Je pense donc qu'il faut adapter nos communications et nos politiques publiques aux réalités des régions et, pour cela, s'appuyer sur la connaissance fine que peuvent nous en apporter les réseaux associatifs, mais aussi les déléguées territoriales aux droits des femmes.
J'ai expérimenté le téléphone grave danger (TGD) au niveau local en tant que maire-adjointe, dans le département de la Sarthe où je suis élue. Comme il y existe des zones peu, voire pas du tout couvertes par certains opérateurs, le téléphone grave danger n'y est pas opérationnel ; on doit donc vraiment prendre en compte la spécificité de chaque territoire et ne pas considérer qu'une politique publique doit être déclinée uniformément sur l'ensemble du territoire, tout en gardant le même objectif pour toute la République française : l'égalité absolue, parfaite, totale, non négociable entre les femmes et les hommes.
Parmi les chantiers prioritaires de mon ministère figure le travail des femmes : celles-ci ont un moindre accès au travail, les inégalités salariales persistent par rapport aux hommes, le plafond de verre demeure une réalité et une seule femme dirige une entreprise du CAC 40. De plus, au-delà du plafond de verre existent les murs de verre, qui témoignent d'une non-mixité de certains métiers : des métiers féminisés, souvent peu valorisés et peu payés, coexistent avec des métiers majoritairement masculinisés et mieux rétribués. Cet axe de travail est primordial car, ainsi que le disait Simone de Beauvoir : « C'est par le travail seul que les femmes pourront franchir la distance qui les séparent des hommes, c'est le travail qui garantit l'autonomie financière et qui garantit l'émancipation réelle des femmes. »
Une quinzaine de lois sur l'égalité professionnelle ont été votées. Elles sécurisent le parcours des femmes et ont déjà porté leurs premiers fruits en matière de droits des femmes au travail en permettant des avancées absolument considérables en ce domaine. Ces acquis doivent se poursuivre en favorisant une meilleure articulation des temps de vie. Il faut aussi renforcer le recouvrement des pénalités dues par les entreprises, celles-ci ne s'en acquittant que rarement pour leur non-respect de dispositions relatives à l'égalité professionnelle ; aussi, avec mon collègue Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des comptes publics, nous avons commencé à définir un dispositif qui permettra de prélever directement les pénalités que doivent ces entreprises privées ou parapubliques.
Par ailleurs, l'égalité professionnelle pose un vrai problème dans les PME car, si l'on sait comment influencer sur ce point les grandes entreprises, c'est plus difficile avec les petites structures qui disposent de peu d'informations, de moyens et de ressources humaines à y consacrer ; aussi ai-je missionné un organisme pour faire des propositions quant à la création d'un numéro court, à disposition des PME, pour renseigner celles-ci. Je travaille conjointement avec mes collègues Muriel Pénicaud, ministre du Travail et Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé, à la création de dispositifs pédagogiques très clairs sur les droits fondamentaux des femmes, notamment des femmes enceintes au travail, celles-ci méconnaissant grandement leurs droits. À cet égard, j'ai été frappée par la récente affaire de la jeune femme caissière de supermarché qui avait perdu son bébé sur son lieu de travail ; au-delà du drame humain se pose une question de société puisque cette femme, en état de grossesse à risque médicalement constaté, ne savait pas qu'elle avait le droit de demander et d'obtenir un aménagement de poste : ni son employeur, ni son médecin, ni son syndicat ne l'en avait d'ailleurs avertie. Il y a donc eu un défaut d'information le long de toute la chaîne.
Au-delà de cet exemple particulièrement illustratif, je me suis aperçue de la grande méconnaissance des femmes de leurs droits pendant mes dix années de présidence du réseau Maman travaille, mais aussi pendant la campagne présidentielle, lorsque j'animais des ateliers. Bien souvent, quand je demandais aux femmes quel serait le droit supplémentaire qu'elles désireraient obtenir, elles mentionnaient des droits qui existent déjà !
Beaucoup de femmes m'ont ainsi dit qu'elles souhaitaient être protégées du licenciement ou bénéficier d'une augmentation de salaire en revenant de congé maternité, autant de dispositions déjà reconnues par la loi, laquelle prévoit notamment une augmentation de salaire égale à la moyenne des augmentations du service à poste équivalent. Nous constatons donc que ces droits sont méconnus par les femmes elles-mêmes et que notre devoir est de les diffuser pour permettre aux femmes de les faire valoir. Nous travaillons avec les caisses d'allocations familiales (CAF), les partenaires sociaux et la Sécurité sociale pour créer un outil dont la forme n'est pas encore définie - plaquette, site d'information ou application -, l'idée étant de réaliser un support de communication intelligible par tous.
Par ailleurs, l'un des engagements de campagne du Président de la République était de créer le Name and Shame pour les entreprises ne respectant pas l'égalité professionnelle. Nous allons adapter cette mesure avec une très légère modification, on passe au Name and Shape. Pour cela, nous avons demandé au baromètre Ethic and Boards, qui mesure l'égalité professionnelle, de nous indiquer les dix entreprises les plus mal classées. Nous les avons contactées et allons les inviter à participer à une formation qui aura lieu au secrétariat à l'Égalité entre les femmes et les hommes, avec le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, l'Observatoire de l'équilibre des temps de vie en entreprise et une formatrice en innovation sociale, ainsi qu'un certain nombre d'autres partenaires. Dans ce cadre, les directeurs et directrices des ressources humaines (DRH) seront formé-es pendant une journée à l'égalité professionnelle. Nous avons l'ambition de les transformer en acteurs positifs de l'égalité professionnelle. Dans six mois, nous mesurerons l'effet de notre formation à cet égard.
Nous partons du principe que si des entreprises sont mal classées, ce n'est pas nécessairement en raison de comportements misogynes, mais plutôt par manque de moyens, de temps, d'intérêt ou de leviers pour réellement mettre en place les dispositifs existants. Bien évidemment, les entreprises qui refuseraient de se rendre à nos formations, qui leur sont gracieusement offertes, ou ne pourraient pas y assister, seraient en revanche nommées et dénoncées.
Les inégalités professionnelles sont l'aboutissement d'un certain nombre d'autres inégalités dont résultent plafond de verre et « plafond de mère » : je pense notamment à la maternité, qui est un point de décrochage dans les parcours professionnels des femmes, toutes les études l'indiquent. Aussi, nous travaillons à l'harmonisation des droits au congé maternité avec ma collègue ministre des Solidarités et de la santé. Je l'évoquais tout à l'heure rapidement pour les femmes agricultrices : nous constatons qu'il existe des congés maternité différents selon que l'on soit salariée, auto-entrepreneure ou exerçant une profession libérale, l'idée étant de pouvoir permettre à toutes ces femmes de disposer d'un congé maternité de même durée, aligné sur le régime le plus avantageux, qui est pour l'instant celui des salariées, à la fois en durée et en rémunération. C'est un chantier à long terme, qui s'inscrira dans la durée du quinquennat. Une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été lancée pour une évaluation fine de son coût et pour délivrer une information précise à l'égard de ces femmes. Par ailleurs, la prise de ce congé maternité demeurera facultative et nous veillerons à ce que certains régimes spéciaux ne perdent pas des avantages que leurs assurées auraient acquis.
Au nom de ma collègue Muriel Pénicaud, ministre du Travail, en charge des ordonnances sur la réforme du code du travail, je vous assure que toutes les mesures qui concernent les dispositifs de parité et d'égalité professionnelle ne seront négociées ni branche par branche, ni entreprise par entreprise.
Par ailleurs, le défaut de mode de garde est une cause très forte de retrait des femmes du marché du travail. D'après les derniers chiffres dont on dispose, 90 % des mères et aucun père - dans les couples hétérosexuels - arrêtent de travailler pour garder les enfants, souvent par défaut de solution de garde. Nous allons donc aider les collectivités à la création de modes d'accueil, mais aussi instituer un pacte « transparence crèches », car trouver une place en crèche demeure une épreuve. Une étude effectuée par mon réseau auprès de bénéficiaires de places en crèche a ainsi montré que l'obtention d'une place résultait, dans l'esprit des familles, soit de la chance soit du piston ! Même si ce n'est pas le cas et que l'obtention d'une place ne résulte que de la concordance de la situation des familles avec les critères d'attribution, ces idées reçues subsistent néanmoins. Nous avons donc à mener un travail sur la transparence : nous allons demander aux collectivités de rendre publics les critères d'attribution des places en crèche, les barèmes de cotation, la composition des commissions. Ce sujet sera abordé en lien étroit avec la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) qui finance en grande partie les crèches et intégrera cet objectif à sa prochaine convention. Ce travail fera aussi l'objet de discussions avec l'association des maires de France (AMF).
De plus, un projet innovant concernera l'insertion professionnelle des mères, notamment celles, nombreuses dans certains quartiers ou dans les zones rurales, qui ont eu des enfants jeunes et sont en situation précaire à 25 ans, 30 ou 35 ans. Elles abordent ainsi le marché du travail avec une page blanche pour tout CV. Le fait qu'elles aient élevé leurs enfants se révèle hélas un argument peu efficace lors des entretiens d'embauche.
En collaboration avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, nous travaillons donc à un dispositif de validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les parents. Il ne s'agit pas d'encourager les femmes à retourner au foyer ni de développer un salaire maternel mais, en partant du très pragmatique constat que l'on pourrait valoriser les compétences de ces jeunes femmes en matière d'éducation des enfants dans les métiers de la petite enfance, où existe une pénurie de candidates au recrutement, nous travaillons à un dispositif diplômant qui permettrait d'obtenir un CAP petite enfance, un diplôme d'État ou un brevet d'État d'éducatrice de jeunes enfants. Le dispositif est en cours de définition, notamment les diplômes et leurs modalités exactes d'obtention, mais l'objectif est, lui, parfaitement clair : faire en sorte de valider ces acquis de l'expérience pour favoriser l'insertion de cette population majoritairement féminine sur le marché du travail.
En outre, il n'est pas possible de lutter contre le plafond de verre ou l'autocensure si on ne garantit pas aux femmes l'accès au monde du travail. Or, cela suppose que les pouvoirs publics mettent à leur disposition des infrastructures et des conditions d'exercice serein de leur activité professionnelle. Je pense qu'il n'est pas possible pour des femmes de négocier leur trajectoire professionnelle, leur augmentation, leur promotion, si elles doivent systématiquement partir pour garder leurs enfants quand ceux-ci sont malades ; il n'est pas possible de demander aux femmes d'être sûres d'elles, d'être des conquérantes, des wonderwomen au travail si par ailleurs elles doivent craindre pour leur intégrité physique dans l'espace public ou à leur domicile lorsqu'elles sont victimes de violences intrafamiliales. Je précise cela, car lutter contre les violences sexistes et sexuelles n'est pas faire de la victimisation, mais c'est aussi agir indirectement sur d'autres sujets sociétaux tels que l'égalité professionnelle ou la protection de l'enfance, qui est de la responsabilité de ma collègue Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé.
Je pense primordial de rappeler que le corps des femmes n'est pas un bien public : ceci est le fil rouge de notre programme de lutte contre les violences physiques et sexuelles. Nous en sommes toutes et tous ici convaincues, mais les statistiques nous forcent à penser le contraire, quand on réalise que 71 % des viols sont prémédités et que, selon Amnesty International, 90 % des violeurs ne souffrent d'aucune pathologie mentale. Cela signifie que nous devons mener un combat culturel pour lutter contre la culture du viol présente dans nos sociétés, en cessant de culpabiliser les victimes et en responsabilisant les auteurs et les agresseurs. Le viol n'est jamais le choix de la victime, mais bien le choix conscient du violeur.
Dans ce cadre, nous poursuivons le 5ème plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes et la formation accrue des professionnels. Nous allons calquer notre action sur l'idée de la grande cause nationale annuelle qui avait été menée sous Jacques Chirac dans le cadre de la sécurité routière. On avait alors constaté que la mortalité routière avait considérablement diminué, une importante campagne de communication ayant convaincu les automobilistes de boucler leur ceinture de sécurité.
La méthode sera reprise, mais sur une période quinquennale. Il s'agit du début d'un chantier qui va s'étaler sur dix à quinze ans, avec pour objectif d'obtenir des résultats le plus rapidement possible, sans pour autant nous engager sur des données chiffrées. Car il s'agit d'abord d'un combat culturel. De la même façon, on peut agir pour changer les habitudes et donc modifier le consensus social tacite de notre société sur ce sujet.
Notre action en ce domaine comportera donc une vaste campagne de communication, l'instauration d'une mesure coercitive de répression du harcèlement de rue et sa verbalisation, en collaboration avec mes collègues Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, et Nicole Belloubet, ministre de la Justice, ainsi que la formation des 10 000 policiers de proximité qui seront recrutés au cours du quinquennat. Certes, nous sommes conscients qu'il n'y aura pas un policier derrière chaque harceleur de rue, mais l'idée est de dire le droit, de dire ce que la République française ne tolère pas et de caractériser le harcèlement de rue, actuellement trop souvent situé dans une zone grise. On nous objecte souvent qu'il relève de la séduction, de la simple discussion, qu'il est anodin ; or, ce n'est ni flatteur ni amusant d'être harcelée, c'est grave, et nous voulons le caractériser pour que plus aucun homme ne puisse harceler les femmes dans la rue. C'est un message que nous adressons aux harceleurs, mais aussi aux femmes, pour leur dire qu'elles ont raison de refuser le harcèlement et sont dans leur bon droit, et que la République et l'État les soutiennent.
Nous lançons parallèlement une grande action de formation au sein des établissements scolaires, car si les textes prévoient déjà trois journées d'interventions sur l'égalité entre filles et garçons en milieu scolaire (IMS), ces dernières sont en réalité menées de façon très inégale sur le territoire ; un programme d'audit sera donc programmé par Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, pour les évaluer, d'autant que j'ai déjà été saisie par des associations de parents d'élèves me signalant que certaines associations intervenant dans les établissements dans le cadre des IMS sur la déconstruction des stéréotypes propageaient en réalité un certain nombre de stéréotypes de genre en disant que les filles étaient fragiles, pleuraient plus...
Au-delà de ces trois journées organisées pendant le parcours scolaire, nous travaillons à la définition d'un programme d'une journée, pendant le service militaire et civil en cours de création, et qui portera sur l'égalité femmes/hommes, la déconstruction des stéréotypes de genre, l'égalité professionnelle, le respect et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et la culture du viol.
Là encore, les femmes méconnaissent leurs droits. La plupart des gens ne savent pas ce qu'est une agression sexuelle, beaucoup l'ignorent et tombent des nues quand on leur précise que poser une main sur les fesses constitue une agression sexuelle qui peut valoir à son auteur jusqu'à 75 000 euros d'amende et de la prison. Nous devons rappeler que la loi l'interdit.
Nous allons aussi mener un travail sur l'allongement des délais de prescription et mettrons en oeuvre les conclusions et les recommandations du rapport de la mission de consensus mandatée par la ministre Laurence Rossignol. Nous avons déjà reçu les personnes ayant piloté ce rapport, qui préconise notamment l'allongement à trente années des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineur-e-s : nous ouvrirons prochainement ce débat avec la Garde des Sceaux.
De surcroît, j'ai commandé un rapport au Haut Conseil à l'Égalité (HCE) sur les violences obstétricales, telles que les pratiques non consenties, particulièrement sur des femmes étrangères, très jeunes ou handicapées. Le taux d'épisiotomie s'élève en France à 75 %, alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise un plafond de 20 à 25%. Sur ce point, le dernier rapport du HCE examine le sujet de l'accès des femmes précaires à la santé, lié de façon plus générale à l'acceptation et à l'évocation de la douleur par les femmes, la société nous ayant conditionnées à la douleur en usant de poncifs tels que « Il faut souffrir pour être belle » ou « Tu enfanteras dans la douleur ». C'est un autre combat culturel à mener, car de nombreuses femmes, par exemple, ne parlent pas des douleurs qu'elles ressentent pendant leurs règles, convaincues qu'elles sont qu'il est normal de souffrir alors que ça ne l'est pas. Pourtant, en parler favoriserait la détection de l'endométriose, maladie aux graves conséquences encore sous-diagnostiquée.
Concernant l'IVG, j'ai reçu le le Planning familial et il m'a été indiqué que les médecins eux-mêmes sont parfois peu informés que le délai de sept jours de réflexion n'avait plus cours, aussi travaillons-nous avec Agnès Buzyn sur une plus vaste information des professionnels du secteur. De surcroît, la ministre des Solidarités et de la Santé lancera le chantier de l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes et j'accompagnerai ce débat, car je suis en charge de la lutte contre l'homophobie et la haine contre les personnes LGBT.
Notre troisième axe de travail concerne l'exemplarité de l'État, dont la marge de progression est importante. Nous allons lancer, avec mon collègue ministre de l'Action et des comptes publics, pour la première fois, un gender budgeting de l'État, avec pour pilote le ministère de l'Agriculture, tout comme le font déjà les collectivités, afin de déterminer comment l'argent est utilisé, s'il l'est plus pour les femmes ou pour les hommes. Par exemple, on s'est aperçu dans un certain nombre de collectivités locales que le financement d'associations a priori neutres telles que des clubs de foot, des infrastructures de skate park ou de terrains de basket dans les parcs publics profitait principalement aux hommes, car les femmes les utilisent peu.
Conditionner le financement public au respect de l'égalité professionnelle est un levier reconnu, mais la France est peu coercitive en la matière et dispose encore de marges d'amélioration sur ce point. Par exemple, en Australie, les entreprises qui ne respectent pas la mixité dans leur gouvernance n'ont pas le droit d'être cotées en bourse.
Rappelons que, quels que soient les débats sur les quotas, il n'y a parfois pas de mixité en leur absence, et nous devons en particulier travailler sur la parité dans les communautés de communes.
Le fil rouge de notre méthode sera d'adapter nos politiques publiques à la spécificité des départements, des villes, des villages, des régions : c'est pourquoi nous allons créer le « tour de France de l'égalité » entre les femmes et les hommes selon une périodicité annuelle. Le thème de cette année sera consacré au travail, axe premier de notre feuille de route. Il sera lancé par le Président de la République. Dix-huit ambassadrices seront nommées dans les régions de métropole et d'Outre-mer pour piloter ces débats. L'idée est de faire sortir ces thèmes de notre zone de confort, du cercle des seules personnes qui sont déjà convaincues dans ce domaine pour aller recueillir la parole de toutes les femmes sur l'ensemble du territoire de la République française et d'obtenir, à l'issue de cette consultation, un « cahier de doléances » ou un « livre blanc » témoignant de la réalité du travail quotidien des femmes en matière de chômage, d'accès à l'emploi, d'insertion, d'égalité professionnelle, de protection des femmes enceintes, de plafond de verre, dans tous les domaines, y compris ceux qui sont réservés aux zones les plus rurales ou périphériques. Des propositions concrètes en seront tirées.
Au 20ème siècle, la France a été le berceau du féminisme philosophique, mais il est maintenant temps de passer de ce combat philosophique à la pratique. Ce qui a été entrepris lors du dernier quinquennat doit être poursuivi, ma conviction étant que la France peut devenir un leader de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde, mais que pour cela nous devons mettre en cohérence nos actes avec nos intentions, travail que nous allons mener pendant ce quinquennat. La dernière condition à cette grande ambition pour les femmes sera d'impliquer toute la société, y compris des structures, des institutions ou des personnes qui peuvent sembler éloignées de nos combats.
Je suis à votre disposition pour toutes vos questions, remarques et interventions.